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LA DOMINATION ROMAINE
N s’établissant dans la contrée, les Romains y importèrent leurs mœurs et leur civilisation avec l’habileté dont ils ont tant de fois donné des preuves. Dès qu’ils arrivaient, ils construisaient des routes dont ils protégeaient les points principaux avec des camps fortifiés. Ils apportaient leurs institutions dans les villes, et les anciens habitants s’apercevaient bientôt que la vie y était plus douce, plus tranquille et plus assurée qu’autrefois.
Les Gaulois du voisinage se transformaient peu à peu en ouvriers que les colons romains exploitaient en vue de s’enrichir, et, en acquérant eux-mêmes des besoins nouveaux, ils cherchaient à les satisfaire par le travail. Des villages se fondaient à peu de distance des villes, puis des hameaux, des auberges s’établissaient près des villages, si bien que l’ancienne barbarie se trouvait refoulée entre les grandes voies romaines qui sillonnaient le pays comme des fils conducteurs de la civilisation.
De nouveaux chemins se formaient alors et de nouveaux colons venaient s’y établir, car la Gaule était pour les aventuriers romains comme la Californie pour nos chercheurs d’or. Ils trouvaient là une terre féconde, des bras nombreux pour la cultiver, une quantité de rivières navigables qui facilitaient le transit. Bref, dès le IIe siècle de notre ère, la Gaule était tellement transformée qu’on la considérait comme la province la plus riche de l’empire romain.
La plus ancienne route militaire que les Romains aient établie en Alsace allait de Besançon au Rhin; elle a été construite par Agrippa vingt ans environ avant l’ère chrétienne. Plusieurs autres grandes routes, indiquées dans l’itinéraire d’Antonin et la carte de Peutinger, relièrent bientôt la province aux différentes parties de l’empire. On en a retrouvé la trace dans une multitude d’endroits, tant en Alsace qu’en Lorraine.
Tout ce pays a été couvert d’édifices romains, notamment de temples dédiés aux divinités de l’empire; néanmoins, si l’on excepte l’aqueduc de Jouy, près Metz, aucune ruine romaine importante au point de vue de l’art ne mérite aujourd’hui d’être signalée. Cette pénurie s’explique tout naturellement par le pillage et la dévastation auxquels cette province était si fréquemment exposée.
Si l’Alsace et la Lorraine sont moins bien dotées que d’autres contrées sous le rapport des monuments de l’architecture antique, il est peu de pays où les traces de l’industrie romaine aient plus fortement marqué leur empreinte. La quantité de morceaux de vases figurés et de restes de fours qu’on a retrouvés montre assez l’importance que la poterie avait dans les Vosges.
On peut en dire autant de la verrerie, qui, de nos jours, est redevenue si florissante dans la même contrée. Plusieurs vases en verre de l’époque gallo-romaine ont été découverts en Lorraine; mais aucun n’égale en importance celui qui fut découvert, en1825, aux environs de Strasbourg. Malheureusement, il était placé au Musée de Strasbourg, si riche en antiquités gallo-romaines, et il a été détruit par les Allemands avec tout le reste.
L’art du mosaïste a été également très-cultivé en Alsace. La rive occidentale du Rhin était couverte de superbes villas pavées de mosaïques dont on a retrouvé des fragments importants dans plusieurs endroits.
Les tombeaux trouvés dans les Vosges présentent un caractère particulier. Ils sont taillés dans le grès vosgien et ont la forme d’un prisme triangulaire, quelquefois légèrement courbé en ogive. On en voit un assez grand nombre au Musée de Saverne. Quelques-unes de ces stèles sont ornées de feuillages, et elles sont toutes percées en bas par une ouverture ogivale ou semi-circulaire qui communique avec la cavité renfermant les urnes funéraires. Les tombeaux trouvés à Liverdun, en Lorraine, ont amené la découverte d’une multitude d’objets gallo-romains, vases, médailles, objets de toilette, tels que bijoux, colliers, peignes, etc., qui nous initient à la vie intime des anciens.
L’usage d’enterrer les morts et celui de les brûler a existé simultanément dans toute l’antiquité. De là vient que, dans les mêmes localités, on trouve souvent des urnes destinées à contenir les cendres, et des sarcophages renfermant des corps. Mais comme les Gaulois ne brûlaient pas les morts, l’habitude de les enterrer a toujours prévalu chez eux, même sous la domination romaine. L’usage était de couvrir le défunt des vêtements et des bijoux qu’il avait en mourant, et de placer près de lui les objets dont il avait fait usage pendant sa vie. De là vient la grande quantité d’objets que l’on trouve dans les tombeaux gallo-romains.
Les grandes statues trouvées en Alsace ou en Lorraine ne sont pas très-nombreuses, mais les petites statuettes en bronze sont innombrables, et les plus communes sont celles qui représentent Mercure. L’importance donnée aux voies de communication dans l’est de la Gaule explique tout naturellement la présence de ce dieu qui est préposé à la garde des chemins. Ces contrées étaient sans cesse exposées aux incursions dévastatrices des barbares qui traversaient le Rhin.
Mercure, au reste, n’est pas seulement le protecteur des routes, il est également le gardien de la maison; en sorte que son image, qui était placée à tous les carrefours, se trouvait également dans une multitude d’habitations privées, où elle était comme un talisman contre les bandes de pillards qui parcouraient le pays.
Hercule paraît avoir eu aussi une certaine importance. D’après les légendes locales, il aurait parcouru les Vosges et toutes les contrées situées à l’orient du Rhin. C’est ainsi que, s’étant un jour endormi près de Colmar, il oublia sa massue, qui fut ensuite retrouvée par les habitants, et, en mémoire de cela, la ville de Colmar porte la massue d’Hercule sur son écusson.
Les images d’autres divinités se trouvent également en divers endroits, mais elles sont moins fréquentes que celles d’Hercule et surtout que celles de Mercure. Le mont Donon, qui paraît avoir eu autrefois un caractère sacré, était couvert de figures sculptées et de bas-reliefs dont plusieurs ont été emportés au musée d’Épinal. Près de cette ville on a retrouvé aussi un fort joli Tireur d’épines. Enfin, il est bien peu d’arrondissements, en Alsace ou en Lorraine, où les traces d’antiquités ne montrent à quel point les mœurs romaines avaient pénétré dans toute la contrée.
On a soutenu pourtant que les provinces rhénanes, et notamment l’Alsace, n’avaient jamais été pour les Romains que des postes militaires et que les garnisons destinées à protéger l’empire étaient là dans un véritable exil, à peu près comme sont aujourd’hui les garnisons françaises établies dans le mont Atlas, à l’entrée du grand désert.
Ces assertions et les théories qui s’y rattachent ont un but facile à comprendre: il s’agit de démontrer que la population alsacienne n’appartient pas à la famille latine.
Les revendications de l’Allemagne, injustifiables au point de vue. du droit moderne, puisque la population s’est nettement déclarée contre ses prétentions, prennent une apparence de légitimité historique, si on démontre que la race est différente de celle qui habite les autres parties de la France.
Tout ce qui parle allemand appartient à la famille allemande, voilà le principe si habilement exploité par les convoitises germaniques; mais il y a un fait qui demeure inexplicable: comment se fait-il que les aptitudes artistiques se rencontrent précisément dans la partie de l’Allemagne autrefois habitée par des gallo-romains, tandis que la stérilité la plus absolue se fait remarquer dans la partie purement teutonne?
En considérant la carte, on se convaincra que le développement artistique de l’Europe moderne n’a guère dépassé le Rhin et le Danube, qui formaient précisément les limites de l’empire romain.
Le Rhin surtout forme une délimitation presque absolue dans la géographie artistique. Cologne, Mayence, Spire, Worms, Wissembourg, Strasbourg, Baie, toutes les villes où sont les monuments célèbres, sont situées sur la rive gallo-romaine du fleuve. Le seul édifice important qui soit placé sur l’autre rive, l’église de Fribourg, en Brisgau, est situé dans un endroit où les Romains s’étaient établis de bonne heure comme dans un poste avancé. Les ruines de bains romains à Baden-Willer, et d’autres encore dont on a retrouvé les traces dans cette partie du duché de Bade, indiquent la présence d’une colonie romaine à poste fixe.
La Bavière, dont l’ancienne population paraît se rattacher en grande partie à des races celtiques, a reçu également des colonies romaines et a fait preuve aussi d’aptitudes artistiques dont on chercherait vainement l’équivalent dans les parties de l’Allemagne dépourvues de l’élément latin.