Читать книгу Bataille d'âmes - Pamphile Le May - Страница 10

VIII MADEMOISELLE LUCETTE LONGPRE

Оглавление

Table des matières

Le matin se leva radieux. Un brouillard léger étendait sur la rivière un voile blanc, doux à l'oeil comme un repli de satin. Quelques oiseaux jetaient des notes éveillées dans la fraîcheur des bois, et les feuilles tour à tour détachées des rameaux tombaient une à une, un peu partout, sur la mousse du sol vierge.

Zidore Tourteau s'en était allé à sa grange, sous prétexte de travailler, mais en réalité pour s'éloigner de Bancalou et lui faire comprendre qu'il devenait un embarras. Bancalou partit de son côté, et prit par les champs. Il aimait la flânerie entre les repas, disait-il. Ça lui allait à merveille On aurait pu croire qu'il prenait un malin plaisir à contrarier son ami.

A l'angélus du midi, la table fut servie de nouveau pour quatre personnes. Bancalou ne s'était pas trop éloigné. Il rentra avec une faim de moine.

--La campagne m'est tout à fait favorable, disait-il à Zidore, en frottant l'une contre l'autre ses mains rougies par le tan, et je crois que je ne ferais pas d'y revenir manger mes rentes... ou les tiennes.

Zidore ne riait pas.

Une voiture s'arrêta à la porte. Deux personnes mirent pied à terre, une jeune fille et un petit garçon.

--Qui est-ce qui nous surprend ainsi? demanda madame Tourteau, en regardant par la fenêtre.

Tiquenne se hâta de répondre:

--Je les connais; c'est l'organiste avec son petit frère. Il a marché avec moi pour la première communion le printemps dernier. Je l'ai battu deux fois; c'est pour ça que j'ai été renvoyé.

La jeune fille entra. Elle parut un peu intimidée, mais salua tout de même d'une façon gracieuse. Madame Tourteau lui offrit une chaise. Zidore ne bougea point! Bancalou la regarda en faisant claquer sa langue comme pour lui dire que ce serait un fruit savoureux.

Tiquenne sortit et engagea la conversation avec son compagnon de catéchisme.

--Voulez-vous dîner? demanda la femme.

Lucette remercia, disant qu'elle se rendant chez l'une de ses tantes, un peu plus loin. Elle voulait seulement dire un mot à Monsieur Tourteau, de la part de son père.

--Oui? qu'est-ce que c'est donc? fit Zidore d'un ton rude.

Elle paraissait hésiter. La femme Tourteau reprit, tout empressée.

--Vous êtes la fille de Mathilde, je crois?... de Mathilde, ma bonne amie d'enfance?

--Oui, madame.

--Et comment est-elle, cette chère Mathilde?

--Pas très bien, hélas!

--Elle a toujours été un peu maladive... On ne peut pas tout avoir...

On entendit des cris à la porte. C'étaient les petits garçons qui se querellaient. Tiquenne voulait prendre la voiture et se promener en attendant Lucette, l'autre défendait à son cheval de faire un pas. Madame Tourteau appela son mauvais garnement de fils, mais il n'obéit qu'à demi. Il se tint sur le seuil de la porte, tout prêt à recommencer.

--Vous avez affaire à moi, Mademoiselle Longpré, dit Zidore d'une voix presque caressante.

Il n'avait pas cessé de regarder la belle visiteuse et sa rudesse fondait.

--Oui, monsieur Tourteau. Voici ce que c'est. Le billet de papa doit être payé à la Saint-Michel...

--Je ne sais pas trop, peut-être.

Il le savait bien.

--Si mon père ne pouvait pas la payer, seriez-vous assez bon, Monsieur Tourteau, pour accepter un acompte raisonnable?

--Ah! ma belle enfant, je ne saurais promettre cela; j'ai moi-même des obligations à remplir cet automne... Je ne puis pas promettre... On verra.

Il aurait voulu se montrer plus froid, plus intransigeant, mais il se sentait désarmé par la naïve enfant. Bancalou regardait Lucette avec un plaisir singulier. Il n'avait pas souvent vu figure aussi avenante, et il se demandait d'où venait ce reflet étrange du regard et du sourire. Il ne connaissait pas les grâces divines de la chasteté. Il avait envie de glisser un mot dans la conversation, pour la retenir plus longtemps et pour taquiner Zidore. Il la reconnaissait bien. C'était elle qui en le captivant par les accords de la musique et les charmes de sa personne, l'avait empêché de commettre un odieux sacrilège.

--Peut-on espérer, Monsieur Tourteau? demanda la jeune fille d'une voix presque tremblante.

Zidore ne répondit point. Il ruminait.

--Voyons, dit Bancalou, montre-toi généreux, tu en as les moyens...

D'une poule on espère un oeuf. Mais d'un veau on espère un boeuf rends donc le billet.

Puis, il ajouta avec un éclat de rire:

--Je crois que je l'ai gratté où il ne lui démange pas.

--Si tu voulais te mêler de tes affaires, gronda Tourteau.

--Il parle des grosses dents, taisons-nous, répliqua Bancalou en regardant Lucette.

--Je dirai à mon père que vous attendrez un peu, n'est-ce pas, Monsieur Tourteau?

--C'est bien sa faute s'il ne peut pas faire honneur à sa promesse, observa le prêteur mesquin.

--Sa faute?... Oh! non, Monsieur. Si vous saviez comme il travaille et comme nous nous privons à la maison!...

--Tout de même, on rend des pains bénits qui coûtent cher.

La jeune fille, un peu surprise, ne répliqua rien.

--On fabrique encore des pains bénits dans la paroisse? interrogea Bancalou...

On passe le chanteau, je suppose.

Quelle belle coutume!... Je plongeais toujours les deux mains dans le panier du bedeau et je faisais le signe de la crois avec chaque morceau pour faire rire le monde.

--Ma petite Lucette, tu reviendras dans quelques jours, dit enfin Zidore, je penserai à cela... Mais c'est toi que je veux revoir. Ton père, je ne lui dois pas grand chose.

--A moi non plus, Monsieur Zidore, remarqua Lucette, toute riante de l'espoir de dire une bonne nouvelle à son père.

--Je te dois de m'avoir fait oublier un instant la présence de ce chenapan, répondit-il, moitié rieur, moitié sérieux, en montrant son voisin de table.

Et Bancalou, toujours de bonne humeur, répliqua:

Qui à son cochon donne

Ne perd pas son aumône.

Passe-moi donc un morceau de pain, il n'est pas bénit ton pain, mais je le digère bien quand même.

Mademoiselle Longpré se leva pour prendre congé, et promit de revenir bientôt. Comme elle ouvrait la porte Tiquenne arrivait grand train avec la voiture qu'elle avait laissée à la garde de son frère. Celui-ci pleurait debout au coin de la maison. Il avait sur la joue une longue égratignure. Tiquenne sauta à terre, un peu décontenancé. Il voulut fuir, mais son père l'appela, et fier de montrer qu'il était un homme juste et capable de dompter les enfants, il lui administra, à l'endroit où le dos change de nom, un coup de pied vigoureux, sans préjudice au pain et à l'eau.

Madame Tourteau observa, en reprenant sa place à la table, que cette jeune personne, la fille de son amie d'enfance, paraissait bien bonne et devait mettre bien de la joie dans sa famille.

--Et c'est qu'elle est belle aussi! s'écria Zidore... Ça va se marier jeune.

--Belle fille et méchante robe trouvent toujours qui les accroche, ajouta Bancalou entre deux bouchées.

Lucette s'en retournait en fredonnant tantôt une chansonnette, tantôt un cantique, tantôt les notes graves d'un hymne sacré. La pensée d'apporter un peu d'espoir à ses bons parents faisait tressaillir son coeur. Il n'était pas si méchant après tout, ce Zidore Tourteau, dont tous le monde parlait mal. Il se laissait toucher par une simple prière... Il avait bien, comme cela, un air dur, une parole brève, un geste impérieux, mais au fond, il ne manquait pas de sensibilité. Il n'était pas injuste; il ne voudrait pas, bien sûr, persécuter son semblable, faire du tort à son prochain. Il allait à l'église. Il entendait les sermons. Il comprenait, comme les autres, les paroles de l'évangile si bien expliquées par le curé...

Ces bribes de réflexions venaient tour à tour, à son esprit, quand elle cessait de chanter... et elle se sentait heureuse de pouvoir penser du bien d'un homme dont elle avait eu peur.

Bataille d'âmes

Подняться наверх