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IV

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Le vingt et unième jour, nous nous sommes arrêtés devant un rivage planté d'arbres. On apercevait, non loin de la mer, une ville ; une avenue d'eucalyptus y menait, où se promenaient des groupes de femmes ; des deux côtés de l'avenue, entre les arbres, étaient dressés pour un marché des tréteaux et des baraques de toile, et du navire on pouvait voir, aux taches rouges et jaunes qu'ils faisaient, les piments doux et les régimes de bananes.

Avant la fin du jour, Mélian, Lambègue et Odinel descendirent à terre, ainsi qu'une partie des gens de l'équipage, pour acheter des vivres et demander la route. Nous les attendîmes tout le soir. Le lendemain, Mélian, Lambègue et Odinel revinrent, mais avec seulement quelques-uns des matelots. Ils étaient pâles et leurs yeux agrandis luisaient d'une douceur inexprimable. Ils rapportaient d'admirables fruits écarlates, saignant comme des blessures, et des gâteaux de farines inconnues ; mais, quand nous voulûmes les questionner, ils prétextèrent une grande fatigue et s'étendirent dans les hamacs ; alors nous comprîmes qu'ils avaient été auprès des femmes du rivage, et nous en fûmes extrêmement tristes. Comme nous ne voulions pas repartir sans que soient revenus tous les autres, vers le soir Lambègue, Odinel, et Mélian, et ceux des matelots qui les avaient suivis la veille, pensèrent retourner à la ville ; nous ne pûmes les en empêcher ; et nous ne pûmes empêcher Alfasar et Hector de les suivre. Ils avaient dû causer avec eux de ce qu'ils avaient fait la veille, car nous les avions vu rester longtemps ensemble, près des hamacs mobiles, où balançaient ceux que la nuit avait lassés.

Ils revinrent tous le lendemain, et l'Orion put mettre à la voile ; ils rapportaient des fruits nouveaux, énormes et violets comme des aubergines ; ils avaient l'œil hagard et plein d'insultes ; sur leurs lèvres, une ironie mauvaise souriait. Ce fut à propos des beaux fruits que la querelle commença ; ils voulaient nous en faire manger, mais leur éclat, leur splendeur même nous faisait nous en défier ; quand nous le leur dîmes, ils se moquèrent :

« Voilà les chevaliers courageux ! n'oserez-vous goûter même à des fruits, par crainte, et votre stérile vertu ce sera donc de s'abstenir ; dans le doute. Doutez-vous donc toujours ? Alors pourquoi ? »

Et sans que nous l'ayons demandé, ils nous racontèrent ce qu'ils avaient fait dans la ville : le marché, l'achat des fruits, et la langue inconnue que parlaient ces femmes ; puis les jardins de plaisir aux lumières, et les lanternes dans les feuillages ; longtemps ils étaient restés sans entrer, regardant à travers les clôtures les danses et les girandoles ; puis des femmes qui passaient les avaient entraînés avec elles, et ils s'étaient tout à coup sentis sans résistance sitôt que leurs mains s'étaient touchées. Ils avaient eu honte d'abord, puis avaient trouvé ça ridicule. Mais quand ils voulurent nous conter leurs embrassements de la nuit, Angaire s'écria qu'il ne comprenait pas qu'on osât se mettre à deux pour faire ces saloperies indispensables, et qu'en de tels instants lui se cachait même des miroirs. – Mais à sa soudaine franchise, ce fut chez eux une grande huée de scandale. Angaire dit alors qu'il n'aimait les femmes que voilées, mais que même ainsi il craignait qu'elles ne devinssent impudiques et de voir leur tomber la robe dès qu'un peu de tendresse advenait. Alors ils éclatèrent de rire et se détournèrent de nous. À partir de ce jour, nous ne fûmes plus tous unis dans la même pensée – et, sentant très vivement ce que nous ne voulions pas être, nous commençâmes de savoir ce que nous étions.

Ils se sont baignés dans une eau triste et bleue ; ils ont nagé dans l'écume saline. Remontés dans la barque, longtemps encore nus, ils regardaient leur peau luire de pâleur insolite et laissaient que la fièvre séchât sur eux la candide mousse marine. Et nous avions honte pour eux, car ils paraissaient très beaux et semblaient plus heureux que des hommes.

Nous n'aimions pas beaucoup Alfasar, car il était emphatique et colère, mais nous regrettions Mélian qui était doux et connaissait les tendresses apitoyées.

Oeuvres complètes de André Gide: Romans

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