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III

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«A M. Jean Barois,

«Buis-la-Dame (Oise)

«Berne, le 25 juin.

«Très cher ami!

«La part que j'ai prise, si naturelle, à votre deuil, ne méritait certes pas une lettre aussi reconnaissante et si affectueuse. Je vous en remercie du profond du cœur. Je suis particulièrement touché de la confiance que vous me témoignez, sur le grave sujet dont vous me faites confident, et heureux de pouvoir exprimer mon avis très net.

«Non vraiment, je considère qu'il n'y a pas obstacle de conviction entre cette jeune fille et vous. Vous êtes rendu hésitant par la nature un peu rudimentaire de sa croyance et par la place trop importante qu'elle donne aux pratiques.

«Je ne vous comprends pas. Le sentiment religieux est un. Il ne sert pas d'analyser les variations qu'il peut avoir. Il y a une hauteur où tous les élans se rencontrent et se confondent, malgré que différents soient les points de départ.

«Vous opposez que si elle connaissait votre conception actuelle de la religion elle retirerait sa parole. Je le crois peut être. Mais ce serait par une erreur de jugement, et rien d'autre.

«Il serait donc, selon moi, très nuisible de l'avertir. Elle ne serait pas susceptible de comprendre quelle sorte de distinction vous faites entre la croyance légendaire et la base morale et humaine du sentiment religieux. Elle croirait au sacrilège, par naïveté. Ce serait provoquer une catastrophe par une sincérité imprudente, qui, dans l'actualité, n'est pas nécessaire. Vous seul, élevé par l'instruction et le raisonnement au-dessus du mouvement instinctif de la croyance, vous devez prendre, avec toute conscience, la décision et la responsabilité de votre bonheur.

«Que vous avez tort de craindre! Vous oubliez qu'il y a entre vous deux des ressemblances profondes! Même hérédité. Même éducation. Au surplus, vous avez une nature tellement religieuse par votre tempérament propre, que vous pourrez toujours, sans effort, suivre et approuver avec sympathie l'état d'âme de votre future femme. Et elle aussi fera évolution: non seulement l'écartement entre vous n'ira pas s'agrandissant, mais au contraire se diminuant.

«Cette idée m'est venue avec certitude du récit de la communion que vous avez accomplie l'un près de l'autre devant le lit de votre auguste père mourant. En vous mettant à genoux, vous à côté d'elle, chacun croyait au fond de lui-même à une chose différente: elle, la chair ressuscitée du Christ; vous, le symbole d'amour surhumain des hommes.—Et tout d'un coup, si élevés sont vos sentiments, qu'une même intensité d'émotion les soulève, les emporte mélangés, et il n'y a plus de séparation entre vos deux âmes! Ainsi, exactement, sera votre vie dans l'avenir.

«Excusez, très cher ami, le manque de suite de cette lettre. Je n'écris pas souvent en français.

«Je suis depuis des années le confident de votre espoir qui a fait ses preuves de fidélité et de bien fondé; il ne faut pas que des scrupules exagérés anéantissent ce bonheur, que vous méritez tous les deux.

«Votre très fidèlement attaché et dévoué,

Hermann Schertz.»

Jean Barois

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