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PRÉLUDE

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Quand l'amère nuit de pensée, d'étude et de théologique extase fut finie, mon âme qui depuis le soir brûlait solitaire et fidèle, sentant enfin venir l'aurore, s'éveilla distraite et lassée. Sans que je m'en fusse aperçu, ma lampe s'était éteinte ; devant l'aube s'était ouverte ma croisée. Je mouillai mon front à la rosée des vitres, et repoussant dans le passé ma rêverie consumée, les yeux dirigés vers l'aurore, je m'aventurai dans le val étroit des métempsychoses.

Aurores ! surprises des mers, lumières orientales, dont le rêve ou le souvenir, la nuit, hantait d'un désir de voyage notre fastidieuse étude ! désirs de brises et de musiques, qui dirait ma joie lorsque enfin, après avoir marché longtemps comme en songe dans cette tragique vallée, les hautes roches s'étant ouvertes, une mer azurée s'est montrée !

Sur tes flots ! Sur tes flots, pensai-je, voguerons-nous, mer éternelle, vers nos destinées inconnues ? nos âmes excessivement jeunes chercheront-elles leur vaillance ?

Sur la plage m'attendaient les compagnons de pèlerinage ; je les reconnus tous, bien que ne sachant pas si je les avais vus quelque part ; mais nos vertus étaient pareilles. Le soleil planait déjà haut sur la mer. Ils étaient arrivés dès l'aube et regardaient monter les vagues. Je m'excusai de m'être fait attendre ; eux me pardonnèrent, pensant qu'en chemin m'avaient arrêté encore quelques subtilités dogmatiques et des scrupules ; puis me reprochèrent pourtant de ne m'être pas plus simplement laissé venir. Comme j'étais le dernier et qu'ils n'en attendaient plus d'autres, nous nous acheminâmes vers la ville au grand port où appareillent les navires. Des clameurs en venaient vers nous sur la plage.

La ville, où nous devions nous embarquer au soir, éclatait de soleil, de clameurs et de fêtes, sous la blanche ferveur de midi. Le marbre des quais brûlait les sandales ; la fête était bariolée. Deux navires étaient arrivés la veille, l'un de Norvège, l'autre des merveilleuses Antilles ; et la foule courait pour en voir arriver un troisième, majestueux, entrant au port. Celui-ci venait de Syrie, chargé d'esclaves, de pourpre en balles et de pépites. Tout l'équipage sur le pont se pressait ; l'on entendait les cris des manœuvres. Des matelots, au haut des mâts, détachaient les cordages et d'autres, près des flots, lançaient des câbles ; les plis des voiles dégonflées s'accrochaient aux grandes vergues où s'éployaient des oriflammes. La mer, vers le bord, n'était pas assez profonde pour laisser le navire approcher du quai ; des barques vinrent à lui qui d'abord prirent les esclaves ; et sitôt qu'elles furent descendues, le peuple s'empressa pour les voir ; elles étaient belles et presque nues, mais tristes. Les matelots débarquèrent encore des parfums et des étoffes précieuses, mais ils jetèrent à la mer les balles de pourpre ; c'était là marchandise triviale ; la vague les amenait le long des digues, et des hommes penchés les guidaient vers les escaliers avec des perches. Des Antilles étaient venus les bois rares, des oiseaux diaprés et des coquilles où le bruit des flots sur ces plages heureuses chantait. On se les disputait aux enchères ; les bazars s'encombraient de cages ; certains oiseaux, plus délicats, étaient lâchés dans des volières ; on payait pour entrer ; tous chantaient et des marchands faisaient la foire. Des baraques improvisées montraient des jongleurs et des mimes. Sur une estrade, des baladins à cabrioles se jetaient des poignards et des flammes.

Plus loin étaient les glacières de la ville qu'alimentaient les vaisseaux de Norvège revenus chargés de frimas. Des caves s'étendaient à de grandes profondeurs, mais elles étaient toutes remplies, et ce navire déchargeait son faix sur le port. Une montagne s'élevait, verte, diaphane et enveloppée de fraîcheur ; des marins assoiffés y venaient goûter l'ombre, appliquant sur la paroi mouillée leurs lèvres et leurs mains brûlantes. Des hommes à la peau safranée, vêtus d'un pagne ensanglanté, apportaient encore sans cesse des charretées de neige sur des planches pliantes, et des lingots de pure glace qu'ils avaient ramenés de la mer ; on les y jetait du navire ; ils flottaient, glaçons et neiges, écumes, avec la pourpre sur l'eau bleue que par vagues la pourpre fondue faisait presque violette.

Et maintenant voici le soir ; le soleil cramoisi disparaît entre les cordages ; des chants crépusculaires montent ; et dans le port tranquillisé le vaisseau fabuleux qui va nous emporter se balance ! alors, ayant goûté dans ce jour des promesses de toutes les futures histoires, cessant de regarder le passé, nous tournerons nos yeux vers l'avenir ; et l'extraordinaire navire, laissant derrière lui le port, les jeux et le soleil tombé, s'enfonça dans la nuit vers l'aurore.

Oeuvres complètes de André Gide: Romans

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