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II

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La chambre à coucher, à l'aube.

Jean soulève les paupières, et cherche d'un œil clignotant l'interstice des rideaux.

JEAN (bâillant).—Quelle heure est-il donc?

CÉCILE (d'une voix nette).—Six heures et demie.

JEAN.—Pas tard... Tu as mal dormi?

CÉCILE.—Non, mon chéri.

Il répond par un sourire indifférent et se pelotonne au fond du lit.

CÉCILE.—Samedi... Tu n'as pas de cours ce matin?

JEAN.—Non.

CÉCILE (tendre).—Mon chéri... J'ai quelque chose à te demander...

JEAN.—Quoi donc?

Un silence.—Elle s'est couchée contre lui, comme autrefois, a posé son visage au creux de l'épaule, et reste blottie, sans bouger.

CÉCILE.—Écoute.

JEAN.—Eh bien?

CÉCILE.—Tu ne vas pas te fâcher, dis?... Tu ne vas pas me faire de la peine...

Jean se soulève sur un coude et l'examine avec inquiétude. Il connaît ce regard obstiné, voilé de tendresse.

JEAN.—Qu'est-ce qu'il y a encore?

CÉCILE.—Ah, si tu commences comme ça...

JEAN.—Allons, voyons, parle... Qu'est-ce qu'il y a?

Elle n'aime pas être contrainte. Son sourire est aigre. Elle réfléchit une seconde, et se décide.

CÉCILE.—Tu ne peux pas me refuser ça...

JEAN.—Qu'est-ce que c'est?

CÉCILE.—Voilà... Tu sais qu'en ce moment je fais une neuvaine...

JEAN (le masque assombri).—Non.

CÉCILE (décontenancée).—Tu ne le savais pas?

JEAN.—Me l'as-tu dit?

CÉCILE.—Tu as bien dû t'en apercevoir...

Un silence.

JEAN (froidement).—Une neuvaine... Pourquoi?... Pour avoir un enfant?...

(Une pause.) Ainsi, tu en es là!

Cécile se jette contre sa poitrine, lui ferme la bouche d'un baiser bref, presqu'agressif.

CÉCILE (lui parlant au visage, avec une violence soudaine).—Mon chéri, mon chéri, ne me dis rien, laisse-moi... Vois-tu, je suis sûre que je serai exaucée... Mais il faut que toi aussi... Je ne te demande pas grand'chose: de venir avec moi ce soir, à Notre-Dame des Victoires... Simplement une fois, pour le neuvième jour.

Elle s'écarte et, sans le lâcher, contemple Jean, qui secoue la tête avec tristesse.

JEAN (doucement).—Tu sais bien...

CÉCILE (lui mettant sa main brûlante sur les lèvres).—Tais-toi... Tais-toi...

JEAN.—... que ce n'est pas possible.

CÉCILE (hors d'elle).—Mais tais-toi donc! Ne me dis rien... (Se coulant contre lui sans le regarder.) Tu ne peux pas me refuser ça... Un enfant, pense donc, mon chéri, entre nous, à nous ... un enfant!...—M'accompagner seulement, sans rien faire, sans rien dire; ce n'est pas grand'chose!

Tais-toi, ne me dis rien: c'est promis.

JEAN (froidement).—Non. Je ne peux pas faire ça.

Un silence.

Brusquement Cécile éclate en sanglots.

JEAN (agacé).—Ah, ne pleure pas, ça n'avance à rien...

Elle fait un effort pour retenir ses larmes.

JEAN (lui prenant les poignets).—Tu ne comprends donc pas ce que tu veux me faire faire? Tu es donc aveuglée à ce point que tu ne vois pas la laideur du geste que tu me proposes?

CÉCILE (suffoquant).—Qu'est-ce que ça te fait?... Puisque je t'en supplie...

JEAN.—Voyons, Cécile, réfléchis seulement une seconde. Tu sais bien, n'est-ce pas, que je ne crois pas à l'efficacité de cette prière, de ces cierges? Alors? Veux-tu me contraindre à jouer la comédie?

CÉCILE (dans ses larmes).—Qu'est-ce que ça te fait?... Puisque je t'en supplie...

JEAN.—Comment as-tu pu croire que j'accepterais?... Tu ne comprends donc pas, qu'en me demandant des choses pareilles, après toutes les pénibles discussions que nous avons eues ensemble, tu nous avilis tous les deux?

CÉCILE (sanglotant toujours).—Puisque je t'en supplie...

JEAN (avec brusquerie).—Non.

Cécile lève sur lui des yeux hagards.


Un silence.

JEAN (sombre).—Je t'ai expliqué ça vingt fois... Ce qu'il y a de plus propre en moi, c'est justement cette loyauté dans le doute... C'est d'attacher une si grande importance à tout acte de foi, que je ne peux plus en faire le simulacre par complaisance... Tu ne comprends rien, rien, à ce que j'éprouve!

CÉCILE (vivement).—Mais, à cette heure-là, tu ne rencontreras personne...

Jean ne saisit pas tout de suite.

Long regard d'étonnement, puis de véritable détresse.

JEAN.—C'est toi qui me donnes des raisons pareilles!

Ils demeurent allongés l'un près de l'autre, mêlant leurs tiédeurs, mais l'un à l'autre fermés, rancuneux, hostiles.

JEAN (cherchant à raisonner).—Voyons, réfléchis un instant... Cette neuvaine, je ne t'empêche pas de la faire. Je refuse seulement d'y prendre part... C'est le moindre de mes droits...

CÉCILE (violente et têtue).—Tu parles toujours de tes droits, parle donc aussi de tes devoirs! D'ailleurs, je n'ai rien à t'expliquer... Tu ne comprendrais pas. Mais il faut, il faut absolument que tu viennes avec moi ce soir; sans quoi tout est perdu!

JEAN.—Mais c'est stupide! En me menant là-bas, à mon corps défendant, qui penses-tu tromper?

CÉCILE (suppliante).—Jean, je t'en conjure, viens avec moi ce soir!

JEAN (sautant du lit).—Non, non, et non! Je ne m'oppose pas à tes croyances, mais laisse-moi libre d'agir selon les miennes!

CÉCILE (un grand cri).—Ah, ce n'est pas la même chose!

Jean Barois

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