Читать книгу Le livre de l'exilé, 1851-1870 - Edgar 1803-1875 Quinet - Страница 35
République ou Monarchie.
Оглавление«Une Assemblée de révision peut-elle décider entre la République ou la Monarchie?»
Voici ce qu’ils appellent poser franchement la question. Un peuple, se trouvant égaré entre la Seine, la Loire et le Rhône, Tas d’incertitudes, arrive à un carrefour où plusieurs directions opposées se présentent. Que faire? où s’engager?
En avant? en arrière? Il ne sait absolument ce qu’il veut, d’où il vient, ce qu’il est, ni où il est. S’il consulte son nom, il pourrait se croire en République; mais il est aussi possible qu’il soit en monarchie. Comment sortir de ces apparences? Pour s’informer de ce qu’il est, il convoque une assemblée de révision, laquelle, après délibéré, lui fait savoir que, tout bien pesé, les divers partis entendus, elle a choisi pour lui, par assis et levé, les institutions japonaises. On aurait peut-être pu se décider pour la formule des rois mages, qui présente beaucoup d’avantages; mais, l’heure pressant, et quelques membres s’étant absentés pour souper, les institutions du Japon ont passé à la majorité de deux voix. Le peuple, ravi de ce résultat, sort de l’anarchie; il prend aussitôt le teint jaune cuivré, et se met à chanter japonais. Un gouvernement sérieux se trouve ainsi fondé ; là société se rassied sur sa vraie base.
C’est ici que l’on voit à quel point ceux qui s’appellent conservateurs, troublés par la volonté de lutter contre la force des choses, sont envahis de l’esprit de destruction: au moment où ils parlent de restaurer l’ordre social, ils détruisent, bouleversent à plaisir toutes les notions qui l’ont fondé.
Il est des choses qu’une assemblée peut faire; il en est d’autres qui lui sont impossibles. Je dénie absolument à une assemblée quelconque, fût-elle de révision, le droit et le pouvoir de faire, de créer de rien un nouvel ordre politique ou social. Je lui dénie absolument la capacité de choisir entre une République ou une monarchie. De tels changements, de telles innovations dans les affaires humaines, si elles sont autre chose qu’un jeu, ont une autre base qu’une discussion de tribune. Elles éclatent dans le monde avec la puissance de la nécessité ; elles s’enracinent avec l’autorité d’un événement.
Pour passer d’un ordre de choses à un autre, sachez qu’il faut un autre levier qu’une boule de plus ou de moins dans l’urne! Quelle risible manière de concevoir les sociétés humaines! S’imaginer que le berceau de ces grands corps flotte à leurs origines sur le sable mouvant d’une discussion qui les promène et les bat en tous sens! Où vit-on jamais une forme nouvelle de gouvernement surgir ainsi d’un scrutin! Ah! que le germe de ce qu’on appelle les constitutions du peuple est enfoui bien autrement profond dans la nature des choses! Ces constitutions, sont gravées dans les événements longtemps avant d’être proclamées par les scrutins.
Pour tirer une République des entrailles d’une monarchie, il faut non pas un vote, mais une révolution; de même, pour ramener une République à une monarchie, il faut une journée; appelez-la comme vous voudrez, 18 brumaire, ou Entrée des alliés.
Est-ce la Convention qui a fait la République? C’est le 10 août, en rejetant la royauté et la rendant impossible; de même, de nos jours, la République était faite quand est venue la Constituante.
Ce qui a créé la forme du gouvernement de 1848, c’est un événement. C’est la puissance mystérieuse qui a éclaté au 24 Février. La République est née, comme toutes les formes politiques, d’une explosion, d’un coup de tonnerre, d’un acte de la nécessité souveraine devant laquelle les hommes se sont abaissés au moins un moment.
L’Assemblée constituante, comme l’eût fait à sa place toute autre réunion d’hommes, a compris ainsi ses limites. Elle a reconnu que l’origine, la source des grands changements qui s’opèrent dans le principe de la constitution et dans le tempérament d’un peuple, ne sont pas affaire d’amendement ni de ballottage. Qu’a-t-elle fait? Tout ce qu’elle pouvait faire. Elle n’a pas choisi, elle n’a pas délibéré, elle n’a pas envoyé ses huissiers compter, supputer les voix, sauf à redresser le calcul le lendemain et remplacer au Moniteur, dans un erratum, République par monarchie. Non! ce fut là son seul instant de grandeur: elle a acclamé ce qui était dans les choses.
Certes, il eût fait beau voir un de nos collègues se lever et dire, approchant comme dans Cinna:
«Mes chers amis, nous allons peser et ballotter
«l’état démocratique et l’état monarchique.
«Chacun fera son choix; le mien est pour
«Chilpéric. Voici mon suffrage.» On se fût contenté d’en rire. Mais rien de tel ne fut dit, et nul ne le pensa. Les royalistes, s’il y en avait, savaient que les vrais rois, comme tous les pouvoirs durables, se font par acclamation sur le pavois. Ils ne se glissent pas, roulés et anonymes, dans l’urne d’un huissier.
Est-il croyable que ce soit nous, républicains, qui soyons obligés de leur rappeler ce qu’ils nous ont enseigné depuis mille ans sur l’origine et la fondation des pouvoirs publics?.
Vous demandez la révision, parce que, dites-vous, c’est la rétractation du 24 Février; ici, vous approchez du vrai.
Oui, pour détruire la République, il vous faut détruire sa base, qui est, non pas une boule, un hasard de suffrage, mais une journée de la Providence. Voulez-vous effacer la République? Effacez-en la cause, je veux dire ce jour maudit qui n’aurait pas dû naître, où le soleil s’est voilé, où la Providence a sommeillé, où la terre a échappé par hasard aux volontés d’en haut. Vous avez eu un instinct heureux, lorsque, vous acharnant contre cette date, vous l’avez couverte de malédictions et d’injures. Malheureusement, les injures passent, la date demeure; c’est elle qu’il faudrait retrancher du cercle de l’année; car, tant que ce jour subsiste, il entraîne avec lui son lendemain; tant que le fait demeure, il a ses conséquences; tant que l’arbre est debout, il porte son fruit, et ce fruit c’est la République.
Vous voulez couper l’arbre par le pied? d’accord; mais comment vous y prenez-vous?
Certains que l’injure, la calomnie, n’ont pas réussi, vous arrivez à trouver un autre remède. Vous pensez qu’une chambre de révision, dûment avertie et chapitrée, pourra faire ce qui vous est impossible: faire rentrer la terre dans sa vieille orbite.
Et moi je vous répète: Une assemblée peut changer ce qu’a fait une assemblée; mais, quelque nom que vous lui donniez, constituante, législative, révisionnaire, elle est incapable d’anéantir un fait, d’effacer une journée. Que lui servira de se mettre en colère contre les choses? «Cela leur est fort égal», disait déjà Marc-Aurèle.
Une chambre constituante, si introuvable qu’elle soit, n’est rien, si elle n’est précédée d’un événement dont elle exprime les conséquences. La Chambre de 1815, révisionnaire s’il en fût, dans la totalité, puisqu’elle nous a fait passer en un clin d’œil de l’empire à la royauté, était une fort belle chose. Mais elle avait été précédée d’une chose qui ne l’était pas moins: de l’invasion de douze cent mille alliés. Celle assemblée n’eut d’autre peine que de résumer, dans ses lois, ce moment de félicité. La Chambre des députés de 1830, voilà aussi une assemblée vraiment révisionnaire dans la totalité, puisque, du lundi au mardi, elle nous a donné la formule orléaniste au lieu de la formule légitimiste. N’oubliez pas, cependant, que ce changement n’a pas été seulement de sa part un caprice subit; Tes choses y avaient eu quelque part; la veille, un petit événement s’était passé, il est vrai, fort peu connu; la Révolution de juillet.
Ici nous revenons au point de départ. Comment effacer le principe du mal? Comment anéantir le 24 Février? Ce qu’a fait une révolution ne se défait pas par un amendement. Voulez-vous donc que le 24 Février disparaisse et que nous cessions de dater de cette heure, montrez-nous, non des discours, mais un acte. Choisissez à loisir dans tout le calendrier votre jour et votre heure. Qu’à un moment donné toute cette terre de France, faisant amende honorable, se pavoise du drapeau blanc; que la moindre chaumière ait son oriflamme; qu’une grande voix partie des entrailles du sol s’écrie, par la bouche de trente-quatre millions de flagellants: «Mes frères! j’ai péché !
«je demande merci à Suwarow! miséricorde à
«Blücher! pardon à Wellington, et à tous nos
«bons alliés, d’avoir chassé par trois fois ceux
«qu’ils m’avaient imposés. Cela est mal, très-mal,
«d’avoir si indignement méconnu le bien
«qu’ils me voulaient faire. Enfin! j’ai péché, je
«le confesse; voici mes mains, liez-les moi.
Et il ne suffirait pas que ce sage discours fût tenu au fond du cœur par le peuple de France. Il faudrait, cette fois, des preuves efficaces, visibles à tous les yeux, d’un repentir sincère; tels que, au dehors, de bons gages donnés à la sainte invasion: la Lorraine et l’Alsace, bien entendu, remises d’abord, sans conteste, à leurs vrais propriétaires; au dedans, le lis honoré à chaque boutonnière, l’aigle et le coq proscrits ensemble dans le moindre village; nombre de bourgeois qui, ôtant les palissades de leurs biens nationaux, iraient sur les grandes routes en quête du maître légitime pour lui rendre sa terre; force ouvriers qui, d’emblée, referaient les jurandes; force paysans qui rétabliraient gabelle, corvées et mainmortes; tous les faubourgs de Paris qui, dès la première heure, rebâtiraient la Bastille; et cela, de bon gré, d’inspiration, sans attendre les nouvelles. Quand cette journée aura lui, nous reconnaîtrons à ce signe que le passé est redevenu le présent.
Rien de plus simple alors que la conduite à suivre. Dès le lendemain de ce grand jour, vous convoquez votre assemblée de révision; elle arrive, elle constate, ou plutôt elle acclame les faits que je viens de rapporter. Les verdets de 1815 ressuscitent, le poing fermé, et couvrent la place de la Concorde. La Providence se prononce; dix-sept acclamations répondent Monarchie aux dix-sept acclamations républicaines de notre Constituante. Les faits parlent à la place des orateurs; personne ne discute, tout le monde consent; une formule fait place à une formule; la question de gouvernement est résolue et nous voilà au port, dans le définitif.
Cela revient à dire que demander la révision légale pour avoir la monarchie blanche ou-bleue, c’est s’amuser d’une absurdité, ou provoquer avant toute discussion préalable, une révolution de faits.
Pour arriver à votre dénoûment, retenez bien ceci: Que vous avez eu d’abord votre journée, où Dieu sait quel ruisseau de sang aura coulé. C’est là le. point convenu entre nous, et le premier anneau de notre raisonnement. Sinon, non. Pour que vos arguments cessent d’être risibles, il faut qu’ils soient tachés du sang d’une révolution nouvelle; jusque-là je serais dupe de prendre au sérieux des semblants d’idées cent fois mises en poussière par ceux qui s’en servent aujourd’hui. Le seul moyen, sur ce terrain, de n’être pas burlesque, c’est d’être criminel.
Car, de s’imaginer qu’en pleine légalité, sans qu’une porte ait été ouverte ou fermée, ni une vitre cassée, sans qu’un seul commissaire ait verbalisé, il surgisse une assemblée pour nous dire: «Vous êtes bleus, ou rouges, je vous fais
«blancs, ou noirs; vous êtes République, je vous
«fais monarchie;» c’est assurément la plus froide, la moins divertissante, la plus sotte extravagance qui puisse entrer dans la tète des hommes.
Peu de gens, il est vrai, nous proposeront rien de semblable. Puisque nous sommes républicains, nous voilà obligés d’être impartiaux entre la République et la royauté ; à d’autres il appartient de faire pencher le plateau. Pour cela, nous convoquerons, à notre place, une autre assemblée, laquelle aura plein pouvoir de faire d’un rond un carré ; et, déjà, notre conscience nous empêche de limiter son autorité sur ce point. Que serait-ce, bon Dieu, si nous la gênions en rien, d’avance, dans le choix de l’impossible?
Quoi! cette Chambre ne sera enfermée dans aucune muraille! elle ne sera réglée par aucun événement! Dieu lui-même est soumis à des lois; pour elle, c’est la loi des choses qui lui sera soumise. Elle pourra se placer comme elle voudra, en dedans ou en dehors des faits, c’est-à-dire en dedans ou en dehors du sens commun!
Oh! l’heureuse assemblée! Qui ne voudrait en être membre? Elle aura le don des miracles, et ne pliera sous aucune des verges de la nécessité ! Les contes de fées n’auront rien vu de semblable. D’abord, elle fera de nous ce qu’elle voudra! Plaise à Dieu qu’il lui convienne décréter d’abord que nous serons tous gens d’esprit et d’honneur! Le reste suit sans peine. Certes, il lui coûtera peu d’ajouter, je pensé, la raison, la modération, pour chacun de nous. Adopté. Dans cette voie, elle serait mal conseillée de ne pas reviser du même coup notre constitution physique. Je suppose qu’elle nous donnera à tous six pieds de haut, pour le moins. Quand nous votâmes ce point, nous étions au complet. Je suis encore d’avis qu’elle nous fasse tous beaux de visage comme Alcibiade, en interdisant, toutefois, de grasseyer et loucher comme lui. Bien! Voilà le laid proscrit, sans difficulté, par assis et levé. Vraiment, elle manquerait à son mandat, et trahirait sa mission, si, après avoir revisé la couleur de nos yeux, elle ne décrétait aussi, pour nous, une verte jeunesse, et, au besoin, l’immortalité terrestre.
Allons! voilà qui est fait. Sages, beaux, presque immortels, je vois que nous sommes déjà à peu près demi-dieux, grâce à cette bonne assemblée. Que faut-il davantage? Du reste, je m’en rapporte à elle.
Il ne suffit pas d’être glorieux. Tout est bon d’une nation, hormis d’être ridicule. Quand on s’appelle soi-même le premier peuple du monde, il y a déjà quelque déplaisir à se réveiller dernier laquais de monseigneur Antonelli. Du moins la place est bonne, bien nourrie d’indulgences, bien payée de reliques, copieusement abreuvée d’avanies. Pour l’amour de Dieu, sachons y demeurer. Ne descendons pas au-dessous, s’il vous plaît.