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V

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Le petit salon des Pasquelin.

Pièce au rez-de-chaussée, longue, étroite, encombrée de meubles démodés.


Cécile, seule. Elle range le désordre que sa mère a laissé en sortant.


Le jour baisse vite: octobre.

Un pas sur le pavé.

Vivement, elle court à la fenêtre et sourit: Jean traverse la rue, une serviette sous le bras.

Elle bondit gaiement au-devant de lui.


Cécile Pasquelin: seize ans.

Grande et frêle. Pas jolie: de la fraîcheur. Une souplesse élégante du cou et de la nuque. Des épaules étroites, sous une pèlerine de laine blanche.

Une tête petite, en boule; les cheveux bruns, frangés. Des yeux noirs, ronds, un peu saillants; le charme agaçant, à peine perceptible, d'une asymétrie dans le regard. La bouche: deux lèvres charnues, humides, bien rouges, très mobiles sur des dents courtes et luisantes. Sourire gai, superficiel.

Par instants, un léger zézayement.

CÉCILE.—Tu n'es pas en avance! Viens, ton lait doit être froid.

Le goûter de Jean est préparé sur un plateau. Cécile s'assied en face de lui; les yeux brillants, elle le regarde croquer sa tartine.

Ils se dévisagent en riant; pour rien, par plaisir.

JEAN.—Maintenant, au travail!

Il vide sur la table sa serviette de livres.

Cécile allume la lampe, tire les rideaux, met une bûche au au feu, et approche sous l'abat-jour sa chaire basse.

CÉCILE.—Qu'est-ce que c'est, ce soir?

JEAN.—Une préparation grecque.

Le salon est tiède. Le ron-ron de la lampe, le ron-ron du feu. Le rythme de leurs deux souffles. Un froissement d'étoffe, un froissement de feuillet.

Au tournant d'une page, au bout d'une aiguillée, leurs regards se croisent.

JEAN (d'une voix singulière).—Tiens, j'ai trouvé ce matin quelque chose... Dans Eschyle... Il parle d'Hélène, il dit: «Ame sereine comme le calme des mers...» C'est beau, n'est-ce pas? (Il la regarde.) «Ame sereine comme le calme des mers...»

Cécile ne répond pas; elle baisse la tête; elle respire à peine... Dans les parties de cache-cache, quand on voit celui qui vous cherche s'approcher sans vous voir, vous frôler presque, et passer...

Jean s'est remis au travail.

Une demi-heure plus tard.

Un talon de femme martelle le vestibule dallé. Irruption de Mme Pasquelin.


Mme Pasquelin: petite femme noiraude, au teint jaune, aux cheveux très noirs et frisés sur le front. De beaux yeux, légèrement asymétriques, comme ceux de Cécile; le regard caressant et gai; une bouche souriante, un peu pincée.

A été jolie et s'en souvient.

Preste, remuante, bavarde. La voix aigüe, l'accent rude des Picards. Toujours en mouvement, n'épargnant ni temps, ni peine, tranchant sur tout, surveillant, dirigeant, réformant toutes les œuvres catholiques de la ville.

MADAME PASQUELIN.—Vous êtes sages, mes enfants? (Sans attendre la réponse.) Prends donc un fauteuil, Cécile, je déteste te voir pliée en deux sur cette chaise basse... (Elle va au coffre à bois.) Sans moi, vous laissiez éteindre le feu!

JEAN (voulant l'aider).—Attendez, Marraine.

MADAME PASQUELIN.—Non, tu n'en finirais pas.

En un instant, elle a jeté deux bûches dans le foyer, et baissé la trappe. Elle se relève; tout en parlant, elle dégrafe son mantelet, va à la fenêtre et tire les rideaux.

MADAME PASQUELIN.—Ah, mes enfants, j'ai cru que je ne rentrerais jamais! Je suis morte de fatigue. Rien ne marche, j'ai dû me fâcher toute la journée. Je suis furieuse après l'abbé Joziers. Il a obtenu de M. le Curé que le catéchisme des garçons soit à neuf heures et demie le jeudi! Juste à l'heure où se réunit le conseil de l'ouvroir! C'est ce que j'ai dit à M. le Curé: Je ne peux pourtant pas être en haut et en bas de la ville en même temps!

Jean, veux-tu relever la trappe... Merci.

Et puis, tu sais, il est six heures un quart. Si tu veux communier avec nous demain, tu n'as que le temps de courir te confesser; l'abbé quitte l'église à la demie... (Jean se lève.) Couvre-toi bien, il y a du vent ce soir...

Le lendemain, à la messe de sept heures.


Le moment de la communion.

Mme Pasquelin se lève et s'avance vers l'autel. Cécile et Jean la suivent. Côte à côte, les yeux à terre, ils gagnent, à pas recueillis, la table sainte.

L'abbé Joziers officie. Il élève vers la nef une hostie consacrée.

L'ABBÉ JOZIERS (d'une voix contrite).—Domine, non sum dignus... Domine, non sum dignus... Domine, non sum dignus...

Cécile et Jean sont à genoux. Leurs coudes se touchent. Sous la nappe, leurs mains glacées voisinent.

Une même angoisse, maladive et délicieuse; une même attirance d'infini...

Le prêtre approche. L'un après l'autre ils tendent le front vers le ciel, entr'ouvrent les lèvres et frissonnent.

Puis leurs paupières s'abaissent sur l'intensité de leur joie.


Fusion... Deux âmes, déliées de toute adhérence humaine, s'élèvent sans effort jusqu'il la dernière cime de l'amour, s'étreignent subtilement en Dieu.

Jean Barois

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