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VI

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En cet endroit de son récit, le père de Maurice reprit haleine.

M. Durand, qui tout d’abord avait manifesté .quelque impatience, commençait à devenir plus attentif.

Jacques s’en aperçut, il s’empressa de poursuivre:

«Six années s’étaient écoulées depuis la mort de Jean-Marie. Magdeleine ne se consolait pas de sa perte. Sans cesse elle priait pour lui; elle y pensait toujours. Dieu lui fit la grâce de la rejoindre.

Au moment du départ, elle me dit:

–Jacques, ma fille a dix-huit ans, Loi trente-deux. Tu es assez jeune encore pour être son. mari. promets-moi qu’elle sera ta femme, et je mourrai tranquille.

Stupéfait, croyant rêver, n’osant croire à tant de bonheur, je regardai Jeanne.

En baissant les yeux, elle me tendit la main.

Le bon curé était là, qui plaça cette main dans la mienne. Et Magdeleine rendit l’âme, en bénissant ses enfants;

Nous étions fiancés, nous fûmes bientôt époux. Puis, notre Maurice vint au monde.

Le soir même des relevailles de Jeanne, auprès du berceau de son fils, elle me dit:

–Jacques, c’est toujours cinq francs que tu gagnes par jour, comme au temps de ma mère?

–Six maintenant, ma Jeanne. car je suis devenu plus habile dans mon état, et, du reste, le salaire augmente.

–Bravo! Ce sera mieux encore que je ne l’espérais.

– Qu’espérais-tu, femme ?... Voyons...

–Tu comptes toujours travailler le lundi. n’est-ce pas?

–Assurément, c’est une habitude prise.

–Eh bien!… puisque ma pauvre mère n’est plus là maintenant, il faut que tous tes lundis à venir soient pour Maurice.

–Fameuse idée!… J’y souscris des deux mains.

–Ça ne suffit pas, mon Jacques; il me faut un serment.

–Sur quoi?

–Sur notre fils.

Et doucement, pour ne pas le réveiller, elle écarta les rideaux de la bercelonnette.

L’enfant semblait nous sourire dans son sommeil.

–Jeanne, dis-je, il n’y a pas seulement les lundis, il y a encore les dimanches.

–Que veux-tu dire?

–Une promenade avec toi me suffit à présent, et ne coûte rien. Jadis, chaque dimanche, je dépensais à la guinguette au moins six francs. si nous doublions la somme?

–Non. Ce serait peut-être plus que nous ne pourrions, Jacques.,

–Eh bien!… dix francs par semaine?

–Va pour dix francs. Jure…

J’étendis solennellement la main au-dessus du berceau, je répondis:

–Devant la chère ombre de maman Magdeleine comme devant Dieu, je’jure de ne jamais riboter le dimanche, et de travailler tous les lundis pour mon fils Maurice. Total: dix francs par semaine que je m’engage à déposer, chaque samedi soir, dans une tire-lire que j’achèterai dès demain…

Jeanne m’interrompit:

–C’est déjà fait, j’en ai acheté une tantôt, en revenant de l’église… et la voici, Jacques?

C’était justement un samedi, ma paie se trouvait encore dans ma poche.

J’en sortis deux beaux écus tout neufs.

–Attends! dit Jeanne.

Et, toute souriante, elle plaça la tire-lire entre les petits doigts de l’enfant qui, bien que toujours endormi, semblait me la présenter lui-même.

Tandis que ma main y laissait tomber les deux pièces de cinq francs, sur cette main Jeanne mit un baiser.

C’était, comme qui dirait, le sceau du pacte que nous venions de conclure; il n’y avait plus à s’en dédire. Aussi, jamais les dix francs de Maurice n’ont manqué, pas plus qu’à chaque matin la lumière du jour.

Je crois même que de son côté, sur son propre travail, en cachette de moi, la bonne mère y glissait quelquefois un supplément de petites pièces blanches.

Tant et si bien qu’en moins de deux ans la tirelire se trouva pleine.

Comment faire?

–Il y a la caisse d’epargne, me dit Jeanne, c’est la grande tire-lire à tout le monde.

–Et qui plus est, ajoutai-je, l’argent y rapporte un intérêt.

En conséquence, ce fut là que désormais, chaque dimanche matin, ensemble tous les deux, bras dessus bras dessous, nous portâmes les capitaux de M. Maurice.

Mais ne voilà-t-il pas qu’un beau jour on me dit que le total arrive au maximum, et qu’il n’y a plus de place non plus dans la tire-lire du gouvernement.

Ah! je l’avoue, nous fûmes bien embarrassés tout d’abord.

Mais le receveur m’ayant fait observer qu’il m’était possible d’avoir de plus gros intérêts, j’ouvris l’œil et cherchai tout de suite un autre placement.

J’avais pour cousin le plus habile pêcheur de Trouville, laborieux, du reste, et probe comme l’or: un Renaud, c’est tout dire. Il lui manquait deux mille francs pour se faire construire une barque neuve. J’achetai à Maurice une part dans cette barque, qui, par un singulier hasard, fut appelée la Jeanne-Marie. Quoique bien vieille aujourd’hui, elle conserve encore le renom d’être la plus chanceuse de toutes.

Puis, tandis que ce premier magot pêchait pour l’enfant, nous commençâmes à lui en amasser un second, qui fut placé non moins avantageusement. Et ainsi de suite.

Dame! sans être un grand financier comme toi, on n’en est pas moins ne natif de Normandie, on a l’instinct de l’argent.

Mais, vas-tu me dire peut-être ainsi que les camarades me le disaient encore pas plus tard que ce matin, mais toutes tes économies ont dû s’engloutir dans l’éducation de ton fils?

Hélas! nous en avions grand’peur, la femme et moi. Fort heureusement, comme récompense de notre épargne, le bon Dieu nous réservait une joyeuse surprise.

A l’expiration du premier mois d’école, comme j’en allais porter le prix à monsieur le maître:

–Gardez votre argent, me dit-il, c’est payé;

–Et par qui donc?

–Par M. le curé.

Je courus bien vite remercier cet excellent homme;

–C’est à ta bonne conduite qu’il faut en savoir gré, me répondit-il, et puis encore à la gentillesse de l’enfant; mon intérêt pour lui ne se bornera pas là.

Effectivement, lorsque Maurice eut passé le temps ordinaire à l’école communale, M. le curé s’arrangea de façon à le placer, toujours sans qu’il nous en coûtât rien, dans un pensionnat des environs.

Et comme j’insistais pour payer, alléguant mes économies:

–Garde ton argent, me répondit ce digne serviteur de Jésus-Christ, ton fils en aura peut-être besoin plus tard!

Brave curé, va! ne dirait-on pas qu’il devinait l’avenir?

Il est vrai que notre Maurice se montra digne de tant de bontés. C’était le plus studieux, le plus intelligent, le plus savant de toute sa classe. Tant et si bien qu’une bourse gratuite ayant été mise au concours par la ville du Havre, ce fut lui qui la gagna d’emblée.

Le voilà donc au collège, et sans un sou de dépense, pas même pour son entretien. Ce fut le proviseur, puis M. le maire lui-même qui voulurent s’en charger, comme encouragement à Maurice qui, chaque fin d’année, régulièrement, remportait les premiers prix.

Oh! ces jours-là, ces jours-là… comme nous étions glorieux, Jeanne et moi!

Notre fils était complimenté, fêté par toutes les autorités. On imprimait son nom dans le journal!

D’autre part, son petit pécule allait toujours grossissant, que ça faisàit plaisir à voir. Jamais un temps d’arrêt dans notre épargne ignorée de tous; jamais la plus petite brèche pour les besoins de Maurice. Sa gentillesse avait payé les frais de l’école, son talent paya ceux du collége et le reste.

Je te le disais bien, monsieur Durand, il y a des enfants qui naissent avec une mine d’or dans leur cerveau. Toi-même, lorsqu’il entra dans cette maison, tu m’avais tout d’abord demandé une année de surnumérariat, et, dès le premier mois, tu lui donnais des appointements, qui furent augmentés dès le second trimestre, et ainsi de suite.

De là, une nouvelle succession de joies, mais, désormais, pour moi seul. La pauvre mère était morte.

Morte heureuse et souriante, car elle savait l’avenir de son fils assuré.

A partir de ce grand chagrin-là, je mis encore plus d’acharnement à mon travail, à mon système d’économie et de spéculation. Nous étions deux à gagner maintenant: Maurice me donnait les trois quarts de ses appointements, et, sans se douter, le digne garçon, que je lui gardais cet argent-là, que je lui faisais faire aussi la boule de neige.

Oh! oh! ce matin je montrais aux camarades un bout d’article de journal, dans lequel il est prouvé qu’un sage travailleur peut amasser deux mille cinq cents pistoles en sa vie; mais le journal a calculé sur une économie de quatre francs seulement par semaine, et sans tenir compte de ce que peut l’amour paternel.

D’ailleurs, il m’est survenu, à moi, quelques bonnes aubaines. J’avais acheté une obligation qui a été favorisée au tirage. Sainte-Adresse est devenue à la mode, et j’ai vendu, cinq ou six fois plus cher qu’ils ne valaient, la maisonnette et le champ de Magdeleine.

Mais ces petits bonheurs-là, M. le curé prétend que le bon Dieu les donne toujours à ceux qui les méritent. Et je crois les avoir mérités.

Bref, voici dans ce portefeuille tous mes titres et toutes mes valeurs en bon ordre.

Ouvre-le, Durand, et vérifie. tu t’y connais.

Il y en a pour cent vingt-trois mille francs.

C’est la dot de Maurice.»

La loi de Dieu

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