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X ZIDORE ENTRE ET BANCALOU SORT

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Jamais Zidore n'avait trouvé si peu de charmes à la pêche. Et, comme pour ajouter à son déplaisir, l'achigan, d'ordinaire assez gourmand flairait l'appât sans y mordre. Le temps lui paraissait long, et à chaque moment, par une vieille habitude, il portait la main à son gousset pour en tirer sa montre. Chaque fois, c'était une déception et un juron.

De temps en temps, il se retournait pour chercher Bancalou au sommet de la côte, et toujours son oeil inquiet ne rencontrait que les sapins maigres qui avaient l'air de se moquer, et les taches de sable jaune qui s'agrandissaient à chaque printemps, sous l'action de l'eau, dans le dégel.

Une petite mouche, verte comme une émeraude et légère comme le pollen des fleurs, rasa, de son aile vibrante, l'eau noire du bassin. Je ne sais pourquoi cet homme indifférent aux choses admirablement belles de la nature agreste, pensa alors à Lucette, la brune enfant de Longpré, et la vit, svelte et nue comme l'insecte brillant, voltiger devant ses yeux, dans un rayon de lumière, au-dessus du flot profond qui s'en allait avec lenteur.

Un poisson monta du fond de l'eau, tout à coup, sortit d'un bond de sa retraite impénétrable et happa goulûment la mouche aux reflets de gemme. Cela fit glisser l'esprit de Zidore vers un ordre d'idées funestes. Il resta longtemps à contempler la vision séduisante. Sa ligne allait au fil de l'eau, comme sa pensée au gré de la sensuelle passion. Quand il s'éveilla comme d'un sommeil agréable, il se hâta de remonter l'écore pour rejoindre son ami.

Il avait enfilé, par les ouïes, dans une branche de saule, deux achigans aux flancs plats et moirés.

Sous la pruche feuillue où s'était couché Bancalou, l'herbe était froissée, mais il n'y avait personne.

--Le maudit! grinça-t-il, je m'en doutais... j'aurais dû l'étrangler ou le noyer.

Il prit le chemin de sa maison.

--Le gros poisson mange le petit, avait dit Bancalou, en regardant Tourteau descendre par sauts et par bonds, la côte abrupte de la rivière, et il s'était jeté sur le lit de mousse et de gazon que gardaient de leur grand voile, les rameaux épais. Il n'y resta pas longtemps.

--Mon voyage est assez payé, pensa-t-il, et je puis dire au revoir à l'ancien.

Il se leva, se rendit au bord de la rivière, regarda Zidore qui, debout, tête basse, le regard fixe, attendait patiemment le poisson qui ne se hâtait pas.

--Adieu, mon excellent ami, dit-il, assez bas pour n'être pas entendu... j'emporte ta montre pour voir l'heure des rendez-vous aux carrières... si les temps deviennent trop durs, je l'échangerai contre une croûte de pain.

Comme il arrivait à la maison il rencontra Tiquenne. Il en fut contrarié, car il voulait se faire une petite provision d'oeufs et de poulets, pour son retour, et ce gars qui le suivait partout allait le gêner.

--Tiquenne, mon moineau, ça m'ennuyait de pêcher, lui dit-il, je ne sais pas le tour de la ligne, moi, et quant à m'en revenir bredouille, j'aime mieux que ce soit tout de suite. Va prendre ma place, cours, ton père t'attend.

--Papa m'attend?... Vous êtes bon, vous, de croire que je vais courir une lieue pour me jeter dans ses pattes.

--Faut obéir à son père, mon garçon.

--A mon père, oui, mais pas à vous.

--C'est lui qui te demande.

--C'est vous qui le dites.

--Tu vas être mis au pain et à l'eau.

--Dame! que voulez-vous?... je fais mon noviciat.

--C'est ça, mon petit.

Souffre quant tu seras enclumeau,

Et frappe quand tu seras marteau.

--Y a-t-il loin d'ici à Montréal? demanda l'enfant.

--As-tu envie de te rendre dans la grande ville?

--Pourquoi pas?

--Tu vas t'y perdre; tu es trop petit.

--Est-ce que tout le monde est grand dans une grande ville?

--Tiquenne, mon galopin, tu iras loin.

--Et, je ne reviendrai pas.

--Mais tu as une mère.

--Mieux voudrait n'en avoir jamais eu.

--Tu serais drôle à voir. Va toujours:

Bon temps et bonne vie

Père et mère oublie.

Madame Tourteau sortit à ce moment et l'intéressante conversation fut interrompue.

--Je reviens seul, fit Bancalou, franchement la pêche à la ligne ne me dit pas grand-chose. On ne peut pas choisir; il faut prendre ce qui s'offre. La chasse, par exemple... Oh! la chasse, ça me connaît!... Parlez-moi de tuer une outarde au vol, de faire lever une bécassine, de mettre du plomb dans l'aile d'un canard.

--Il me semble que Zidore aurait dû revenir avec vous, observa la femme.

--Je n'ai pas voulu le déranger. La pêche, c'est son passe-temps favori. Il est familier avec le poisson... S'il pouvait vivre dans l'eau, il serait le plus heureux des hommes.

Ils entrèrent. Lui, il alla s'asseoir près d'une fenêtre, dans une grande chaise. Elle demanda:

--Va-t-il au moins apporter de l'achigan pour le dîner?... Dans tous les cas, ajouta-t-elle, on va dîner un peu tard... Vous avez peut-être faim?... Vous venez de faire une longue marche.

--Bah! j'attendrai bien... Cependant une gorgée de lait m'irait à merveille... une gorgée avec une croûte.

Pendant qu'elle apportait du lait et du pain il demanda:

--Christine Morin est-elle encore du monde?

--Christine Morin? répéta Mme Tourteau, surprise.

--Oui, la fille du père Pierre-Michel qui demeurait dans la petite concession de la rivière.

--Est-ce que vous l'avez connue?

--Si je l'ai connue!... Oh! la! la!

--Etes-vous de la paroisse, vous?

--Moi, je suis né à l'ombre de la croix noire, là-bas... Une bonne place pour prier. Aussi, je ne viens jamais de ce côté, sans m'agenouiller sur la pierre une minute. Pourtant il y a longtemps que j'ai oublié mes prières... Je ne dis pas ça par fanfaronnade... Je sais bien que j'ai tort. Que voulez-vous? Je suis dans l'engrenage du crime... Mais la croix, la vieille croix où ma pauvre mère allait pleurer, le soir, en me traînant par la main, je l'aime toujours.

Si vous êtes parti jeune, vous ne pouvez pas avoir connu bien intimement Christine Morin, la fille du père Pierre-Michel, reprit la femme de Zidore, devenue curieuse.

--Oh! j'avais une quinzaine d'années... et, elle, une dizaine, je suppose. Des amis d'enfance... Nous étions des amis d'enfance.

-Quel est donc votre nom? mon mari dit que vous vous appelez Bancalou, tout court, mais je sais bien que vous avez un autre nom. Il n'y a pas de Bancalou dans la paroisse.

--Je pensais que vous le saviez; je n'ai jamais caché mon vrai nom, c 'est une idée de Zidore, de dire cela. C'est vrai que tout le monde m'appelle Bancalou, et je laisse faire. Ça m'est égal.

--Quand on a un bon nom, on doit le porter avec orgueil, même s'il sonne mal à l'oreille; mais le nom d'un honnête homme ne sonne jamais mal.

--C'est vrai, madame, c'est vrai... Vous avez connu Grégoire Racinot?

--Grégoire Racinot? Je crois bien, c'était notre troisième voisin et mon oncle, par-dessus le marché... le frère de ma mère.

A son tour Bancalou parut étonné. Il regardait avec une fixité inquiétante la femme de son ami, comme pour chercher dans sa figure des traits effacés.

--Seriez-vous une des filles du père Pierre-Michel?

--Je suis Christine Morin, dont vous parliez tout à l'heure...

--Non!... Ce n'est pas possible... Christine?...

Et il la regardait maintenant avec des regards presque attendris.

--Et bien! moi, reprit-il, je suis Charles Racinot...

--Mon cousin! clama la femme, le garçon de mon oncle Grégoire!...

--Ton cousin et ton petit ami d'enfance.

--Et ils se mirent à rappeler les souvenirs anciens.

--Te souviens-tu, dit-il, de nos cueillettes de fraises dans la prairie de Jacques Leblanc?... quand le bonhomme tirait du fusil pour nous effrayer.

--Une fois, ajouta-t-elle, il nous avait ôté nos fraises et il avait tout gardé, fraises et paniers.

--Mais l'automne on se dédommageait bien par nos incursions dans son verger. Si tu as mordu à la pomme, c'est un peu de ma faute... J'allais vendre les pépins au père Duquette Oh! la bonne farce!

--Y a-t-il longtemps que tu as vu ton père? N'es-tu pas venu dans la paroisse quelquefois au moins depuis ton départ?

--Je n'ai pas mis les pieds à Saint-Ixe depuis que j'en suis parti... c'est à dire que j'y suis venu au commencement de l'été, pour la première fois et je n'y ai séjourné qu'un instant.

--C'est mal cela...

--Peut-être... Mon père vit-il encore?... et ma soeur? Et mes frères?

--Tout ce monde-là est plein de vie.

--J'ai été bien oublieux, c'est vrai; j'ai honte de moi.

--Montréal, ce n'est pas loin pourtant.

--C'est vrai, ce n'est pas loin, mais si l'amitié raccourcit les distances l'indifférence les allonge.... Les miens aimaient autant ne pas me voir, et moi, il faut bien l'avouer, j'aimais mieux ne pas me montrer. Vois-tu, je n'ai pas toujours été de la croix de Saint-Louis... J'ai fait des chutes et des rechutes... Si encore j'étais tombé comme Notre Seigneur, sous le poids de la croix, acheva-t-il dans un rire sardonique.

--Il faut avoir le courage de se relever, cousin.

--C'est ce que je fais, cousine, et voilà pourquoi je retombe... Pourtant quelque chose me dit que je finirai par rester debout... Ah! si ma pauvre mère vivait encore!... Enfin, je retrouve une cousine que j'aimais bien.

En disant cela il s'était levé. Il s'approcha de madame Tourteau.

--Après tant d'années de séparation, il est bien permis de s'embrasser, fit-il... Un bon baiser au départ, un bon baiser au retour, ce n'est pas de l'abus, ça.

Et le cousin et la cousine s'embrassèrent comme de bons parents sans fausse honte et sans mauvaises intentions.

Zidore entrait. Il demeura cloué sur le seuil de la porte. Il n'en pouvait croire ses yeux. Il pâlit de colère et fut tenté de les jeter dehors l'un et l'autre par la fenêtre.

--Canailles! hurla-t-il à la fin j'arrive mal à propos, hein? Vous ne me pensiez pas si proche!...

Bancalou éclata de rire.

--Ecoute, fit-il,

C'est l'amorce qui attire le poisson,

Ce n'est pas l'hameçon...

--Zidore, reprit la femme, un peu mal à son aise, ne me juge pas mal, c'est mon cousin... Tu sais? Charles Racinot, le garçon de mon oncle Grégoire...

--Des cousins comme ça qui nous envoient pêcher pour venir embrasser leur cousine, on n'en a que faire, et plus leurs visites sont rares, plus elles sont agréables. Quant à toi, Christine, je te surveillerai, je te le promets!

Il se doutait bien comment la chose était arrivée, mais il affectait la colère pour se débarrasser de Bancalou. Ça tombait à merveille, Bancalou voulait d'une querelle pour opérer sa sortie. Comme cela, accablé d'injures, menacé de coups, il se sauverait avec la montre, tout en ayant l'air de l'emporter par mégarde. Il est toujours bon de protéger sa réputation, si avariée qu'elle soit.

--On n'outrage pas ainsi un ami éprouvé comme moi, répliqua-t-il avec emphase. Ma vertu vaut la tienne... et si je voulais... zut!... tu sais?

Il fit un geste en se touchant le cou, et s'élança dehors.

Bataille d'âmes

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