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II

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Table des matières

Lorsque l’oncle Pierre aborda le colonel Bourgachard, celui-ci marchait à grands pas sur la lisière du parc, dont il cravachait les buissons, tout en laissant échapper encore quelques derniers grondements, comparables à ceux du tonnerre qui s’éloigne.

–Eh! mon vaillant neveu, d’où vient donc cette grande colère?

–Croiriez-vous que Baptiste s’est permis de frapper Marengo, mon cheval favori. Mille millions de.

–Chut! fit le vieillard, un doigt sur ses lèvres.

–Bah! riposta le comte, ma femme ne peut pas entendre.

–Elle était tout à l’heure à la fenêtre, elle vous a entendu.

–Bigre! se récria le comte, sur le visage duquel se peignit aussitôt un sincère regret.

–Qu’a-t-elle dit?

L’abbé raconta la scène dont il venait d’être témoin.

–Ah! misérable que je suis! s’emporta le colonel, lui donner de ces terreurs-là… causer peut-être la mort de mon enfant… Mais je ne pourrai donc jamais dompter ma maudite langue… Ah! mille millions de…

–Hum! hum! toussa l’abbé.

–Vous le voyez! reprit avec découragement Bourgachard, je m’oublie toujours… je ne peux pas, je ne peux pas!… Tonnerre!… Voyez plutôt, encore!. et Dieu sait pourtant que j’adore ma femme, que je voudrais être digne d’elle, que je donnerais tout au monde pour ne plus jurer… du moins quand je suis ici, auprès d’elle!

–Pourquoi pas ailleurs, et toujours… car Dieu le défend, colonel, et c ’est un gros péché.

–Oh! oh! quant à ça, monsieur l’abbé, vous savez bien que je ne suis pas superstitieux, répliqua l’officier de fortune avec un dédain superbe.

–Pourquoi donc, reprit finement l’abbé Patience, pourquoi portez-vous au doigt cette simple bague d’argent, qui vous fut donnée par je ne sais plus quelle abbesse italienne dont vous aviez généreusement protégé, défendu le saint asile?

–Parce que. parce que c’est une sorte de talisman, qui m’a toujours porté bonheur. Elle me l’avait bien prédit, la digne nonne, et je n’y croyais pas trop d’abord. Mais il a bien fallu me rendre à l’évidence. Avec cet anneau je suis presque invulnérable, et ma bonne chance ne bronche jamais. Une seule fois j’oubliai de le mettre à mon doigt; ce jour-là je fus blessé… on me fit un passe-droit. Oh! oh! j’ai de la religion aussi… à ma manière… je prie souvent le bon Dieu… depuis mon mariage surtout, pour ma femme… et durant notre prochaine campagne… car, vous le savez, mon cher oncle, c’est dans trois jours le départ… je compte bien le prier pour mon file aussi, bien qu’il soit encore à naître. Et je n’aurai garde d’aller au feu sans avoir à mon doigt l’anneau de l’abbesse. Pourquoi souriez-vous, monsieur l’abbé? Est-ce que vous n’y croiriez pas, vous, un homme d’Eglise?

–Dieu m’en gardee! répliqua l’oncle Pierre. D’abord et d’une, parce que c’est le prix d’une action généreuse, et qu’une généreuse action porte toujours bonheur… comme aussi une bonne résolution, àlaquelle on reste pieusement fidèle… En second lieu, parce que, dans notre famille, nous avons un de ces talismans-là. un talisman de soldat.

–Ah! ah! contez-moi donc ça…

–Volontiers… Je présume, que vous avez ouï parler de Jeanne d’Arc?

–Assurément! Tout bon Français doit la connaître et vénérer sa mémoire. Elle délivra le pays des Anglais… Ce fut un grand capitaine.

–Une sainte fille! colonel, et, qui plus est, l’élue de Dieu…

–Le Napoléon de son temps, monsieur l’abbé, voilà son plus beau titre.

–Je vous en remercie pour elle, poursuivit en souriant l’oncle Pierre. Ainsi que votre glorieux empereur, elle avait ses lieutenants, ses enthousiastes, ses fidèles… et parmi ceux-là, un nommé La Hire.

–Je sais! je sais, mon oncle… car nous apprenons l’histoire tout en en faisant à notre tour… Ce La Hire n’était-il pas un officier de fortune, un chef de bande, un des Bourgachard de ce temps-là?

–Je n’aurais pas osé le dire, monsieur le comte mais j’accepte l’assimilation Je signalerai même entre vous deux ce point de ressemblance tou t particulier, qu’il avai t aussi l’humeur prompte, irascible… et jurait à tout propos comme un diable.

–Vraiment!…

–Ce qui choquait fort la pauvre Jeanne d’Arc, et l’affligeait davantage encore. Dame! c’était une fille religieuse. Elle s’efforçait de réformer, à force de douceur, ses farouches compagnons de guerre. Un seul lui résistait, La Hire. Non pas qu’il y mit de l’entêtement, loin de là; mais il était comme vous, colonel, il ne pouvait se défendre de sacrer et de blasphémer, c’était plus fort que lui.

–Voyez-vous ça, ce pauvre La Hire!

–Un jour enfin, Jeanne accomplit je ne sais plus quel exploit qui tenait du miracle, et, dans cette même affaire, sauva la vie du vieux routier. En la remerciant, pour mieux attester sa reconnaissance, il jura de façon à faire envoler tous les –anges qui servaient d’invisible escorte à la vierge de Vaucouleurs. Elle devint toute triste, et se prit même à pleurer… Tenez! comme tout à l’heure votre femme.

–Ah! ah! ça lui faisait aussi cet effet-là, à Jeanne d’Arc?

–La Hire comprit sa faute, et, se laissant tomber aux genoux de l’héroïne, il lui demanda pardon. «Mais, ajouta-t-il, quant à me corriger, pas moyen!… Il faut absolument que je jure par quelque chose, n’importe par quoi.–Eh bien! répondit-elle, jurez par votre bâton… mais plus rien que par votre bâton… je le permets. el si vous vous y résignez fidèlement, mon brave ami, je serai bien contente.»

–Comment! fit Bourgachard, par son bâton?

–Oui, expliqua l’abbé, La Hire boîtait un peu, par suite d’une ancienne blessure, et s’appuyait sur une sorte de canne, dont parfois aussi, dans certains cas de surprise, il s’était servi comme d’une massue pour frapper l’ennemi.

–C’est-à-dire l’Anglais… Bravo!

–En entendant les paroles de Jeanne, il prit à deux mains ce bâton, le regarda longuement, l’étreignit avec un ferme vouloir… Puis, l’élevant vers le ciel: «Je veux mourir, dit-il, si désormais je jure autrement que par toi! J’en fais le serment à Dieu… et à vous aussi, Jeanne!»

L’oncle Pierre se tut, mais en continuant de regarder le colonel Bourgachard, les yeux dans les yeux.

La loi de Dieu

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