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V

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Les belles berges se déroulèrent tout le jour, devant le navire ; des ibis et des flamants roses pêchaient des crabes dans le sable du bord. Un peu loin vers les terres, sur des falaises en terrasses, des forêts sombres venaient finir. Il faisait chaud et nous songions aux neiges du port où nous nous étions embarqués ; tous sur le pont, nous regardions se dérouler les berges. Quand nous passions, les flamants roses s'envolaient, puis revenaient aux mêmes places, sitôt que nous avions passé, se reposer ; et le geste de ces oiseaux nous faisait nous défier de ces plages.

Nous attendions ; et notre grand cœur désœuvré s'emplissait d'amertume.

Sera-ce ici que nous trouverons un lieu qui devant nous ne se dérobe, ou s'il demeure enfin ne nous attire coupablement ? Ou penchés sur le pont du navire, les regardant se dérouler, devrons-nous toujours errer devant les plages et les plages ?

Vers le milieu du jour nous sommes descendus près d'une ville ; elle était étroite et s'allongeait suivant la mer. La mer s'arrondissait en golfe et, devant la ville, découvrait à la marée basse un large îlot madréporique. Des barques de pêcheurs, chaque jour, y venaient chercher le corail, les éponges, et les coquilles perlières. Comme rien ne nous intéressait dans la ville, une des barques nous a menés vers cette île. Elle semblait surgie de la mer, aussitôt autour profonde et transparente ; sur le fond des polypiers pâles on voyait les huîtres bâiller ; des éponges poussaient le long des roches ; des crabes verts couraient, et dans les trous, dans les ombres, des pieuvres étaient cachées. Quand les plongeurs passaient près d'elles, des bras gluants tâchaient de les saisir ; mais les plongeurs, avec un couteau tout ouvert, coupaient les bras de la pieuvre, qui restaient collés à leurs membres encore lorsqu'ils remontaient. C'étaient des hommes à la peau safranée ; ils étaient nus, mais à leur cou un sac réticulé pendait qu'ils devaient remplir de coquilles. Ils les cueillaient avec leur grand couteau, puis, le sac plein, remontaient vite. Quand ils revenaient à l'air libre, leur poitrine se crispait un peu et un filet de sang, qui coulait de leur bouche, somptueux sur leur peau dorée, les faisait presque évanouir.

Nous avons jeté dans l'eau des monnaies neuves ; on voyait leur scintillement s'enfoncer ; et quand elles allaient disparaître, les hommes, sautant de la barque et plongeant, les happaient comme on souffle une flamme. Mais si ce n'eût été la joie de regarder le fond de la mer, et de voir le sang de ces hommes, ces jeux ne nous eussent pas divertis ; après quelque temps, nous avons regagné la ville.

Nous nous sommes baignés dans des piscines trop tièdes, où des enfants se poursuivaient en nageant. L'eau verte laissait voir au fond des mosaïques, et deux figures de marbre rose, symétriquement disposées, jetaient des parfums dans des vasques ; ils retombaient en cascades fines, avec des bruits légers, dans l'eau. Nous étant rapprochés des statues, nous tendîmes nos mains vers les vasques, et les parfums, coulant le long de nos bras, ruisselèrent sur nos hanches. L'eau, quand on y replongeait, faisait l'effet d'une brûlure. Au plafond translucide une buée odorante montait ; elle se figeait en rosée ; la lumière en était bleuie, et du plafond, dans l'eau, cette rosée tombait goutte à goutte.

Et comme une torpeur nous prenait, à respirer cette buée tiède, nous demeurâmes immobiles, flottants, abandonnés, vainement évanouis dans l'eau merveilleuse, verte et bleue, où ne glissait plus qu'un jour trouble, où les bras des grêles enfants se coloraient d'azur dans la lumière, et les gouttes tombant du plafond faisaient un clapotement monotone.

... Avec la nuit, la mer est devenue phosphorescente ; des flammes sur le bord, avec les vagues, se déchiraient. La nuit est devenue brûlante ; les matelots et les faux chevaliers sont allés retrouver des femmes, et la pensée de leurs embrassements nous a tourmentés cette nuit, car elle était vraiment trop amoureuse. Une lune énorme et rougie s'est levée de parmi les vagues, et a promené son reflet sur la mer déjà lumineuse. Dans le sillage de la lune des barques brunes ont passé, regagnant les côtes. L'on n'entendait que le bruit des vagues et des flammes dans la nuit frôlées.

Et venus des forêts, les vampires aux larges ailes, rôdant près des pêcheurs endormis, à leurs pieds nus, à leurs lèvres, suçaient la vie et les accablaient de sommeil au palpitement silencieux de leurs ailes.

Oeuvres complètes de André Gide: Romans

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