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XI
LE XVIIIe SIÈCLE

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NE architecture vraiment grotesque et qui n’a pas son équivalent de ce côté-ci du Rhin s’est produite en Allemagne au XVIIIe siècle. Figurez-vous des colonnes dont les chapiteaux présentent leur angle du côté de la façade, des guirlandes qui grimpent en tournant autour de ces colonnes, de petits amours assis sur tous les angles, des superpositions de frontons coupés, contenant des figures entassées, tandis que d’autres, ne se trouvant pas à l’aise, montent sur leurs frontons, s’asseyent ou se remuent dans des postures impossibles; figurez-vous des églises dont la façade est couverte de haut en has de lourdes niches, et, dans ces niches, des saints qui mettent la main sur leur cœur, des évêques qui tendent le jarret et lèvent les bras en tenant leur crosse, partout de grosses draperies flottantes qui ont la prétention d’être agitées par le vent, des corbeilles chargées de fleurs en pierre surmontées de petits enfants, des ornements boursouflés, des consoles qui se contournent en portant des personnages qui gesticulent, et vous n’aurez qu’une idée encore bien imparfaite du rococo allemand.

Comme au dernier siècle tous les princes allemands cherchaient à modeler leur cour sur celle de France, on n’appréciait que ce qui émanait de Versailles; ce style baroque fut qualifié de goût français, bien que tout ce dévergondage fût aussi éloigné de ce qui se faisait chez nous que nos propres monuments l’étaient de l’antiquité dont ils avaient la prétention de reproduire le style.

L’Alsace n’offre rien d’analogue: le château de Saverne, l’ancien palais épiscopal de Strasbourg, devenu ensuite château impérial, l’hôtel de la préfecture dans la même ville appartiennent complétement au style français. Une allure grandiose, caractérisée par de grandes portes monumentales, forme le trait distinctif de cette architecture (fig. 46).


Fig. 46.–Porte monumentale à Strasbourg.

La miniature est un art dans lequel les Alsaciens se sont particulièrement distingués à cette époque. Frédéric Brentel et Guillaume Bauer ont acquis dans le XVIIe siècle une véritable célébrité dans ce genre.

La céramique alsacienne a une très-grande importance, et les produits de Strasbourg et de Haguenau sont très-recherchés des amateurs.

Au commencement du XVIIIe siècle, Charles Hannong possédait à Strasbourg une usine de pipes; il s’associa avec un transfuge allemand qui possédait les secrets de la fabrication de la porcelaine, et monta bientôt une seconde fabrique à Haguenau. Ses deux fils prirent chacun une des deux fabriques à leur compte et les deux établissements prospérèrent.

Paul Hannong, qui dirigeait la fabrique de Strasbourg, avait découvert une dorure qui accompagnait très-bien l’émail blanc, et lorsque Louis XV passa à Strasbourg, il offrit au roi un spécimen de ses produits. Mais la fabrique royale prit ombrage de cette concurrence et interdit la fabrication au malheureux potier alsacien, qui s’exila dans le Palatinat et y fonda la fabrique de Frankenthal. Des tentatives furent faites par son fils pour reprendre la fabrication de Strasbourg; mais à la suite d’un procès avec l’évêque de la ville, son usine fut vendue et il s’enfuit en Allemagne. En1780, l’usine de Strasbourg avait complétement perdu son activité.

Cette usine avait mené de front la fabrication de la faïence avec les essais sur la porcelaine. «Ce qu’est la faïence de Strasbourg, dit M. Jacquemart, chacun le sait; fine, bien travaillée, elle emprunte les formes les plus élégantes et se charge des appendices les plus compliqués. Son émail est uni, blanc, sans craquelures, et il reçoit les peintures du moufle les plus compliquées. En général, le rouge d’or y est fréquent.»

LOUTHERBOURG

PHILIPPE-JACQUES LOUTHERBOURG (1740-1814) était fils d’un peintre en miniature établi à Strasbourg, et apprit de lui les premiers éléments du dessin. A l’âge de quinze ans, il vint à Paris se mettre sous la direction de Carle Vanloo; mais le genre mythologique ne convenait guère à son tempérament et il quitta bientôt ce maître pour entrer chez Casanova. La manière facile de Casanova ne pouvait manquer de plaire à un jeune homme. doué d’une imagination très-vive et d’un esprit enjoué, mais assez antipathique aux études sérieuses qu’on exige d’un peintre d’histoire.

Loutherbourg débuta au Salon de1765et obtint un éclatant succès. «Voici, disait Diderot, un jeune artiste qui commence par se mettre, pour la vérité des animaux, pour la beauté des sites et des scènes champêtres, pour la fraîcheur des montagnes, sur la ligne du vieux Berghem, et qui ose lutter pour la vigueur du pinceau, pour l’entente des lumières naturelles et artificielles, et les autres qualités du peintre, avec le terrible Vernet.»


Fig. 47.–La bonne fermière, par Loutherbourg.

Très-jeune, Loutherbourg fut agréé à l’Académie avec acclamation. Wille raconte ainsi sa réception dans son journal: «Le25, dit-il, fut agréé à l’Académie royale M. Loutherbourg, de Strasbourg, d’une voix unanime. Les paysages qu’il présenta, au nombre de trois, furent trouvés charmants, bien composés, dessinés et coloriés. C’est effectivement surprenant pour un jeune homme de cet âge. Je me levai de ma place pour courir l’embrasser et l’introduire dans l’assemblée.»


Fig. 48.–Le père, la mère, le petit fanfan, le cousin germain, l’oncle à la mode de Bretagne et le perruquier de toute la famille, par Loutherbourg.

Le style de Loutherbourg est exclusivement pittoresque; ce peintre excellait dans le paysage, les animaux, les batailles. Mais tout en choisissant de préférence les sujets rustiques, il partageait le goût de son siècle pour le côté aimable de la nature, et à côté de ses vaches et de ses ânes, il introduisait de petites paysannes d’une fort jolie tournure. Le réalisme brutal, comme nous le comprenons aujourd’hui, n’aurait eu aucun succès à cette époque.

De même dans le paysage, il savait trouver des motifs séduisants, des agencements piquants, et il aurait cru faire une étude, mais non un tableau, s’il s’était contenté de peindre d’après nature un mur avec un champ de betteraves à côté. C’est dans les bois touffus, dans les ravins bordés de rochers, dans les prairies verdoyantes et coupées d’eaux limpides, qu’il fait mouvoir ses troupeaux de vaches, ses muletiers, ses fermières, ses joyeux enfants.

Peintre de batailles, il aimait les épisodes brillants, les chocs de cavalerie, les scènes vives et animées; peintre de marine, il cherchait les effets de nuages balayés par le vent, le mouvement des barques s’agitant sur les vagues; toujours inventif, même devant la nature, il n’eût jamais soupçonné que l’industrie voulût suppléer à l’imagination, et que des peintres, à l’aide de procédés comme la chambre claire ou la photographie, se croiraient un jour dispensés d’user de leur intelligence pour composer un tableau.

Mais Loutherbourg, avec les qualités de son siècle, en avait aussi les défauts. Dessinant trop de pratique, il trouvait sous son crayon des formes toujours gracieuses, mais souvent conventionnelles, et n’apportait pas devant la nature cette observation soutenue qui, chez les maîtres, n’exclut nullement l’imagination. C’est un charmant artiste, mais ce n’est pas un grand peintre, quoi qu’ait pu dire Diderot.

Malgré la fécondité de son pinceau et l’aisance avec laquelle il plaçait toutes ses productions, Loutherbourg, qui dépensait plus encore qu’il ne gagnait, fut obligé de s’expatrier pour satisfaire à son train de maison. Il accepta les offres brillantes qui lui furent faites en Angleterre, et partit à Londres pour diriger les travaux décoratifs du théâtre de Drury-Lane.

Le succès de Loutherbourg en Angleterre fut immense, et dès 1781, il fut nommé membre de l’Académie royale de Londres, comme il l’était de celle de Paris. Malgré de fréquents voyages en France et en Suisse, c’est en Angleterre qu’il a passé la plus grande partie de sa vie d’artiste et qu’il est mort. Cela ne l’a pas empêché d’ailleurs d’être très-assidu aux Salons de Paris, où il a toujours été accueilli par les plus chaleureux applaudissements.

En s’occupant du décor pour l’Opéra de Londres, Loutherbourg a apporté de grandes améliorations dans les machines qui produisent les changements à vue. Il inventa des moyens ingénieux pour simuler les chutes d’eau et les transformations des effets de la lumière. Enfin il est l’inventeur d’un théâtre mécanique qui fut essayé à Strasbourg en1780, et c’est d’après son système qu’on a établi depuis à Paris le fameux théâtre Séraphin, qui a fait la joie de tant de générations d’enfants.

L’œuvre de Loutherbourg comme peintre est extrêmement considérable; ses tableaux les plus connus sont la Bonne Fermière (fig. 47), l’Anier (fig. 48), le Repos du berger, la Fraîche matinée les Joueurs d’échecs, les Voleurs attaquant des voyageurs, etc. Il a fait aussi beaucoup de marines et de batailles. L’impératrice de Russie lui avait commandé un tableau sur le Passage du Danube par l’armée russe; l’artiste, qui était grand collectionneur d’armes, prétexta qu’il avait besoin d’avoir sous les yeux les armes dont on s’était servi, et enrichit ainsi sa collection.


Fig. 49.–Les Amateurs,

Le musée du Louvre n’a rien de Loutherbourg; mais ses ouvrages se trouvent dans presque toutes les collections importantes de l’Europe, et notamment en Angleterre. A Greenwich, on voit de lui la destruction de la fameuse flotte espagnole l’Armada. Au collége de Dulwich, il y a aussi plusieurs ouvrages de lui et son portrait peint par Gainsborough.

Loutherbourg a fait aussi beaucoup de dessins, de sépias, de gouaches très-spirituellement touchées, des séries de costumes, et de nombreuses caricatures (fig. 49).

Loutherbourg a été un excellent graveur et ses eaux-fortes, qui traduisent toujours ses propres compositions, sont très-recherchées des amateurs.

LEBERT

LEBERT, un des premiers artistes qui apportèrent dans l’industrie des toiles peintes en Alsace un talent mûri par de fortes études, se destinait d’abord à la gravure en taille-douce. En1784, il fut appelé par Pierre Dolfus pour être attaché à sa maison en qualité de dessinateur et de graveur d’impression sur étoffes.

L’industrie de toiles peintes était encore très-récente en Alsace, et on cherchait surtout à imiter les étoffes des Indes par l’impression sur toiles de coton. L’Angleterre était beaucoup plus avancée que nous pour cette fabrication, et trouvait dans ses relations maritimes avec l’Orient de nombreux modèles qui manquaient à notre pays. Un artiste lyonnais, Jean Pillement, fit pour l’industrie des dessins à la mine de plomb rehaussés de pastels, dans un style pseudo-chinois fortement arrangé au goût de l’époque. Ses modèles, toujours très-habiles d’exécution, souvent gracieux, quelquefois baroques, étaient fort en vogue à l’époque où Lebert arriva en Alsace.

Lebert fit aussi quelques imitations francisées du style chinois, mais, nourri à l’école de Watteau et Boucher, il créa un genre de décor où le paysage et la figure dominaient. L’extrême fécondité de cet artiste et sa facilité à saisir tous les genres lui permirent de faire à la fois des chinoiseries se détachant sur fond blanc et des camées antiques en grisailles, des vases de fleurs, des groupes de fruits, des bosquets, des parcs où l’architecture jouait un rôle important, des petits sujets tirés des Métamorphoses d’Ovide ou des Fables de La Fontaine, etc. Ces tissus de coton, ainsi décorés et imprimés, étaient employés pour des meubles, pour des tentures, pour des robes, et on vit, au milieu du goût sévère imposé par l’école de David, l’industrie alsacienne conserver le style gracieux et maniéré de l’école précédente. De pareilles oppositions ne sont pas rares dans l’histoire de l’art, mais la rapidité des communications les rend bien difficiles aujourd’hui, et on doit s’attendre à voir un goût uniforme régner désormais sur la plus grande partie de l’Europe.

Lebert a une grande importance dans l’art alsacien; son fils a été à son tour, pendant près d’un demi-siècle, un des dessinateurs les plus en renom de l’industrie des toiles peintes. Malaine, Gros-Jean, Hirn ont acquis de la réputation dans le même genre de travail. Hirn fit aussi des tableaux de fruits fort estimés et obtint une médaille d’or au Salon de1812.

OMACHT

OMACHT, qui a passé une grande partie de sa vie à Strasbourg et considérait cette ville comme sa patrie, est originaire d’une famille de la Forêt-Noire. Son père, bon paysan chargé d’une nombreuse famille, faisait peu de cas du petit garçon qu’il regardait comme un paresseux, et disait à tous ceux qui voulaient l’entendre que cet enfant-là était venu en expiation de ses péchés et était destiné à devenir le fléau de la famille.

Un jour, son père lui confia des bêtes à garder dans un pâturage; l’enfant, qui s’était amusé à tailler dans le bois des petits animaux, laissa échapper des vaches qui allèrent fourrager le champ du voisin. Le père entra dans une fureur facile à comprendre, et prenant les petits morceaux de bois sculptés, comme pièces de conviction, il alla chez le vieux Gassner, alors bourgmestre de la ville impériale de Rothwell, et lui déclara que son maudit enfant causerait la ruine de la famille par sa paresse et sa bêtise; étant bien décidé à ne plus le garder à la maison, il demanda au bourgmestre comment il devait s’y prendre pour s’en débarrasser, ajoutant que tous ses autres enfants lui donnaient de la satisfaction, mais que ce petit drôle les gâterait un jour s’il restait parmi eux, et qu’il ne voulait plus lui voir remettre les pieds chez lui.

Gassner laissa le bonhomme exhaler sa bile, puis se mit à examiner les petits objets sculptés que le père avait apportés dans sa poche, et décida que la meilleure chose qu’il y eût à faire était de placer l’enfant comme apprenti chez un sculpteur en bois du voisinage.

Omacht, qui était né en1760, entra donc à douze ans chez un de ces menuisiers en petit qui, dans la Forêt-Noire comme dans les Alpes, taillent dans le bois des chalets et autres menus objets qui sont une des industries du pays. Il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il en savait plus long que son maître, et obtint d’aller finir son apprentissage à Fribourg en Brisgau.

Il fut bientôt en état de gagner sa vie, comme ouvrier sculpteur, mais, l’ambition s’éveillant avec l’âge, il vécut de privations, et dès qu’il eut réalisé de petites économies, il alla se perfectionner chez Melchior, statuaire en réputation qui habitait Frakenthal. Le vieux Gassner, qui n’avait pas oublié son petit protégé, lui commanda pour l’église de Rothwell quelques travaux qui commencèrent la réputation de l’artiste.

Omacht commença alors à faire des bustes, mais comme il fallait gagner le pain de chaque jour, il parcourait le pays, faisant des petites statuettes en albâtre qu’il débitait assez facilement. Ce fut dans un de ses voyages en Suisse qu’il fit la connaissance de Lavater avec lequel il se lia de la plus étroite amitié.

En1790, Omacht partit pour l’Italie et resta deux ans chez Canova qui faisait le plus grand cas de son talent. Il parcourut ensuite l’Allemagne, travailla successivement à Munich, à Vienne, à Dresde et à Hambourg, où il exécuta un mausolée qui eut un éclatant succès.

Il revint dans son pays en1796avec une réputation faite et épousa la fille de Gassner. En1801, il fut chargé d’exécuter le monument du général Desaix à Strasbourg et vint habiter cette ville où il demeura jusqu’à sa mort en1834.

Les ouvrages d’Omacht sont assez nombreux; les principaux sont: un Jugement de Pâris, dans le jardin du palais royal de Munich;– un buste d’Holbein et un buste d’Erwin de Steinbach, au musée de Munich;–une statue de Neptune destinée à un parc des environs de Strasbourg;–une Vénus et une Flore qui étaient au musée de Strasbourg;–le monument funéraire du publiciste Koch, à Strasbourg; c’est un groupe important où l’on voit un génie ailé et la ville de Strasbourg personnifiée, près de l’autel où est placé le buste;–un buste colossal du préfet du Bas-Rhin, Marnesia, placé au Casino littéraire de Strasbourg;–un Christ, une statue de la Foi et une de la Charité dans l’église de Carlsruhe;–une Hébé, dont nous donnons la gravure;–un buste de Raphaël;–un monument érigé à l’empereur Rodolphe, à Spire;–un Martin Luther, à Wissembourg;–les monuments de Hausmann, Oberlin, Emmerich, Blessig, Turckheim; –les Muses, qui décoraient le théâtre de Strasbourg. Ces Muses, au nombre de six, étaient considérées comme le chef-d’œuvre d’Omacht. Elles ont été mutilées par les Allemands en1870.


Fig. 50.–Hébé.

GUÉRIN

CHRISTOPHE GUÉRIN (1758-1830) et Jean Guérin (1760-1836) sont deux frères natifs de Strasbourg. Christophe Guérin fut un graveur distingué. Ses principaux ouvrages sont: l’Amour désarmé, d’après le Corrége; l’Ange et Tobie, d’après Raphaël; la Danse des muses, d’après Jules Romain, etc. On a un portrait de lui par Drolling père, et lui-même a fait un très-grand nombre de portraits dessinés. Il était conservateur du musée de la ville et y avait réuni de précieux dessins de maîtres et des estampes rares qui furent détruits par les Allemands en1870.

Jean Guérin, son frère, est un des plus habiles miniaturistes de l’école française. Il était venu à Paris dans les années qui précédèrent la révolution. Il se fit connaître assez promptement et fut. appelé à la cour pour y peindre le portrait de Louis XVI et celui de Marie-Antoinette.

En1789, Jean Guérin entreprit, d’après les députés de l’Assemblée nationale, une suite de portraits de forme ovale dont quelques-uns furent gravés à la manière noire. Cette suite fut interrompue par les événements qui survinrent.

Guérin était très-attaché à la famille royale et paya de sa personne pour la défendre. Poursuivi après le10août, il se réfugia à Obernai, dans une famille dont il était l’ami. Mais craignant de compromettre ses hôtes, il les quitta furtivement et alla à Strasbourg se livrer au général Desaix, lui déclarant qu’il était poursuivi. Desaix ne voulut pas le livrer au tribunal révolutionnaire, mais lui donna un uniforme et l’enrôla dans son armée.

En1798, Jean Guérin reparut au Salon avec le portrait de Kléber, son compatriote et son ami. C’est une superbe miniature, maintenant au Louvre.

Guérin a fait successivement plusieurs des généraux de la République, Gouvion-Saint-Cyr, Desaix, Bernadotte, Bonaparte. Ce dernier portrait fait en1799, montre le général avec les yeux très-enfoncés, le visage maigre et les cheveux longs; il a été popularisé par la gravure.

David, qui avait pour Guérin une estime particulière, le chargea de faire le portrait d’une de ses filles au moment où elle allait se marier. Ce portrait et celui de l’empereur, exécuté en1812, comptent parmi les ouvrages les plus célèbres de l’artiste, qui vécut fort vieux et s’en alla mourir à Obernai, chez les amis qui lui avaient autrefois donné asile.

Gabriel Guérin, fils de Christophe, est né en1790et a été élève de Regnault. Il a fait plusieurs tableaux d’histoire, entre autres une Mort de Polynice et un Servius Tullius. Mais il a eu surtout une grande renommée comme professeur, et c’est chez lui que se sont formés la plupart des artistes alsaciens qui ont aujourd’hui de la célébrité.

KARPFF

JEAN-JACQUES KARPFF, dit Casimir, est né à Colmar en1770. Il vint à Paris en1790et fut un des premiers élèves de David; ses camarades lui donnèrent le nom de Casimir, à cause de l’impossibilité où ils étaient de prononcer son véritable nom. Casimir a fait un assez grand nombre de compositions dont le sujet était toujours emprunté à l’antiquité. Ne se sentant pas de grandes dispositions pour la couleur, il se livra exclusivement au dessin ou à la peinture monochrome et devint dans ce genre un excellent portraitiste. Il fut chargé du portrait de l’impératrice Joséphine, et acquit bientôt une très-grande vogue. Après le Salon de1809, où il avait obtenu parmi les artistes un véritable succès, David lui écrivit: «Je vous le répète et je l’assurerai à qui veut l’entendre, que l’on ne peut pousser plus loin l’art du dessin.» Cette phrase du grand maître a été gravés sur le tombeau de Casimir, qui mourut en1829

ZIX

BENJAMIN Zix, né à Strasbourg en1772et mort en1811, n’est aucunement connu en dehors de l’Alsace, où son nom a une très-grande importance. C’était un homme doué d’une extrême facilité pour composer, qui a fait un nombre incalculable de petites gouaches, très-spirituellement touchées. La biographie de cet artiste est peu connue, mais la Revue d’Alsace a publié à propos des amateurs de son œuvre une notice que nous reproduisons:

«La destruction des cinq tableaux et de plus de cent cinquante dessins de Benjamin Zix, l’artiste strasbourgeois par excellence, qu’avait réunis avec tant de peine pour le musée de Strasbourg son dévoué conservateur Egmont Massé, nous engage à citer très-sommairement les amateurs de son œuvre. Benjamin Zix, à qui l’on doit les dessins de trois bas-reliefs de la colonne Vendôme, fut tour à tour volontaire à l’armée du Rhin, dessinateur, graveur attaché au grand quartier général de l’Empereur. Vivant Denon, bon juge en matière d’art, l’estimait beaucoup. Il mourut en1811, dans la force de l’âge, à Pérouse; il dessinait alors les champs de bataille d’Italie. L’admirable esquisse de la bataille d’Eylau, qui a inspiré le baron Gros pour son tableau, était chez son neveu, M. Ch. Bœrsch, rue des Tonneliers, à Strasbourg. François Schuler, architecte, son ami d’enfance, avait soixante-douze compositions pour les Métamorphoses d’Ovide, datant du commencement du siècle. En1870, ces dessins, moins deux, passèrent au musée et devinrent la proie des flammes (avec la Fête de village, la Danse de l’ours, les Musiciens ambulants, Orphée et Eurydice, les Musiciens du régiment, etc.).»

Zix a fait également des dessins pour plusieurs ouvrages, entre autres la Relation des fêtes données par la ville de Strasbourg à LL. MM. les22et23janvier1806(fig. 51).


Fig51.–Un Bal, par Zix.

DROLLING

MARTIN DROLLING est né à Oberbergheim, près Colmar, en1752. Il apprit les premiers éléments du dessin avec un peintre inconnu de Schlestadt et sentit de bonne heure le besoin de venir à Paris. Il chercha d’abord à quel peintre il s’adresserait pour être son professeur; mais dès qu’il eut vu au Louvre des tableaux de l’école hollandaise, il résolut de ne suivre aucune école spéciale et se mit à faire des copies au musée.

Il vécut ainsi jusqu’à la vieillesse dans une position des plus modestes et sans avoir la moindre réputation. En1817, il exposa une Cuisine qui obtint un succès aussi énorme qu’inattendu. Tout le monde, à cette époque, faisait du grec et du romain, et la manière dont Drolling avait rendu le cuivre luisant des casseroles fit applaudir toutes les ménagères. Ce tableau fut acquis par l’administration et placé au musée.

Drolling a peu produit; son Intérieur de salle à manger, sa Maîtresse d’école de village, exposés, comme sa Cuisine, l’année même de sa mort, sont exactement peints de la même façon. Une exactitude minutieuse, une absence absolue d’interprétation et une certaine maigreur d’exécution se trouvent dans tous les traits de cet artiste, qui mourut en1817, l’année même où il établit sa réputation.

Michel-Martin Drolling, fils du précédent, naquit en1786et fut élève de David. Il eut le prix de Rome en1810et prit rang parmi les peintres d’histoire les plus distingués de son temps. Son Orphée et Eurydice, qu’on vit longtemps au musée du Luxembourg, était un ouvrage remarquable. Drolling a fait des plafonds pour le musée du Louvre et décoré plusieurs églises, notamment celles de Saint-Sulpice et de Notre-Dame de Lorette, à Paris. Son Jésus-Christ discutant avec les docteurs, placé dans cette dernière église; est considéré comme son meilleur ouvrage.

Venu un des derniers dans l’école de David, Drolling fut un de ceux contre qui s’acharnèrent les novateurs de romantisme. Il ouvrit pourtant une école qui fut très suivie et d’où sont sortis une foule de peintres distingués: Baudry, Breton, Henner, Jundt, etc. Drolling, qui avait depuis longtemps pris rang parmi les membres de l’Institut, mourut en1851, laissant à quelques-uns de ses élèves l’héritage de son savoir et à tous les plus excellents souvenirs.


Fig. 52.–Intérieur par Drolling.

HEIM

FRANÇOIS-JOSEPH HEIM, un des peintres d’histoire les plus distingués de l’époque dite impériale, est né à Belfort en1787. A quinze ans, il remporta le prix de l’école de dessin de Strasbourg, et vint ensuite à Paris se placer sous la direction de Vincent. En1806, il obtint un second prix de Rome avec le Retour de l’Enfant prodigue et en1807le premier prix avec Thésée vainqueur du minotaure. Il avait alors vingt ans et se trouva ainsi libéré du service militaire.

Les ouvrages que Heim envoya de Rome firent sensation, et au Salon de1812il obtint une médaille d’or de première classe. En1819, il eut un éclatant succès avec le Martyre de saint Cyr et de sainte. Juliette, maintenant à l’église de Saint-Gervais. C’est un tableau de tous points remarquable, mais qu’il est malheureusement difficile de bien voir dans l’endroit où il est placé. Au même Salon, Heim exposait la Résurrection de Lazare, la Clémence de Titus, Vespasien distribuant des secours au peuple. La grande réputation de Heim date de cette exposition.

Le Martyre de saint Hippolyte, la Sainte Adélaïde, le Saint Hyacinthe qui parurent successivement, furent d’autant plus remarqués que les peintres de cette époque faisaient des sujets mythologiques beaucoup plus volontiers que des sujets religieux.

Le Massacre des Juifs exposé en1824est un des épisodes de la destruction de Jérusalem par Titus. Croyant, sur la foi des faux prophètes, trouver un asile dans une des cours du temple, une foule de malheureux qui s’y étaient réfugiés furent impitoyablement massacrés. Le groupe de la femme renversée à terre avec son enfant qu’elle veut préserver des coups d’un cavalier romain est admirable de mise en scène dramatique. Cette peinture, qui fit à l’époque de son apparition une sensation énorme, valut à l’artiste d’être décoré de la propre main du roi devant son ouvrage même et lui fournit l’occasion de faire un tableau d’un tout autre caractère et qui est peut-être son chef-d’œuvre. C’est celui qui représente le Roi Charles X distribuant les récompenses au Salon de1824. Ce tableau a fait longtemps partie du musée du Luxembourg ainsi que le Massacre des Juifs; ils sont maintenant tous les deux au Louvre.


LE BARON GROS, DESSIN DE HEIM

A cette époque, Heim fut chargé d’un important travail décoratif, dans le musée Charles X, où sont placés les vases étrusques. C’est un grand plafond qui représente Jupiter donnant au Vésuve le feu du ciel. Les trois villes personnifiées d’Herculanum, Pompéi et Stabia implorent le roi des dieux, et Minerve, protectrice des arts, intercède pour elles, tandis qu’Éole tient les vents enchaînés et attend les ordres de Jupiter. Les voussures représentent des génies sauvant des œuvres d’art, et différents sujets de circonstance, comme la mort de Pline l’ancien, et Pline le jeune écrivant ses lettres. Les figures de cette décoration sont empreintes d’une certaine mollesse: néanmoins, ce plafond est assurément un des meilleurs parmi ceux de la Galerie de Charles X au Louvre.


Fig. 51.–Portrait de Berton, dessin de Heim.

La cinquième salle du musée Campana est également décorée par Heim, mais les sujets, parfaitement appropriés quand les ouvrages de l’école française étaient disposés dans ces salles, ne le sont plus aujourd’hui qu’elles contiennent un musée archéologique. Le plafond central représente sous une forme allégorique la Renaissance des Arts en France et les petits sujets placés dans les voussures montrent le Pérugin faisant le portrait de Charles VIII, François Ier visitant Benvenuto Cellini, la Mort de Léonard de Vinci, etc.

Après la révolution de Juillet, Heim fut chargé de plusieurs tableaux pour le musée de Versailles, entre autres la Bataille de Rocroy, la Défense du château de Burgos, en1812, la Chambre des députés présentant au duc d’Orléans l’acte qui l’appelle au trône, et divers portraits de personnages historiques.

Après cette époque Heim se fit un peu oublier, et son nom fut enveloppé dans l’anathème lancé contre tous les peintres qui avaient été acclamés par la génération précédente. Mais une réhabilitation complète eut lieu en1855, et la critique applaudit des deux mains l’artiste qu’elle bafouait depuis quinze ans.

Voici comment Théophile Gautier apprécie Heim à cette occasion: «L’exposition universelle de1855, en admettant parmi les œuvres actuelles les œuvres du passé, a permis à des gloires éclipsées, à des réputations tombées dans l’oubli, de représenter leurs titres et de faire reviser le jugement porté sur elles par une génération qui ne connaissait que leurs plus faibles ouvrages, dont les passions du moment ne leur laissaient pas la liberté d’apprécier le mérite; aux époques de lutte il est difficile d’être impartial, et tout système nouveau procède envers celui qu’il remplace d’une façon nécessairement irrévérente. Les jeunes romantiques ne furent certes pas plus cruels à l’endroit des vieux classiques que ne l’avait été David à l’école de Vien, de Boucher, de Vanloo, de Fragonard, et autres charmants peintres pour qui le jour de la réhabilitation est aussi venu. Dans la bouche de l’auteur du Serment des Horaces, le mot académique était synonyme de détestable et prenait la valeur d’une injure; jamais rapin échevelé de1830n’y attacha une signification plus mortifiante. Ces violences aveugles semblent regrettables à la calme postérité, qui n’assistait pas à ces batailles dont elle ne saurait comprendre les causes, occupée qu’elle est d’autres passions; les idées de littérature et d’art créent des antagonismes furieux et des haines comiquement absurdes. Les camps rivaux échangeaient les épithètes les plus aimables: momies, perruques, vandales, enragés, barbes de bouc. Ce qui ressortait le plus clairement de la chose, c’est qu’alors nous avions des cheveux et que nos adversaires étaient chauves; ils chantaient comme les anciens de Lacédémone: à quoi nous faisions la réponse des jeunes Spartiates dans Plutarque. Ce grand tumulte s’est apaisé, et les œuvres des deux écoles qui s’excluaient figurent amicalement côte à côte sur les murailles éclectiques de l’exposition universelle, et voilà que nous admirons M. Heim après l’avoir fort malmené et fort rudoyé, surtout lorsqu’il était membre du jury et refusait–nous nous le figurions du moins–les œuvres romantiques que nous affectionnions principalement.»


MADAME HERSENT, DESSIN DE HEIM

En1859, Heim exposa l’admirable série de dessins représentant les membres de l’Institut (fig. 53). Il y a dans tous ces dessins, maintenant placés au Louvre, une jeunesse, une vie, une fermeté qu’on ne soupçonnait pas chez le vieux peintre classique, et ils demeureront assurément un de ses titres de gloire pour la postérité.


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