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XIII UNE HEURE CHEZ PIERRE LONGPRE

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--Je vous ferai la lecture, ce soir, dit Lucette, souriante, en déposant sur un lit sa collerette et son chapeau.

Elle s'adressait à ses parents. A son père qui rentrait du champ, à sa mère qui venait de pousser le rouet dans un coin, à ses frères, à ses soeurs qui jouaient au cheval, à la poupée, ou aidaient à mettre tout en ordre dans la maison.

Elle venait de l'église et apportait un livre de la bibliothèque paroissiale, un livre amusant et qui plairait.

--Je suis un peu fatigué, mais j'écouterai bien pendant une heure, assura le père.

Et la mère dit:

--Pendant toute la nuit, moi, j'aime tant ça, les histoires!... je tricoterai pour ne pas faire de bruit.

On se mit à table pour le souper. Longpré paraissait un peu songeur. Il aimait à causer, pourtant... Il racontait d'ordinaire à la famille ses travaux de la journée, ses espérances et ses appréhensions. Rien ne le trouvait indifférent et il était très ouvert.

Louis Dupont entra. Dupont, son voisin, qui partait pour les États-Unis.

--Je viens passer mon dernier soir avec vous, dit-il, si ça ne vous dérange point.

--Nous en somme enchantés, mon cher Louis, lui répondit Longpré. Viens manger la soupe.

--Merci, j'ai soupé avec nièce, la veuve Duchesne, je viens de la quitter.

Madame Longpré eut un léger mouvement de dépit à cause de la lecture qui allait être remise au lendemain. Il fallait bien tenir compagnie à ce voisin que l'on ne verrait plus jamais peut-être. Il avait été un bon voisin. On s'était toujours bien accordé. Celui qui le remplacerait serait peut-être désobligeant, peu sociable. On ne savait pas.

La conversation roula sur bien des sujets. Il fallait parler de tout. Les deux homme se félicitaient de n'avoir jamais eu de chicane. Ils s'étaient entendus à merveille pour les travaux mitoyens, faisant tout ce qui était nécessaire mais n'exigeant l'un de l'autre rien de plus. Et les femmes avaient veillé sur leurs enfants, s'aidant avec charité au lieu de se regarder avec méfiance, ne se laissant pas aveugler par l'amour maternel, et petites âmes toujours prêtes à la révolte. Elles n'avaient pas à se reprocher d'avoir trop souvent écorché l'épiderme des autres mères de famille. Elles n'avaient pas colporté d'une maison à l'autre, les petites nouvelles dont on s'amuse tant à la campagne, à cause de la connaissance que l'on a des lieux et des personnes.

--Il me semble, disait Longpré que je vais avoir un voisin dangereux. C'est une idée qui me fait mal, et dont je ne puis me défaire.

--Zidore n'a pas l'intention de vendre, répondit Louis Dupont; il veut cultiver ma terre lui-même, et la défricher d'un bout à l'autre.

--Cela me ferait de grands frais de clôture et de fossoyage, reprit Longpré, toujours un peu triste.

--C'est probablement ce qu'il veut, remarqua Madame Longpré.

--Je sais qu'il vous garde un peu rancune, depuis la Saint-Pierre, parce que vous ne l'avez pas régalé d'un cousin.

--Nous ne pouvions pas en donner à tout le monde, et tout le monde aurait passé avant lui, répliqua-t-elle.

--Il a eu la visite d'un de ses anciens amis de la ville, reprit Dupont, un ami qui ne lâche pas facilement et qui s'est fait héberger huit jours durant.

--Et qui a fait des adieux touchants à Madame Tourteau, ajouta Longpré avec un grain de malice.

--Je connais Christine et je suis sûre qu'elle est blanche comme neige. On la calomnie, se hâta de dire Madame Longpré.

--C'est son mari lui-même qui a ébruité la chose; sans lui, personne n'en aurait jamais entendu parler.

--Raison de plus pour n'en rien croire. Un mari qui se déshonore pour se venger, est bien capable de mentir pour perdre sa femme.

--On n'a jamais entendu dire qu'il fût un mauvais citoyen, continua Longpré, qui avait peur de la médisance.

--Il aime bien le sien, glissa Dupont, de façon à faire comprendre qu'il aimait bien un peu aussi celui des autres.

--Il aime qu'on le paie à l'heure dite, observa Longpré, en soulignant avec un sourire... Il connaît sa table de multiplication et ses règles d'intérêt; cependant il n'est pas intraitable. Ma fille a été le voir, l'autre jour, au sujet d'un billet et il ne l'a pas découragée. Il n'a pas fait de promesses, c'est vrai, mais il y a lieu d'espérer qu'il ne se montrera pas trop dur, si je ne puis payer.

--Je te souhaite bonne chance. S'il était veuf, je dirais que c'est pour les beaux yeux de ta fille qu'il se montre accommodant. Il est très sensible aux caresses des beaux yeux... Tu connais l'histoire de la javelle qui danse?...

--Allons! Allons! intervint Madame Longpré, vous vous confesserez de cela.

--De quoi?... Je ne dis rien. Madame Longpré. Tout de même, laisseriez-vous vos jeunes filles aller faner du foin dans ses prairies ou couper du blé dans ses clos?

Une voiture s'arrêta devant la porte.

--Quand on parle de la bête elle se montre la tête, continua Dupont: c'est lui. Il m'apporte la balance du prix de ma terre.

En effet, c'était Zidore Tourteau. Il attacha son cheval à un piquet et entra. Il n'avait pas l'air de bonne humeur. Longpré lui offrit de dételer, mais il remercia: il n'avait pas le temps. On ne s'absentait pas aisément maintenant, les chemins étaient couverts de vagabonds qui guettaient l'occasion de mal faire. Les femmes n'étaient pas en sûreté dans leur cuisine... Evidemment, il faisait allusion à ce qui venait de se passer chez lui. Dupont et Longpré se mordirent les lèvres pour ne pas rire.

Il s'approcha de Dupont.

--Mon cher Louis, dit-il je ne puis pas te payer maintenant.

Dupont qui tendait déjà la main pour recevoir son dû, le regarda tout décontenancé.

--Comment, monsieur Tourteau!... Mais vous badinez... Ma famille qui m'attend là-bas!... Je sais bien que vous dites cela pour rire, l'argent, ce n'est ce qui manque chez vous.

--Chez moi tu ne trouverais pas un sou. J'ai été pillé, volé, plumé comme un serin qui tombe dans les pattes d'un chat. Ma montre d'or, mon argent, tout a été pris! Et par ce misérable à qui je donnais l'hospitalité avec plaisir!... Plus que cela, cet homme sans coeur et sans honneur était en train de me voler ma femme, sous prétexte de cousinage En voilà une raison!

--Ah! c'était votre parent, fit madame Longpré, toute contente de trouver une excuse à la conduite de son amie Christine.

--Eh mon Dieu! c'est Charles Racinot, son cousin à elle, une canaille...

--Charles Racinot? dit Longpré, étonné... il y avait bien longtemps qu'on n'avait entendu parler de lui. Il est parti jeune d'ici...

--Vous allez le faire arrêter? demanda Dupont.

--Je vais le faire arrêter, oui sans doute. Tout de même ça ne se fait pas si vite qu'on le pense et qu'on le dit... Et puis il va se cacher. Il n'est pas pour aller se jeter dans les griffes de la police...

--Cher monsieur Tourteau, reprit Dupont, vous trouverez facilement à emprunter cette petite somme que vous me devez, et vous ne retarderez pas davantage mon départ, n'est-ce pas? Tout ceux qui ont de l'argent vous prêteront avec plaisir.

--Oui, oui, et avec intérêt.

--C'est possible, mais enfin quand vous prêtez, vous, c'est avec intérêt aussi: il ne faut pas que vous reprochiez aux autres ce que vous faites vous-même. Je ne dis pas que c'est mal, remarquez bien.

--Tiens Louis, j'ai songé à une affaire. Tout va s'arranger. J'ai le billet de Longpré payable ces jours-ci, à la Saint-Michel. Ce n'est pas long. Je vais te le donner c'est de l'or. Longpré paie toujours au temps dit. C'est une parole de roi. Si tu veux partir absolument, tu négociera le billet.

Longpré sentit du froid au coeur.

--J'espérais, Zidore, que tu serais assez bon pour ne pas exiger tout le montant... Je me trouve fort à la gêne... Ma fille te l'a dit, je crois.

--C'est vrai, mon bon, c'est vrai, elle me l'a dit... Mais tu sais ce qu'il m'est arrivé depuis.

Il cherchait des yeux la jeune fille.

--Je ne la vois pas... Elle n'est pas ici ta fille? ajouta-t-il.

Lucette était dans une autre chambre avec ses petits frères et ses petites soeurs. Elle leur faisait réciter les prières du soir.

--Me voici, monsieur Tourteau, me voici! fit-elle accourant toute souriante.

Il lui serra la main avec une cordialité exagérée.

--Vous ne ferez pas de peine à mon père? demanda-t-elle.

--Non, non! Nous arrangerons cela. Tu sais, les affaires sont les affaires. Je donne le billet en paiement... c'est de l'argent comptant. Dupont est satisfait et moi, je m'acquitte. A la Saint-Michel, si ton père est dans l'embarras, il viendra me trouver... ou plutôt tu viendras, toi. Nous nous arrangerons mieux ensemble. Je verrai le porteur du billet et tout le monde sera content.

Il devenait presque joyeux. La vue de la belle enfant fondait sa morgue comme un rayon de soleil fond un flocon de neige. Il endossa le billet et le tendit à Dupont. Dupont hésitait.

--Si tu refuse, tant pis: tu pourrais bien ne pas partir avant les neiges.

Dupont eut envie de le souffleter.

Lucette prit son livre et se mit à le feuilleter, lisant quelques lignes par-ci par-là, pour en découvrir les données.

--Lis donc tout haut, demanda Zidore, j'aime beaucoup à entendre lire et chez nous on ne lit jamais.

Ce qu'il voulait, lui, c'était un prétexte pour rester là, et regarder à loisir la jolie liseuse.

Bataille d'âmes

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