Читать книгу Le livre de l'exilé, 1851-1870 - Edgar 1803-1875 Quinet - Страница 36

Оглавление

IV

Table des matières

Conditions de la Monarchie.

Supposons que l’absurdité soit la raison même et qu’une assemblée de révision puisse choisir à son gré, indépendamment des faits, entre toutes sortes de systèmes contraires. Voyons, dans ce cas, les conditions de ces systèmes.

Si je voulais la monarchie, j’en voudrais certainement les conditions, car je croirais cette institution nécessaire; et sans me soucier beaucoup des obstacles, ni des inconvénients, je me préoccuperais, ayant tout, de la rétablir et de la rendre durable.

La première chose que je ferais pour cela, serait d’examiner entre les deux formes de royauté qui se présentent à moi, laquelle je pourrais armer et défendre le mieux contre la révolution. Je ne tarderais pas à voir que de ces deux systèmes, un seul présente quelque possibilité de défense. La royauté constitutionnelle portant en soi la révolution, c’est-à-dire l’ennemi, je la rejetterais du premier coup, et mon choix serait ainsi commandé pour la royauté légitime. Je m’y enfermerais comme en une citadelle.

Cela posé et mis hors de doute, je me demanderais sincèrement: Qu’est-ce que la monarchie légitime pour la France de mon temps? La main sur la conscience, je répondrais: La monarchie, c’est l’invasion.

Car il me serait évident que la nation toute seule n’a pas produit, en 1814 et 1815, le système de la restauration et du droit divin, mais que la force de l’étranger en a été la cause principale. Dès lors, je m’attacherais avec piété à la religion de la force. L’invasion se trouvant être mon point de départ, je retremperais, autant que je le pourrais, mon système dans son berceau sacré.

Je commencerais à comprendre ce que les événements mettent de plus en plus en lumière, à savoir que les ennemis avaient imposé chez nous les deux dynasties des Bourbons comme les stigmates de la conquête; ils s’en étaient fait un moyen de perpétuer chez nous leur victoire. A ce point de vue, les fautes de la Restauration m’apparaîtraient; je les reconnaîtrais ingénument sans vouloir rien farder. Il demeurerait constant pour moi que la Restauration, tant de la branche aînée que la branche cadette, devant tout à l’ennemi, devait tout lui rapporter; qu’ayant reçu la dépouille de la France, frappée, meurtrie, foulée, anéantie, elle devait bien se garder de réchauffer le cadavre d’Hector. Elle avait reçu un pays expirant, elle devait l’achever, c’est-à-dire maintenir, augmenter l’occupation étrangère, non pas seulement dans quelques provinces, mais dans toutes; se refuser obstinément à la recomposition d’aucune armée nationale; anéantir le commerce déjà exténué ; appauvrir la bourgeoisie et la saigner à blanc, au lieu de la réveiller par le pauvre prélèvement de deux milliards, qui chatouilla la blessure sans la rendre mortelle; par-dessus tout, interdire absolument la discussion. C’était une conquête, il fallait le comprendre. A ce prix, on avait pour, durer les chances que présente toujours un système suivi.

Au lieu de cela, voyant Louis XVIII et Charles X ouvrir eux-mêmes des tribunes à la liberté parlementaire, conserver le droit d’écrire et de penser, le garantir même par leurs Chartes, je ne me ferais aucune illusion sur les conséquences de telles fautes. Je reconnaîtrais, sans tergiverser, que, croyant dompter l’ennemi, ils l’ont fait entrer dans la place. Ils ont réchauffé le serpent; quelle merveille qu’ils en aient été mordus?

La Chambre introuvable de 1815 eut un moment l’inspiration sérieuse de ce qu’exigeait une restauration monarchique. Elle fit paraître quelque étincelle du génie de réaction qu’avait montré Philippe II pour ressaisir les Flandres; elle sut verser à propos le plus pur sang de nos veines. En un mot, par sa terreur blanche, elle témoigna qu’elle avait le sentiment vrai des conditions de la monarchie, et qu’elle voulait les remplir sincèrement. Que pouvait-on espérer davantage? Par malheur, il était dans sa nature de détruire d’une main ce qu’elle faisait de l’autre. Il aurait fallu que son édifice d’absolutisme s’élevàt, comme ailleurs, dans le silence et dans l’ombre. Au contraire, ce n’étaient que discours, éclats de discussion; si bien que, pour tuer la liberté, elle établissait dans le pays, ne pouvant mieux, les habitudes d’un peuple libre. Quand ses échafauds tombèrent, la tribune resta; dès lors tout fut perdu.

On le vit bien, lorque des écrivains, avides de parole, persuadèrent leur roi d’accepter simplement la discussion avec la révolution. Liberté de la presse, liberté de la tribune, liberté de suffrage, devaient être, selon M. de Chateaubriand et ses amis, les fondements d’une bonne monarchie. Bientôt, de la discussion jailliraient les lumières royales. D’ailleurs, ils parlaient, ils écrivaient si bien, qu’ils allaient soudain convertir le globe. Qu’on mît seulement leur savoir à l’épreuve, chacun de nous se ferait leur disciple. Il n’en fut rien. Tout ce qu’on emprunta à la Révolution ne servit qu’à la Révolution. C’était bâtir, comme Scipion, des temples aux tempêtes. Deux fois elles en sortirent, en 1830 et en 1848. Ni dans l’un ni dans l’autre cas, ces cruelles ne montrèrent aucune reconnaissance pour la main qui les avait nourries.

Instruit par cette expérience, je l’aurais toujours sous les yeux; et je saurais qu’il ne peut entrer, sans un péril de mort, aucun élément, aucune parcelle de la Révolution dans ma royauté. Plus de tribune, plus d’Assemblée, plus de presse, ni rien qui s’en approche. Ceci est élémentaire. J’aurais besoin, d’abord, de retremper mon sceptre à son principe, dans une invasion. Je pourrais l’appeler intervention amie, alliance, telle que celle que nous exerçons si bien à Rome; le nom ne me fait rien, mais la chose m’est indispensable. Il me faut, à mon sacre, une armée de Cosaques; c’est la première condition. Je la considère comme tellement nécessaire, tellement inhérente au système, que, si vous ne m’accordez ce point, je suis forcé d’abdiquer, vous laissant en pleine anarchie, sans ajouter un mot.

Je ne ferais pas la faute de garder une armée nationale, pour en être abandonné, comme cela s’est vu deux fois. Mais, ayant les yeux fixés sur ce que font les Autrichiens en Lombardie, les Russes en Pologne, qui me paraissent avoir trouvé le seul système sérieux, efficace, de restaurer une autorité tombée sous l’opinion nationale, je les prendrais, autant que je pourrais, pour modèles; et je m’appliquerais comme eux à énerver, à extirper les forces matérielles aussi bien que morales, du pays où je voudrais enraciner ma restauration.

Une des choses qui me donneraient le plus à réfléchir serait d’empêcher qu’il ne se trouvât jamais un grand nombre d’hommes forts et capables de se soulever contre l’autorité de fait. Pour obvier à ce danger, je ne verrais rien de mieux que d’imiter les Autrichiens, qui transportent les Italiens en Hongrie, et les Russes, qui transportent les Polonais en Crimée. Assurément, le czar et l’empereur ne refuseraient pas que l’on versât et disséminât dans leurs cadres le plus grand nombre possible de Français, à mesure qu’ils atteindraient la virilité. Ou ces hommes ne reverraient jamais leur pays, ou ils le reverraient brisés par la vieillesse, quand ils seraient devenus incapables de nuire.

L’état de siége, tel qu’il est exercé chez nous, dans l’Ain, depuis deux ans, serait aussi pour moi une institution à laquelle je n’aurais guère à reprendre, si ce n’est que je l’étendrais à tout le territoire de France. Peut-être y joindrais-je la bastonnade et le cavaletto, quoique, à vrai dire, la première de ces choses me répugne, d’après l’essai qui s’en fait parmi nous en des occasions solennelles.

J’aimerais aussi à rétablir d’un trait de plume les serfs et les barons, le château de Barbe-Bleue, surtout les vieilles mœurs, celles de Louis XV et du maréchal de Richelieu; puis les courtisans, les flatteurs, les traitants. Peu de choses, dit-on, suffiraient pour cela.

Quant à la religion, j’ai déjà dit ailleurs qu’il me la faut telle que sous saint Louis; par conséquent, au préalable, Révocation nouvelle de l’édit de Nantes, expulsion de tous judaïsants, libertins et protestants. J’ai besoin de percer d’un fer rouge toute langue aiguisée qui blasphèmera. Du reste, à son avènement, mon roi renouvellera le serment officiel d’exterminer les hérétiques, eussent-ils voté l’expédition de Rome. Je sais que nous marchons dans cette voie; mais combien lentement et timidement! Que gagnez-vous à vous convertir à demi? D’être pris pour socialistes par les journaux religieux; ils vous le répètent chaque matin, et non sans quelque raison. Comment, en effet, vous tenir aucun compte d’un zèle aussi tiède? C’est peu de dénoncer, destituer; il faut croire, mes frères, précisément comme nos aïeux, c’est-à-dire relever en un jour tout ce que nous avons renversé en trois siècles, et renverser tout ce que nous avons élevé.

Voilà, comme dit Platon, ce que m’inspire la Muse royale. Si vous m’accordez ce que je réclame, ma monarchie est armée; Dieu fera le reste. Je crois fermement que mon utopie n’a de chances que si les institutions que je demande me sont concédées sans délai. Car il me les faut toutes, seulement pour essayer de vivre. Refusez-m’en une, et ce trône, si savamment rétabli, est déjà renversé ; une nouvelle révolution plus terrible que toutes les autres vous menace. Et croyez que je parle sérieusement. Est-ce ma faute à moi si j’ai l’air de sourire en exposant les conditions réelles de la vie pour ce qui ne peut plus être? Fallait-il prendre la massue pour frapper des fantômes qui se savent fantômes? Ce n’est pas mon avis.

Quand j’ai fait ainsi mon plan de Restauration, non pour un jour, mais pour une vie de peuple, quand je l’ai appuyé sur l’expérience et la force des choses, sur le principe de l’institution, sur la science de M. de Bonald et de M. de Maistre, et quand je cherche autour de moi par qui me faire assister dans un si grand dessein, je vois avec terreur que je suis seul ou à peu près; et je finis par découvrir que, s’il n’y a plus de rois en France, il y a encore moins de royalistes.

Ce qui est toujours fréquent dans les temps difficiles, je rencontre des hommes qui veulent une chose, et qui n’en veulent pas les conditions indispensables. Tel m’accorde une de mes institutions, tel m’en accorde une autre; mais d’accepter le système dans sa rigueur, qui seul lait sa force, c’est à quoi nul ne veut consentir. Ils me chicanent sur les plus simples, les plus nécessaires de mes exigences. Qui défend encore, si ce n’est moi, le droit divin? Ils veulent garder une ombre de liberté, de nationalité, sans savoir que cette ombre seule est la mort du système. Bientôt, vous le verrez, on me contestera, sans doute, le silence obligé, la ruine imposée, tout enfin, l’étranger même, peut-être. Et à la place, que mettent-ils? une chose révolutionnaire s’il en fut, une Constituante, qui doit faire sortir directement ou indirectement de je ne sais quelle combinaison de boules, où ma raison se perd, l’hérédité du pouvoir monarchique!

O libéraux endurcis, révolutionnaires envieillis, qui vous croyez royalistes, bâtirez-vous toujours sur les orages? Laisserez-vous toujours percer en vous le vieil homme sous le converti? Sachez donc que la perpétuité exclut le vote, et réciproquement le vote exclut la perpétuité. Si je vous accorde, quant à présent, une éternité d’un jour, qui peut m’empêcher de vous la reprendre demain? Comment respecterai-je l’hérédité politique? Née d’un caprice, qui m’empêchera de la défaire par un autre? Créant des monstres incapables de vivre, vous mêlez le bon plaisir et le contrat social; vous confondez M. de Bonald avec Jean-Jacques. Ah! qu’il en coûte de renoncer au péché dans lequel on est né ! Votre endurcissement dans la liberté vous lie malgré vous; il vous empêche de vous associer à mes projets. Dès lors, je suis contraint moi-même de renoncer à mon château en Espagne, auquel je commençais à m’attacher; et je passe, avec regret, à une autre utopie.

Le livre de l'exilé, 1851-1870

Подняться наверх