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III

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C'était le treizième jour ; dans cette plaine où nous étions perdus, depuis le matin, marchant toujours et sans jamais savoir sa route, – on commençait à s'ennuyer, lorsqu'on rencontre : une fillette dans un champ d'alfa, brune et qui, sous le soleil de midi toute nue, en attendant la nubilité, gardait de paissants dromadaires. On lui demande le chemin ; elle pleure en indiquant la ville.

... Une heure après, nous avons vu la ville ; elle était grande, mais morte. Nous fûmes saisis d'une tristesse solennelle ; car les mosquées en ruine, aux minarets cassés, les grands murs effondrés, les colonnes, donnaient à cette cité un aspect morne et monumental. La large rue que nous suivions en escaladant les décombres se perdait enfin dans la campagne, sous des amandiers, auprès des marabouts abandonnés.

Pendant une heure encore, nous avons marché. La plaine cessait ; une colline venait, que nous avons gravie. Au haut de la colline, on voyait le nouveau village. Nous avons marché dans les rues ; toutes les maisons étaient closes ; et, on ne sait pourquoi, l'on ne voyait personne. Angaire dit que, peut-être, les habitants étaient au travail dans les champs. Une intolérable touffeur tombait, dans la rue, des murs jaunes. De grosses mouches, au soleil, vibraient contre les portes blanches. Devant une porte, assis sur les marches du seuil, un enfant tripotait sa hideuse mentule. Nous avons quitté le village.

La campagne de nouveau s'est étendue. Pendant une heure encore, nous avons marché par le soleil et la poussière. Un monument carré, tout à coup, on ne sait pourquoi, dans cette campagne s'est dressé, et des cris qui sortaient par une porte ouverte nous ont attirés d'assez loin. Nous nous hâtions, pensant enfin voir quelque chose. Nous sommes entrés dans une vaste salle. Une foule nombreuse y poussait de tels cris que nous fûmes étourdis d'abord. Nous voulions parler, interroger quelqu'un pour savoir, mais aucun n'écoutait, et tous, avec des gestes forcenés, montraient et regardaient le milieu de la salle.

Nous étant dressés contre le mur, nous avons pu voir, au centre de la foule, deux derviches hurleurs commençant leur extase. Ils tournaient lentement au son d'une musique que faisaient quatre hommes accroupis, mais qu'on n'entendait pas, à cause des cris de la foule ; et périodiquement, à la fin d'un couplet des instruments de musique, ils poussaient un hurlement guttural suraigu, auquel la foule répondait par un trépignement enthousiaste. Ils étaient coiffés d'un bonnet, haut comme la moitié de leur corps, et vêtus seulement d'une robe longue et très large. Comme la musique les pressait, ils ont commencé de tourner plus vite ; leur robe s'évasait autour d'eux et laissait voir leurs pieds sautant dans les sandales ; comme ils tournaient plus vite encore, ils ont rejeté leurs sandales et dansé pieds nus sur la pierre ; leur robe, qui s'élargissait, se soulevant autour d'eux, découvrait des jambes pivotantes ; leur bonnet penché qui n'était plus dans l'axe, leur barbe devenaient insupportables à voir ; ils bavaient et leurs yeux étaient blancs de joie. La foule ne se possédait plus et oscillait comme en ivresse. Alors ils devinrent frénétiques et, poussant des cris désordonnés, ils tournèrent si follement vite que leur robe, toujours plus tendue, devenait presque horizontale, les découvrait tout nus, obscènes... Nous partîmes.

Et c'était la campagne encore ; ce fut le soir. Pendant une heure encore nous avons marché, puis nous avons retrouvé le navire.

Les matelots se sont baignés dans l'eau tiède ; l'air qui brûle a séché leur peau. Le soir est venu, mais sans la fraîcheur qui repose ; mais sans la fraîcheur de la nuit comme un baiser sur les paupières. La nuit est maintenant si chaude que nous ne pouvons pas dormir. Des éclairs silencieux palpitent au bord du ciel, et sur les flots des fluorescences passent vaguement. À demi couchés sur le pont rêvent les matelots et les mousses ; et dans la nuit mystérieuse, tendant les bras vers les rêveurs, ils se sont tordus de désirs. Nous, nous sommes restés debout, car nous n'osions pas nous étendre, et nous entendions toute la nuit leurs soupirs se mêler aux souffles amoureux de la mer. Mais une plus sérieuse pensée naissait en nous de notre sévère attitude, et l'apaisement de la nuit descendait sur notre visage.

Oeuvres complètes de André Gide: Romans

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