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II

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«Tu t’es souvent raillé de mon penchant à la mélancolie, de ma tristesse. Tu ne t’en étonneras plus, lorsque je t’aurai raconté l’histoire de ma vie.

Je n’ai pas connu ma mère, elle mourut comme je venais de naître; et j’avais dix ans tout au plus lorsque mon père alla la rejoindre. Ces choses-là ne vous font pas l’humeur gaie, vois-tu bien?

Un de mes oncles fut mon tuteur; c’était un vieux célibataire, assez égoïste, et qui n’aimait pas les enfants.

Par bonheur, nous avions pour voisin, à Saint-Malo, un digne maître pilote, .dont la famille était nombreuse et la maison franchement hospitalière.

Le père Penhoël,–c’était son nom,–avait quatre fils et une fille.

L’aîné des garçons ne comptait guère plus de quinze ans; les deux suivants étaient à peu près de mon âge. Quant à la fillette, une année de moins que moi, une année de plus que le dernier de ses frères qui, de nom comme de fait, était le Benjamin de la famille.

Dès le matin, j’allais chez les Ponhoël, et n’en revenais guère que le soir. J’étais pour ainsi dire comme un sixième enfant de la maison; moi aussi j’appelais Yvonne ma sœur.

Yvonne, c’était la fille du pilote.

Quelles bonnes et joyeuses parties nous faisions dans sa vieille maison en bois, sur les remparts ou sur la grève!… Oh! c’est pour moi comme un paradis perdu que ces souvenirs-là!

Je ne tardai pas à m’en voir exilé cependant; il me fallut entrer au collége de Rennes, où mon tuteur venait de m’obtenir une bourse, comme fils d’ancien militaire; cette bourse constituait pour moi tout l’héritage paternel.

Ce fut un jour de grand désespoir que celui des adieux. Mais au bout d’une année, lorsqu’arrivèrent les vacances, quelle joie de se revoir enfin, quel bonheur de passer un mois tous ensemble, un mois comme ceux d’autrefois!

Il est vrai que maintenant l’aîné des Penhoël, Corentin, faisait déjà son apprentissage maritime avec son père; il devait être pilote comme lui.

Quant au second, qui se nommait Gabriel, il allait entrer au petit séminaire; il se destinait à l’état ecclésiastique.

Il en serait de même pour Benjamin que pour Gabriel, et de même pour Brieuc, le troisième, que pour Corentin. C’était un usage immémorial, une sorte de loi parmi les Penhoël, que l’aîné fût pilote, que le second fût prêtre, et ainsi de suite des autres frères, afin que tous se dévouassent chrétiennement, les uns au service de Diou, les autres au salut des matelots.

Pour ce qui était des filles, une au moins sur deux se faisait religieuse.

Une sainte famille que celle-là, une famille vraimont bretonne.

Le jour même où Gabriel partait pour le séminaire, Corentin s’en allait en mer affronter sa première tempête. Bien que très-impressionnés tous les doux, Corentin n’avait pas peur, Gabriel ne pleurait pas.

–Chacun son devoir, se dirent-ils en se serrant la main.

A la fin des vacances suivantes, une scène à peu près semblable se renouvelait entre Brieuc et Benjamin; celui-ci s’en allait avec le séminariste Gabriel, celui-là remplaçait comme mousse son frère Corentin, déjà devenu le matelot du père.

Rien de touchant, je le répète, comme cette famille où chacun avait son rôle marqué d’avance, et l’acceptait avec une simplicité vraiment héroïque.

Il y avait déjà longtemps que la mère Penhoël était morte, et que sa fille. bien qu’enfant encore. la remplaçait comme maîtresse de maison. Il en résulta pour elle une sorte de gravité précoce et quasiment maternelle. Au lendemain de sa première communion, Yvonne avait déjà l’air d’une femme.

Je crois la voir encore, avec son costume breton, presque toujours de couleur sombre, et sa grande coiffe malouine, aussi blanche que la neige. Soit qu’elle se rendit à l’église avec une allure chastement réservée, soit que d’un pas actif et leste elle allât aux provisions, chacun la regardait passer avec un étonnement admiratif, avec un respectueux sourire. Dans la maison, elle savait entretenir un ordre admirable, et tous ses frères lui obéissaient aveuglément, voire même le père, auquel parfois, le dimanche, elle ne craignait pas de faire un doigt de morale à l’endroit de la sobriété; c’était elle qui tenait la bourse.

Garde-toi de croire nonobstant que cette austérité de mœurs engendrât la tristesse. Loin de là, c’était un des logis les plus souriants de la ville, et lorsque les vacances nous réunissaient tous, il y régnait un patriarcal enjouement, une franche allégresse; Gabriel et Benjamin eux-mêmes oubliaient leur soutane noire, et quand parfois, tous ensemble, nous allions faire une promenade aux environs, c’était à qui s’ébattrait le plus joyeusement dans la campagne. Yvonne ne songeait plus à nous retenir ces jours-là; elle se laissait aller à l’influence expansive du grand air et du grand soleil, à la rieuse agilité de ses quinze ans!

Car elle avait déjà quinze ans, notre chère sœur Yvonne; c’était une belle et grande fille, à a taille gracieuse et svelte, aux traits réguliers comme ceux d’une madone, aux yeux noirs et rêveurs, à l’angélique sourire.

Que te dirai-je de plus, ami? Je l’aimais. Dans notre entourage, chacun nous croyait destinés l’un à l’autre.

Je terminai enfin mes études; mon tuteur, sans aucun avertissement préalable, me fit entrer chez un armateur en qualité de commis.

–Comporte-toi bien, me dit-il. Grâce à mon héritage, tu lui succéderas un jour.

J’avais craint qu’on ne m’éloignât de Saint-Malo. Je m’empressai d’aller communiquer cette bonne nouvelle à mes amis.

–Bravo! s’écrièrent d’une même voix les quatre frères, nous ne nous quitterons plus maintenant!

Quant au vieux pilote, il me serra cordialement les mains, il m’appela son fils.

–Je suis bien contente, me dit Yvonne avec une larme de joie dans les yeux.

Oh! tout semblait me sourire ce soir-là; je me croyais assuré d’un avenir heureux.

Comme on se trompe, pourtant. comme on se trompe!»

La loi de Dieu

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