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IV UNE LETTRE ET UN SIGNE DE
CROIX DE BANCALOU

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Table des matières

Un petit garçon arriva en courant. Il apportait une lettre:

--Un homme de Montréal qui m'a donné cela pour vous, monsieur Tourteau, fit-il tout essoufflé.

--C'est de mon avocat, je suppose, murmura l'habitant revêche.

Il poursuivait un ouvrier de la ville, son ancien associé, pour sa part dans une entreprise vieille de bien des années déjà. L'ouvrier refusait de payer affirmant qu'il ne devait rien, qu'il avait réglé et payé plus que de raison. Zidore riait et demandait la production des reçus. Or, il n'en avait jamais donné.

Il déchira l'enveloppe et regarda la signature.

--Hein! Bancalou?... grommela-t-il... Le diable ne l'a pas encore emporté?

Il lut:

Cher frère en... Sa Majesté Satan.

Je voudrais me rendre à ta maison pour te dire "viva voce".--une expression que j'ai rapportée du séminaire: "viva voce", de vive vois,--ce que je t'écris sur la table de l'auberge, en face d'un forgeron qui frappe dur sur l'enclume, et derrière une porte mal fermée, qui me cache mal aux yeux d'une femme plus curieuse que belle; mais il faut partir avec le postillon dans un quart d'heure. Des affaires pressantes me rappellent.

Je voulais me rendre à ta maison pour me jeter à tes genoux, au nom d'une femme que tu as bien connue, alors qu'elle était jeune et qu'elle courait nu-pieds dans les joncs des îles, parmi les alouettes et les sarcelles, les canards et les hérons. C'est la femme de Michel Vallier, ton ancien associé. Elle te supplie par ma bouche indigne, mais par vos dignes escapades, alors que vous vous berciez sur les vagues du fleuve et sur les ailes du rêve, vous jurant un amour sans fin, dans un canot fragile que le courant emportait...

Ce que je suis chargé de te dire, au nom de Mathilde Lacasse, ton ancienne... Les longues phrases me fatiguent plus que les longues routes, et je perds le fil de mon discours plus vite que ne ne perds haleine.

Je l'ai!... Eurêka! un mot grec, celui-ci qui me vient du séminaire, comme l'autre, et qui veut dire: j'ai trouvé.

Voici. Mathilde Lacasse, ton amie de l'île Madame, au temps jadis, te supplie de ne pas être dur envers son mari, son cher Michel. Car Michel Vallier, que tu poursuis, est son légitime. Elle dit qu'ils sont pauvres et que le pavé les attend, si tu fais vendre leur maison. Elle croit que tu fais erreur, car son mari lui a toujours affirmé qu'il ne devait rien à personne. Et il passe pour un bon chrétien, soit dit sans t'offenser.

Je te connais assez pour savoir que tu hésiterais à te rendre coupable de la moindre injustice, envers le moindre "Quidam", encore un mot latin que j'ai pris au séminaire.

Maintenant, je me relève, puisque j'étais à tes genoux, et je monte avec le postillon. Si tu veux savoir comment il se fait que je suis dans l'intimité de Madame Vallier, je me hâterai de te le dire, afin que tu ne portes aucun jugement injurieux sur ta vieille amie et ton vieux copain.

Je suis en pension chez elle. Le ma ri est malade et ne peut plus travailler. Nous sommes trois en pension, trois ouvriers tanneurs.

Tu ris?... Ma foi! je fais du cuir. Au séminaire, je faisais des cuirs. C'est une manière de continuer mes études. Tout de même, je ne peux pas dire que je fais de l'argent comme du poil.

A bientôt.

Le postillon m'appelle, le devoir aussi.

Ton antique,

BANCALOU.

Zidore Tourteau eut un sourire méchant. Les souvenirs évoqués par Bancalou ne l'attendrirent point. Cependant il repassa avec volupté dans sa mémoire tout à coup réveillée, les plaisirs de sa libre et aventureuse jeunesse. La jalousie qui dormait au fond de ses entrailles, toujours prête à sourdre comme le jet d'une source empoisonnée, aurait noyé tout sentiment de pitié, s'il eut été possible qu'un pareil sentiment germât dans de pareilles entrailles. Elle s'adressait mal, Madame Vallier. Elle ignorait sans doute que les libertins sont des cruels raffinés, et que les passions brutales ravagent le coeur comme elles épuisent le corps.

Zidore Tourteau oublia Longpré. Une heureuse diversion s'offrait. Il allait faire sentir à cette femme autrefois aimée sa puissance nouvelle et son influence redoutable. Elle l'avait fui, un jour, après mille serments de fidélité, et aujourd'hui, elle venait à lui en suppliante. O la bonne histoire! Comme cela s'arrangerait bien!

Son mari, son cher mari, elle le verrait descendre, comme l'autre d'ici, comme Longpré, pas à pas, jusque dans le chemin. Dans le chemin c'est-à-dire, s'en aller quelque part ailleurs, sans savoir où, l'un suivant l'autre, à la file, homme, femme et enfants, traînant des loques et pleurnichant.

Ami lecteur, il n'est pas nécessaire, sans doute, que je présente Bancalou. Si les nombreuses années qui se sont écoulées depuis que tu l'a vu à l'île aux Ours te l'ont fait oublier, il va te suffire de le voir marcher en se berçant et de l'entendre gouailler la vie, pour te rappeler son surnom et te faire deviner son caractère.

Élevé chrétiennement par une mère plus pieuse qu'énergique, il a gardé une étincelle de foi, bien enterrée, hélas! sous les cendres de sa folle jeunesse. Forcé d'abandonner des études assez bien commencées, à cause de son incorrigible espièglerie et de la gêne de sa famille, il a dégringolé au bas de l'échelle. Et voici maintenant qu'il vient préparer les voies d'un sacrilège à des compagnons plus mauvais que lui.

On disait que la fabrique de Saint-Ixe était riche, et que l'église possédait de nombreux vases d'or et des statues d'argent, et des lampes se vermeil. Il y aurait une superbe levée à faire. On commencerait une collection sacrée qui se transformerait plus tard en bonnes pièces sonnantes. Il fallait amasser pour les mauvais jours. Le chômage devenait nécessaire quand tout le monde était sur le qui-vive et faisait le guet.

Bancalou entra dans l'église et s'avança jusqu'au balustre où il s'agenouilla, parce qu'il y avait quelqu'un dans la nef. Tout à coup il entendit une volée de notes mélodieuses s'échapper du jubé de l'orgue. Il se retourna et vit une jeune fille assise au clavier. Il jugea qu'elle était bien petite pour se faire obéir d'un instrument aussi grand. L'orgue modula des choses si suaves qu'il se sentit ému. Il y avait bien longtemps que la musique sacrée avait ainsi vibré à ses oreilles. Depuis le collège peut-être. Ce n'était plus des chants religieux, qu'il entendait... Pourquoi donc?... Il y avait perdu au change... Mais il était trop tard.

Peu à peu le voile du passé se déchira, et lentement, sans qu'il s'en aperçut, il glissa sur la pente douce des souvenirs. Il avait, tout jeune, vu, chaque dimanche, le curé monter dans cette chaire sculptée, pour parler aux gens du bon Dieu et de la Sainte-Vierge, pour leur dire qu'il fallait s'aimer les uns les autres, pardonner et faire du bien... Il revoyait les orbes de la fumée bleue de l'encensoir que balançaient des petits garçons comme lui. Il s'était même assis dans le choeur, un jour de semaine, avec un surplis blanc et une jupe noire qu'on lui avait prêtés. Là, à la table sainte, un jour, avec bien d'autres enfants heureux comme lui, il avait fait sa première communion. Oh! comme c'était loin déjà! Et comme il avait oublié les promesses pieuses d'alors!... Il retrouvait la place de tous ceux qu'il avait connus. Ici le banc du père Longpré, là celui du bonhomme Duquette. A côté le long du mur, vis-à-vis la troisième fenêtre, le banc de sa famille... Longtemps il rêva, oubliant qu'il était entré pour profaner le temple. Et quand lui revint à l'esprit le projet sacrilège qu'il avait formé avec ses complices, il se sentit inquiet.

La jeune organiste descendit et vint s'agenouiller devant l'autel tout près du balustre. Ensuite, elle alla prier au pied de la statue de Marie immaculée. Il fut surpris de sa beauté et ne pouvait en détacher ses regards. Il se sentait fasciné par le charme indéfinissable de cette figure brune teintée de rose, et surtout par le rayonnement d'une candeur qu'il n'avait encore jamais vue.

Quand elle sortie, elle le regarda, et son oeil radisux tomba sur lui comme un reproche brûlant. Machinalement il ouvrit un livre de prière qui se trouvait sur la tablette du banc. Il lut:

"Nigra sum, sed formosa..." Je suis noire, mais je suis belle...

Puis, plus loin:

"Vous êtes toute belle, ô mon amie, et il n'y a pas de taches en vous."

Et, sur une autre page:

"Ce lieu est terrible. C'est ici la maison de Dieu et la porte du ciel. Il sera appelé le palais de Dieu... Que vos tabernacles sont aimables, ô Dieu des armées! Mon âme languit et se consume du désir d'entrer dans la maison du Seigneur."

Il ferma le livre et sortit. Mais avant de franchir le seuil, il trempa son doigt dans le bénitier et fit le signe de la croix, instinctivement, et tout en pensant à autre chose.

--Tiens! fit-il, quand il s'aperçut de son acte de piété, c'est drôle, ces habitudes de l'enfance comme çà dure longtemps.

Et il ajouta:

--Non, je ne veux pas!... Qu'ils s'arrangent!

Il est probable qu'il pensait à son projet criminel et à ses compagnons.

La petite musicienne s'en allait d'un pas gracieux, lentement sur le trottoir qui rayait la route d'un trait blanc et droit.

--Comment s'appelle cette jeune fille qui vient de sortir de l'église et s'en va là-bas, demanda-t-il à un petit garçon?

--C'est mademoiselle Lucette.

--Lucette qui?

--Lucette Longpré.

--La fille de Pierre?

[----]ques, fit le gamin en se sauvant.

--Est-il heureux, ce coquin de Pierre!... Et dire que si je m'étais conduit mieux, j'aurais pu... Enfin, il est trop tard!

Il reprit le chemin de la ville avec le postillon, après avoir écrit à Zidore la lettre que nous avons lue.

Bataille d'âmes

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