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CHANT PREMIER L'ORME DE LOTBINIÈRE

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Que j'aime à vous revoir, forêts de Lotbinière,

Lorsque vous secouez votre épaisse crinière,

Comme fait la cavale en courant dans les prés

Qu'elle bat avec bruit de ses sabots ferrés!

Que j'aime à vous revoir quand le printemps se lève

Et que vos troncs puissants se tordent dans la sève!

Quand vos rameaux feuillus bercent les petits nids

Et chantent les amours des oiseaux réunis!

Quand vous jetez au ciel vos arômes suaves

Avec des chants d'ivresse ou des murmures graves!

Mais je t'aime surtout, toi, vieux bois des Hurons

Que réveillent souvent les cris des bûcherons,

Les chants des charroyeurs conduisant à la file,

Par le chemin tracé sur la neige mobile,

Leurs grands traîneaux remplis de sapin résineux.

Souvent, quand le soleil desséchait de ses feux

Le sable de la route et l'herbe des prairies,

Je suis venu chercher, sur tes mousses fleuries,

Le repos bienfaisant et l'oubli de mes maux.

Mais déjà, ma forêt, tes arbres les plus beaux

Sont tombés, tour à tour, sous les coups de la hache

Comme des diamants qu'un doigt profane arrache

D'un brillant diadème: et tes arbustes verts,

Recourbés humblement sous le vent des hivers,

Ne diront pas à qui ne t'a jamais connue

Que jadis tu portais ton front jusqu'à la nue!

Et ceux-là qui liront ces humbles vers, demain,

Chênes qui m'abritez, vous chercheront en vain!

Quand de l'été soufflaient les brûlantes haleines,

Que les boutons des fleurs s'ouvraient au bord des plaines,

Quelques hurons chrétiens revenaient, autrefois,

Elever leurs wigwams au milieu de ce bois:

Et de là vient son nom qu'on lui conserve encore.

Ces sauvages, armés de leur fusil sonore

Chassaient le daim timide et le rusé renard.

L'enfant, adroit et vif, pouvait lancer un dard

Et suspendre le vol de la tourte rapide;

Il grimpait lestement, et d'un poignet solide

Se cramponnait aux troncs des érables altiers.

Les femmes s'assemblaient pendant des jours entiers

Laissant flotter au vent leurs longs cheveux d'ébène

Et tressaient des paniers avec l'aubier du frêne.

Près d'elles la nagane aux rameaux se berçait

Pour endormir l'enfant que l'oiseau caressait.

Quand la bise à nos bois enlevait leur couronne,

Quand les feuilles tombaient sous les frimas d'automne

Que la neige éclatante étendait son manteau

Sur le chaume jauni du fertile coteau,

Ces indiens partaient pour les pays de chasse.

Ils allaient quelquefois jusqu'aux terres de glace;

Quelques fois ils allaient, montant le cours des flots,

Jusqu'aux lacs de l'ouest, dans leurs légers canots.

O noble rejeton de nos forêts antiques;

Arbre dont les rameaux remplis de bruits mystiques

Se dessinent, de loin, comme un nuage noir,

Dans l'azur du matin ou la pourpre du soir;

Géant resté debout sur le champ du carnage;

Ornement de nos bords, souvenirs d'un autre âge;

O toi que respecta la hache du colon,--

Orme de Lotbinière, orgueil de mon canton,

Je te salue! Au loin, le marin intrépide

Qui va du Riche-Lieu traverser le rapide

Aperçoit au dessus des tilleuls fastueux,

Comme un dôme éternel, ton front majestueux!

Combien de gais oiseaux sur tes branches altières

Sont venus à leur Dieu moduler leurs prières!

Sous tes rameaux pliés comme de grands arceaux,

Combien de jeunes gens, vers le soir des jours chauds,

Sont venus échanger, dans leurs molles ivresses,

Des baisers innocents et de douces promesses!

Mais tu n'as jamais vu de couples plus charmants

Que Louise et Léon, ces deux jeunes amants

Dont je vais essayer de chanter sur ma lyre

L'amour et les douleurs! Tu n'as pas vu reluire

Un oeil aussi brillant sous ses longs cils de jais

Que l'oeil de cette vierge. Et ton feuillage épais

N'a jamais entendu nulle voix plus sonore

Que la voix de Léon qui chantait, dès l'aurore,

Avec les rossignols cachés dans les fourrés

Et les flots déferlant sur les sables dorés!

Jadis il s'élevait, à l'ombre de cet orme

Dont on admire encor chez nous le tronc énorme,

Une blanche maison avec un large auvent

Qui gardait le lambris de la pluie et du vent.

Son pignon élevé lui donnait l'air sévère.

La porte peinte en rouge et trois chassis de verre

S'ouvraient sur le devant aux rayons du soleil:

Deux chassis regardaient le grand fleuve vermeil.

A deux arpents au plus était la vieille grange

Avec son toit de chaume et son concert étrange

De bêlements, de cris, de plaintes et de chants.

La forêt déroulait son rideau sur les champs

Par delà les blés mûrs et les féconds pacages.

On entendait, au nord, l'onde bruire aux rivages.

Jean Lozet habitait cette blanche maison.

C'était un homme franc, encor dans la saison

De la jeunesse ardente et des suaves rêves;

Travaillant du matin jusques au soir sans trèves;

Un peu dur toutefois, n'aimant pas l'indigent

Et mettant son bonheur à compter son argent.

Il avait pour compagne, en son foyer modeste,

Une femme adorable. Il le savait, du reste,

Et le disait souvent à ses amis jaloux.

Un enfant gracieux jouait sur ses genoux:

D'un amour pur c'était encor l'unique gage,

L'enfant savait charmer par son gentil langage

Son père trop souvent rempli d'anxiété,

Et faisait sous le toit renaître la gaîté.


Les vengeances - Poème canadien

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