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IX UN BAISER QUI FAIT DU BRUIT

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Table des matières

Plusieurs charpentiers travaillaient dans un coin de la prairie, en arrière de la grange. Ils se hâtaient d'achever le moulin de Zidore. Un beau moulin celui-là, avec des ailes que le vent aurait du plaisir à fouetter.

--Savez-vous la chose? demanda l'un d'eux, en se redressant, Madame Zidore...

Il s'interrompit et regarda autour de lui, autant par plaisanterie que par crainte.

--Elle n'est pas ici, je suppose, ajouta-t-il.

-Non, non; elle est allée à l'autre bout de la paroisse avec son gentil mari. Tu peux parler.

--Ils sont allés voir leur terre nouvelle, dit un autre, la terre de ce pauvre Louis Dupont.

--Zidore a acheté la terre de Dupont?

--Oui, pour être voisin de Longpré. Ce malheureux Longpré, je le plains.

--Et Dupont va prendre le chemin des États?

--Sa famille est partie déjà.

Je ne sais pas quand va s'arrêter cette triste procession des nôtres vers les pays étrangers, observa le plus âgé des travailleurs.

--Quand nos gouvernements tendront une main paternelle aux colons.

--La colonisation, affirma un autre, c'est notre unique planche de salut.

--Il ne s'agit pas de cela. François avait quelque chose à nous dire.

--Parle, François, dis de madame Zidore tout le mal que tu voudras, elle ne peut t'entendre.

--Je ne dis jamais de mal de personne, assura gravement un jeune ouvrier, en s'appuyant sur le manche de son herminette.

--Ton histoire?

--Savez-vous que madame Zidore s'est laissée embrasser?

--Par qui? Par toi?

--Non, je n'aurais pas osé... oser.

--Elle est bonne, celle-là, madame Zidore, une scrupuleuse qui ne rit jamais quand on dit une parole un peu... déshabillée.

--Où ça que c'est arrivé, cet accident-là? fit un autre, un loustic, Bébé Ouimet, le garçon d'Epaminondas.

--C'est arrivé entre la huche et la table, dans la maison de Zidore, vers les six heures de la relevée, un jour de la semaine dernière, continua François.

--Il y avait donc des témoins; alors le mal n'est pas grand... le plaisir non plus.

--Tourteau est arrivé pendant que l'embrassade battait son plein.

--Et comment se nomme le coupable?... Non, le chanceux?... Est-il du canton? Est-ce une connaissance, un ami?... Il n'y a qu'un ami pour faire de ces choses.

Les ouvriers prenaient un quart d'heure de récréation. Un peu de rire repose de beaucoup de travail.

--C'est un étranger, paraît-il, répondit François, un écumeur de basse-cour qui s'est réfugié chez Zidore, ne sachant où aller.

--Tu dois être mal renseigné, mon garçon. Tourteau n'ouvre pas sa porte comme cela à tout venant.

--Voilà une petite histoire qui va faire son chemin, on aime tant à médire. Allons, mes enfants, à l'ouvrage, ordonna le chef des ouvriers.

En effet la jolie médisance vola de bouche en bouche.

--Savez-vous la chose, ma chère...? disait la voisine à sa voisine, avec un sourire mordant sur les lèvres.

--Oh! oui! c'est assez plaisant... Elle est pourtant de la Sainte-famille...

--Et de l'Association de prières!

--Du cordon de St-François, s'il vous plaît?

--Mieux que cela, du Tiers-Ordre, ma chère Dame!...

--Et lui, ce gueux-là, il paraît que c'est un rien qui vaille, un aventurier.

--Pas beau du tout...

--Des jambes croches.

--Il y en a qui peuvent enjôler une Sainte Vierge, tant ils ont la langue bien pendue.

--Lui, on ne peut guère le blâmer, il cherchait une aventure, il l'a trouvée.

--On sait bien, les hommes... Le dimanche, à l'église, tout le monde la regardait, les femmes, avec mépris, les hommes avec curiosité. Elle se sentait écrasée sous le poids lourd de tous ces regards mauvais. Elle avait conscience du mépris qu'elle inspirait, sans cependant savoir que la chose était ébruitée, et connue en dehors de sa maison.

--Une jeune fille vint à elle, souriante et pleine de prévenances, et lui parla longtemps devant les femmes, à une réunion de la Sainte-Famille, c'était Lucette Longpré.

Plusieurs pensèrent qu'elle ne savait rien; d'autres s'imaginèrent qu'elle voulait leur faire la leçon, et se mirent à l'égratigner de la langue, d'autres aussi comprirent qu'il ne fallait pas être sans pitié, et que le Sauveur n'avait pas repoussé Madeleine.

Or, voici, ce qui était arrivé. Zidore et Bancalou étaient allés pêcher l'achigan, à une heure de marche de la maison. Un endroit superbe et peu connu. Un secret de Tourteau. C'est là qu'il venait se refaire des dépenses que lui occasionnaient les fâcheux. Le poisson ne coûtait rien. Un peu de temps perdu, c'est vrai, mais, le plus souvent, il envoyait son petit garçon, faire l'approvisionnement nécessaire. Cette fois, il voulut jeter la ligne et montrer à l'ancien comme il savait agacer le poisson et le piquer au bon moment.

Il avait autre chose en tête. La rudesse ne servait de rien avec Bancalou, il fallait changer l'arme d'épaule. Peut-être le bon compagnonnage rendrait-il plus raisonnable cet ami trop attaché, et il ne mettrait plus tant d'objection aux adieux. On lui dirait de revenir, s'il le fallait.

Ils marchaient dans la prairie un peu [---] ou à travers [---] qui paraissait un tapis tissé d'or, superbement déployé entre les clôtures grises, et quelquefois l'un derrière l'autre, ils suivaient l'écore de la rivière, sous les arbres encore verts, par les sentiers tortueux que les troupeaux battaient pour aller boire à la rivière. Zidore dit:

--Nous allons passer quelques heures agréables à la pêche, j'adore ça; le poisson, c'est un régal!

--Pêchons, goret, cochon, cochon,

La vie en l'eau, la mort en vin.

répondit Bancalou, qui avait un proverbe à mettre partout.

--Que diable bredouilles-tu là? Tu ne t'es donc pas corrigé de ta manie? fit Zidore.

Ils arrivaient sur une hauteur d'où le regard embrassait une superbe étendue de champs moissonnés et de pâturages, où les bêtes à cornes faisaient des taches mouvantes, et la petite rivière traversait, en se repliant toujours comme un serpent, cette campagne fertile. Zidore dit à son compagnon.

--Vois-tu, là-bas, à droite, tout près d'un bouquet de sapins, deux maisons, l'une à pignons rouges et l'autre blanche avec aussi en arrière, deux granges?...

--Oui, oui... le père Jérôme Duquet demeurait dans ce canton-là autrefois. J'ai saccagé ses pommiers en passant le soir, quand je travaillais aux récoltes chez Maxime Dufour. Il était mon fournisseur. Je lui vendais les pépins comme une grande rareté. Le bonhomme les semait dans des pots et passait des heures à regarder pousser les pommiers du paradis terrestre. J'appelais mes pépins les pépins d'Ève.

--Justement! c'est sur sa terre que tu vois la maison à pignons rouges. On a rebâti. C'est Pierre Longpré qui demeure là maintenant. Il est marié avec la fille du père Duquet, et il s'est trouvé tout habillé... Mais j'ai commencé à le déshabiller, moi... Il ne rendra pas de pain bénit de sitôt... J'ai acheté la terre voisine et j'aurai la sienne avant longtemps.

--Si tu était garçon, ou veuf, je te conseillerais de prendre sa fille plutôt... Une déesse, mon cher, une Vénus! Tu ne sais pas ce que c'est toi, qu'une déesse, tu n'as pas été au séminaire...

Ils arrivaient à l'endroit de pêche. La rivière faisait une courbe entre deux côtes où pendaient, accrochés par les racines, des sapins rabougris, descendait un rapide en jetant aux cailloux des aigrettes d'écume, et s'attardait, calme, dans une profonde échancrure du terrain.

--Nous y voici, dit Zidore. C'est là.

Et, de la main il montrait, en bas des rapides qui chantaient aux roches luisantes de leur lit, une monotone chanson, la mare sombre où le paresseux courant s'amusait à décrire des ronds qui s'effaçaient toujours.

--Déjà! répondit Bancalou, qui apparemment n'avait pas trouvé le chemin long.

C'est qu'il était un peu préoccupé. La préoccupation ça fait sonner les heures plus vite. Il ne faut pas croire qu'il était venu en villégiature chez son ancien compagnon. L'air pur des champs avec ses effluves d'arômes le laissait assez insensible. Le soleil lui brûlait la paupière, car son oeil s'était habitué à la nuit.

--Écoute, dit-il à son ami, je suis venu vite, j'ai vu assez, je vais dormir. Pêche, toi, et ne te laisse pas prendre par le poisson. Tu vas me prêter ta montre.

--Pourquoi ma montre? demanda Tourteau inquiet.

--Pour voir l'heure où il faut que je m'éveille...

--Je te réveillerai... Nous partirons dans une heure, si tu veux.

--Je pense que tu mets en doute mon honnêteté proverbiale, répliqua Bancalou.

Zidore regrettait d'avoir emporté sa montre. Une belle et bonne montre d'or qui n'avançait ni ne retardait. On pouvait s'y fier. Elle ne volait jamais une minute. Il la tira de son gousset, décrocha la chaîne pesante, bien attachée à sa boutonnière, et la donna à son ami. Bancalou l'examina avec curiosité, comme on fait d'une vieille connaissance, regarda l'heure, la mit à son oreille pour écouter le tic tac régulier et doucement sonore, la glissa dans la poche de son pantalon, et alla s'étendre sur l'herbe au-dessous d'une pruche aux grands rameaux soyeux.

Zidore descendit au bord de la rivière par un chemin abrupt, vis-à-vis les rapides, et il jeta aux poissons inoffensifs son hameçon cruel.

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