Читать книгу Bataille d'âmes - Pamphile Le May - Страница 5

III ZIDORE TOURTEAU EN DESHABILLE

Оглавление

Table des matières

La première chose que fit Zidore à son arrivée de l'église, fut d'ouvrir un coffret et d'en sortir, l'une après l'autre des liasses de papier ficelées avec de la laine. Chacune portait au dos un titre en grosses lettres: Billets, Reçus, Obligations... Et en fouillant dans ce tas d'écritures précieuses, il grondait de sa grosse voix rude:

--On va voir! mille gueux! On va voir!

Il détacha les billets. C'était un billet qu'il voulait voir.

--Ce doit être celui-ci, fit-il, en mettant de côté le document cherché. Et il lut:

Saint-Ixe, le 1er avril 18...

A six mois de la date ci-dessus je paierai à Zidore Tourteau ou à son ordre, la somme de cinquante piastres, valeur reçue.

PIERRE LONGPRE.

La valeur était un cheval. Longpré avait acheté ce cheval pour labourer d'abord et ensuite pour voiturer. Le vendeur l'avait dit sans défauts dans la force de l'âge et doux comme un mouton. Or, l'animal était vieux, rétif et paresseux, mais de belle apparence. Il y eut des pourparlers. Longpré se plaignit, supplia, fit des menaces. Zidore lui rit au nez.

--Tu ne sais pas soigner les chevaux, mon garçon... Tu l'as vu avant de l'acheter... Je l'ai mené devant toi... Entre mes mains, le cheval se comporte comme un charme... Il s'est gâté à ton service...

Et il finissait par lui donner un conseil:

--Prends la chose gaiement! on fait des sottises quand on se fâche. Il ne pratiquait guère, en ce moment, l'avis charitable qu'il avait donné à son concitoyen, car il était d'une grande colère, à cause de ce pain bénit. Et, certes, un peu moins de prétentions et un peu plus de réflexions lui auraient fait comprendre qu'il n'avait guère de titre à la reconnaissance de Longpré.

--Le premier avril, murmura-t-il... Six mois cela mène au premier d'octobre... Trois jours de grâce, bêtise!... Deux fois deux font quatre, mais six fois un mois ne font pas six mois; il faut y ajouter trois jours!... Il aura besoin de se lever matin Pierre Longpré, s'il veut être prêt avant moi, ce jour-là.

Un petit garçon vint le distraire, son petit garçon, à lui, un enfant d'environ dix ans, le deuxième d'une famille qui n'existait plus. La dyphtérie, le croup, la grippe, je ne sais quoi, avaient étranglé l'un après l'autre, à mesure qu'ils arrivaient, petits frères et petites soeurs. Tourteau n'en paraissait pas chagrin. C'était, pour l'avenir, moins de bouches à nourrir, moins de corps à vêtir, moins d'écoles à payer. Pourtant, si l'on en juge par le gamin qui est là, devant lui, les frais d'entretien n'étaient pas considérables. Nu-pieds, ébouriffé, une chemise un peu longue, une culotte un peu courte, maigre, osseux, l'oeil vif, le mouvement brusque tel apparaissait Tiquenne, de son vrai nom Etienne, comme le premier martyr.

--Que veux-tu, toi? demanda brutalement le père.

--Rien.

--Comment rien?... Sors! et vite! espèce de...

Tiquenne se ravisa.

--Il y a un étranger qui rôde par ici, dit-il.

--Laisse-le rôder.

--Si c'était un malfaiteur... Des fois.

--A-t-il parlé?

--Il m'a demandé si vous demeuriez loin.

--Qu'as-tu répondu?

--Pas bien loin, que j'ai dit... Une demi-heure de marche si vous avez bon pas, une heure si vous ralentissez de moitié.

--Quand cela?

--Pendant la messe.

--De quel côté s'est-il dirigé?

--Du côté de l'épître.. du côté de l'église, je veux dire.

--Un vieux? Un jeune?

--Ni jeune ni vieux.

--Grand?

--Pas grand, mais gros, et des jambes croches...

--Ah! des jambes croches!...

--Il a dit qu'il reviendrait... Je canotais là-bas...

--Que le diable l'emporte: Je n'ai pas besoin de lui.

Il ordonna à l'enfant d'aller mettre la charrette dans la remise, et d'accrocher le harnais aux chevilles de bois, après l'avoir bien essuyé. S'il restait de la poussière, il verrait.

Tiquenne se hâta d'obéir. Il le fallait bien, car le châtiment ne se faisait jamais attendre. Un châtiment cruel: le jeûne ou le pain sec. Des coups, parfois, mais assez rarement et toujours par-dessus le marché.

Zidore économisait ainsi du pain, du beurre et du lard. Au bout de l'année, la huche était plus remplie et le saloir, moins vide. Madame Tourteau ressentait toujours une angoisse pénible quand l'enfant malheureux tournait autour de la table, le ventre vide, regardant d'un oeil de convoitise, la soupe au lard qui fumait dans le plat de faïence, et le pain de blé dont le chien avait sa part. Souvent, quand le père impitoyable s'éloignait un peu, elle lui donnait quelque chose à manger: un peu de lait, une croûte cachée à l'avance, une pomme de terre bouillie... Mais le cerbère faisait bonne garde, examinant les restes du repas, marquant le pain et s'il découvrait la ruse de la mère, tant pis! C'était sur elle que tombait sa colère.

Il ne l'avait jamais aimée, cette femme et il l'avait épousée parce qu'elle apportait une dot. Celle qu'il aimait se mariait dans le même temps avec un forgeron du village, Jean Larose, si je me rappelle bien.

Christine Morin n'aimait pas non plus. Elle s'était sacrifiée à l'ambition de ses parents. Son coeur était ailleurs. Tout de même elle marcha droit dans la voie douloureuse et demeura ferme dans le sacrifice.

Zidore avait glissé sur la pente redoutable de l'avarice et son coeur s'était fermé à la charité. L'amour de l'argent remplaçait l'amour du prochain, et le son du métal résonnait plus doucement à son oreille que la prière du malheureux. Son jugement se faussa comme sa conscience et sa main se ferma comme son coeur. Il ne vit plus bientôt que des paresseux dans ces déshérités que le Sauveur appelait ses frères, et la présence d'un pauvre l'irritait.

--Qu'il travaille et qu'il ménage! s'écriait-il en tournant le dos... Avec du travail et de l'économie on s'enrichit toujours.

L'insensé! comme si l'on pouvait détourner le bras de Dieu, quand il faut qu'un juste soit éprouvé ou qu'un pécheur soit puni!... Comme si l'on pouvait faire de la terre un lieu de délices, de la vie, un but suprême et déjouer ainsi les desseins du Créateur! Certes, il faut travailler, c'est une loi divine, il faut économiser, c'est la sagesse humaine; mais tous ceux qui économisent ne jouissent pas du fruit de leur prudence. Il y aura toujours des accidents, des erreurs, des mécomptes. Il y aura toujours des pauvres dignes de pitié qui tendront la main, il faut donc qu'il y ait toujours des riches qui donnent.

Dès son jeune âge Zidore laissa deviner ce qu'il pourrait devenir un jour. Ce qu'il pourrait devenir, car on devient ce que l'on veut. Je parle de l'homme moral. Lui, attiré secrètement par le miroitement de l'or, il pouvait, s'il eut prié et réfléchi, comprendre que les biens ne nous sont donnés que pour un temps, et qu'il faut en faire un usage raisonnable. Il ne priait pas, disant qu'il était inutile de s'adresser à un être surnaturel, qu'on ne pouvait ni voir ni entendre. Comme s'il voyait bien le vent qui rafraîchit son front quand il peine, l'arôme du foin qu'il fane et la pensée voluptueuse qui le captive.

Christine Morin, sa femme, l'avait d'abord accueilli froidement. Toutes les jeunes filles de la paroisse connaissaient sa réputation de mesquinerie et s'en moquaient. Jamais il n'offrait, dans les soirées, ces bonbons sucrés qui font sourire tant de lèvres roses et agacent tant de dents blanches. Il avait un rival. Il se comportait bien autrement ce rival dangereux. Il tombait peut-être dans l'excès contraire. N'importe, on l'aimait. Christine, surtout, le chérissait de toute sa petite âme de fillette candide, et elle faisait des jalouses.

Mais Zidore arrivait de la ville avec des écus et il venait d'acheter une ferme au comptant. Il avait les parents de son côté. Quand un jeune homme plaît au père et à la mère, il peut déplaire à la fille, mais il a quand même une forte chance d'épouser. Un bon parti ça ne se refuse point. S'il est un peu vieux pour la petite, il ne l'aimera que mieux et plus longtemps... Et elle?... Le coeur de la pauvrette se gonflera ses yeux se mouilleront, le rêve d'or fermera son aile!

Qu'est-ce que cela pèse dans la balance de la froide raison?

On ne s'occupe guère des principes religieux du prétendant, mais on s'informe de ses revenus. La femme priera, elle priera pour deux... pour dix peut-être. Et le ciel qui a ses mystères de douleurs, feindra longtemps peut-être de ne pas l'entendre.

C'est l'histoire de bien des femmes.

Bataille d'âmes

Подняться наверх