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III
LES BARBARES

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A civilisation romaine, si bien établie pourtant, était destinée à périr et à ne laisser dans cette partiede la Gaule que de rares traces de son passage. L’envahissement de la barbarie et sa victoire sur le monde antique sont un des problèmes les plus intéressants de l’histoire.

L’univers ne se change pas par un coup de théâtre: l’idée d’une armée de sauvages, entrant dans une contrée riche et populeuse qu’elle transforme en désert, exterminant l’ancienne population et substituant ainsi une race à une autre, est absolument chimérique. Les changements qui transforment les mœurs d’un pays envahi se font peu à peu par infiltrations, mais jamais par soubresauts.

A l’époque où la Gaule romaine était en pleine civilisation, les contrées situées de l’autre côté du Rhin croupissaient dans l’ignorance et la barbarie la plus complète. Pauvres et dépourvus de moyens de s’enrichir, ces hommes à demi sauvages étaient sans cesse attirés par l’opulence de leurs voisins. Ils s’approchaient des colonies romaines, et offraient humblement leurs services qu’on acceptait parce qu’ils n’avaient pas de besoins et se contentaient de la plus mince rémunération. Demeurant étrangers dans un pays dont ils ignoraient la langue, ils s’infiltraient partout, faisaient les travaux les plus vils et étaient universellement méprisés.

Tant que les légions romaines conservèrent leur antique organisation, la présence de ces étrangers n’offrait aucun danger pour le pays. Mais au IVe siècle, l’armée était composée de soudards sans patrie, à la solde d’un chef qui s’en servait pour opprimer le pays plutôt que pour le défendre. Les guerres civil esavaient tué le sentiment national, et les compétiteurs à l’empire se souciaient bien plus d’assurer leur pouvoir que de maintenir l’ordre et la sécurité dans les pays qu’ils gouvernaient.

Alors les barbares, au lieu de venir un à un, commencèrent à arriver par petites bandes; au lieu de tendre la main pour recevoir l’aumône, ils demandèrent de l’or et des terres à cultiver. Se tenant toujours éloignés des villes où ils auraient trouvé de la résistance, ils allaient dans un lieu écarté piller une métairie; les étrangers qu’ils recrutaient sur leur passage se joignaient à eux et leur indiquaient les bons endroits.

Ce fut là la première phase de l’invasion: tant que l’administration romaine resta en titre, les barbares furent un fléau pour la contrée, mais non un fléau mortel. Des maisons étaient brûlées, des champs dévastés, mais la civilisation ne semblait pas atteinte dans son principe même.

Il en fut tout autrement quand les chefs barbares parvinrent à fonder des royaumes indépendants que rien ne reliait plus à la métropole. Devenus propriétaires du sol, ils ne surent pas l’exploiter, et en se substituant aux fermiers romains, ils préparèrent les famines du lendemain. Les tribunaux romains continuèrent à siéger dans les villes, mais dépourvus de prestige et de puissance, puisqu’ils ne pouvaient pas tenir la balance entre le vainqueur et le vaincu. Quand pour remplir une fonction il fallait être lettré, les écoles étaient suivies: elles furent abandonnées peu à peu et l’ignorance alla toujours croissant. Le commerce qui s’étendait d’une province de l’empire à l’autre fut frappé dans son principe même, et la richesse publique diminuant, l’industrie ne trouva plus l’emploi de ses produits.

Les historiens ont souvent été frappés du petit nombre de soldats qui accompagnaient Clovis et les autres conquérants barbares: ils n’ont pas assez remarqué que les bandes qui parcouraient le pays en tout sens, se recrutaient dans chaque localité des mécontents et des malheureux dont le nombre allait toujours en augmentant.

Le rôle des conquérants dans la substitution de la barbarie à la civilisation a été de détruire toute correspondance régulière et toute sécurité, d’isoler les hommes et surtout les groupes d’hommes, de paralyser les efforts qui auraient pu se produire par le travail, mais il n’y a jamais eu, pas plus en Alsace qu’ailleurs, substitution d’une race à une autre, et malgré la différence du langage, qui résulte d’un fait purement politique, l’élément germain n’entre que pour une part infime dans la population gallo-romaine des contrées vosgiennes.

Les routes n’ont plus été entretenues, les édifices n’ont plus été réparés, les écoles n’ont plus été suivies, le commerce a été paralysé, l’activité a cessé peu à peu, mais le fond de la race est resté le même parce qu’il ne pouvait en être autrement.


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