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VI

Table des matières

Conclusion.

En sortant des utopies pour rentrer dans la République, je découvre dans cette forme de gouvernement un désavantage dont je ne m’étais pas aperçu et que je ne saurais dissimuler. C’est d’être possible, et surtout d’exister.

Quoi! descendre sitôt du ciel des chimères, lâcher déjà l’ombre pour la proie, l’imaginaire pour le réel, revenir simplement à ce que la nature des choses a mis sous notre main, quitter fumées, illusions, accepter le possible, l’améliorer même, fi donc! Nous prend-on pour des bourgeois? Comment! plus de révolutions, plus d’inconnu, plus de trônes détruits aussitôt que relevés, plus d’empereurs qui traversent la terre en trois pas, d’Ajaccio à Sainte-Hélène! plus de renversements, ni d’écroulements! Au lieu de cola le mouvement régulier de la volonté nationale exprimée sans violence, tout uniment, sans bris de royaumes et d’empires; le droit, la légalité, la sincérité (j’allais presque ajouter la formule écrite sur nos monuments), quel ennui profond! quel désœuvrement! Comment passer la journée sans voir tomber au moins une monarchie?

Je l’ai avoué en commençant, ces inconvénients ne sont que trop réels. La République peut être, puisqu’elle est. Fâcheuse impression et presque irrémédiable auprès du cœur de l’homme, si dégoûté de ce qu’il peut avoir, si amoureux de l’impossible!

Cependant, en creusant davantage, peut-être pourrions-nous rencontrer aussi chez nous, dans notre régime, quelque chimère, quelque mélange d’impossible qui rachèterait ce défaut de notre cause. Exemple: la loi du 31 mai. Vous nous liez bras et jambes, après quoi vous nous dites:

«Je gage que tu ne cours pas si vite que moi. Si tu n’acceptes pas, la preuve est évidente que tu te défies de tes forces, et j’ai gagné mon pari.» Penser que nous tombions dans ce piège, et que le monde s’y trompe, voilà déjà vraiment une très-bonne utopie.

Il s’en trouverait d’autres. Si la Révolution française s’arrêtait où nous sommes, croit-on qu’elle vaudrait ce qu’elle a coûté ? Serait-ce là le juste payement de tant de sang versé ? Certes, notre nation a prêté au dehors, depuis 1815, en toute occasion, son appui aux libertés du monde. En 1822, elle a étouffé, par la force, la Révolution en Espagne; en 1847, la Révolution en Portugal; en 1849, la Révolution en Italie. Ce sont là des services. Mais enfin est-ce tout? Avons-nous accompli par là chacune des promesses de nos pères? L’imaginer est une utopie qui ne cède en rien à la précédente.

Que serait-ce, si je lisais dans l’avenir? Je vous verrais unis, la main dans la main, oubliant vos querelles, frères, non pas de bouche, mais de cœur, au giron de la France, qui ouvrirait ses grands bras pour embrasser le monde. Personne, alors, ne pourrait croire qu’il fut un temps où l’on disputait le suffrage à l’ouvrier, au paysan. Car, grâce à leurs mains, cette terre, qui est la nôtre, fleurirait de moissons sans pareilles, où chacun de nous pourrait glaner, et l’industrie y ferait ses miracles. Nul ne saurait plus ce que c’est que la faim et le gel; mais chacun viendrait en aide à son voisin. En promettant moins, nous tiendrions davantage, et les morts en souriraient dans leurs tombeaux. L’étranger dirait: «Voyez, comme ici la glèbe rit sous les gerbes! Comme les fleuves sont orgueilleux en baisant leurs rives, tout chargés des trésors des métiers! Il semble que cette terre se glorifie de porter un peuple d’hommes libres. C’est qu’ils ont combattu, ils ont lutté sans jamais perdre courage. Et maintenant, le cœur en paix, ils recueillent la joie qu’ils ont semée. Retournons chez nous les imiter.»

Sans aller plus loin, on voit, par ce discours, que l’utopie ne nous est point absolument impossible, et cela doit achever de convertir nos plus obstinés adversaires. Je pourrais même en dire davantage sur ce point; mais je le juge inutile aujourd’hui, et je me tais.

Le livre de l'exilé, 1851-1870

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