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2.3. Échec des explications positives

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Il faut à mon avis s’en tenir strictement au fait que, de la conscience préréflexive, nous avons tout au plus une connaissance négative. Je considère que toute approche par connaissance positive est vouée à l’échec1. Il y a eu bien des tentatives d’expliquer la conscience préréflexive par une théorie positive, et l’année de la publication de « Selbstbewusstsein », donc en 1970, Henrich lui-même se distancie de l’idée d’une description ex negativo dans un article (resté non publié jusqu’en 2007) intitulé « Selbstsein und Bewusstsein2 ». Cependant, pour appuyer ma thèse selon laquelle (à partir de la perspective de la première personne) toute connaissance de la conscience préréflexive de soi est négative, je préfère discuter deux autres exemples (à mon avis plus significatifs que l’article de Henrich) cherchant à inclure la conscience préréflexive dans une théorie positive.

Le premier exemple est le modèle de Klaus Düsing dans son ouvrage Selbstbewußtseinsmodelle de 1997, où il propose de se servir de la notion husserlienne d’horizon pour expliquer la conscience préréflexive. Tout acte de conscience qui thématise un objet est selon Husserl accompagné d’un grand nombre de vécus qui ne sont que vaguement présents, qui selon lui sont « apprésentés », c’est-à-dire qui ne font qu’accompagner ce qui est explicitement thématisé. Nous en sommes co-conscients, en quelque sorte. Dans une conversation, par exemple, mon attention est fixée en premier lieu sur mon interlocuteur. Mais j’entends aussi passer une voiture devant la fenêtre, je sens une odeur qui émane de la cuisine, je perçois mes mains, le bout de mon nez, une multitude d’objets autour de moi, je me souviens soudain de quelque chose, etc. Tout cela est vécu en même temps que d’être attentif à mon interlocuteur, tout cela forme l’horizon de ma conversation.

Maintenant, la conscience de soi, pour Düsing, ne peut pas être réduite à une conscience réflexive dans le sens d’une auto-thématisation explicite. Selon lui, la façon dont nous sommes conscients de nous-mêmes dans des actes qui visent des objets autres que nous-mêmes n’est pas d’abord un acte réflexif, la conscience de soi qui accompagne nos actes primaires étant plutôt préréflexive, non-thématique ; plus exactement, elle accompagne nos actes primaires comme l’horizon de nos thématisations explicites. Je suis apprésent à toute une gamme de vécus formant l’horizon d’un acte intentionnel primaire par lequel je thématise quelque chose3.

Le problème avec cette approche est l’identification de la dimension d’horizon avec le préréflexif. Car en fait, ce sont encore des actes qui constituent l’horizon de mes thématisations. L’horizon n’est pas simplement là sans contribution de ma part. Ce qui pour moi est horizon ne l’est que parce que, par un acte intentionnel, aussi fugitif qu’il soit, j’ai au moins une fois dirigé mon attention dessus. Pour sentir l’odeur de la cuisine, entendre la voiture passer devant la fenêtre, etc., il faut qu’à un moment donné mon attention se soit – même si ce n’est que vaguement – fixée sur l’odeur, la voiture, etc. Mais cela signifie que la conscience que Düsing conçoit comme préréflexive est en fait réflexive. On pourrait bien appeler lʼintentionnalité d’horizon une forme d’intentionnalité spéciale (eigentümlich), expression dont Husserl se sert pour caractériser la rétention dans les Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps4, il n’empêche qu’il s’agit d’une forme d’intentionnalité. Toute attention génère une représentation, aussi vague soit-elle, et est de ce fait intentionnelle.

Mais avec cela, contrairement à ce que pense Düsing5, son modèle n’échappe pas à l’argument de la régression à l’infini. Car si par des actes d’attention portés sur moi-même je suis conscient de moi dans le sens d’un moi horizon de mes thématisations, la question se pose à nouveau : qu’est-ce qui fait que je sais que c’est moi-même sur qui porte mon attention ? L’intentionnalité d’horizon se visant elle-même présuppose elle aussi une conscience non-intentionnelle de soi, une conscience (de) soi, une conscience qui échappe à la connaissance positive de soi.

Comme deuxième exemple, jetons un regard sur l’idée de la présence immédiate à soi dans la phénoménologie de Michel Henry. Contrairement à Düsing, Henry conçoit cette présence comme échappant totalement à l’intentionnalité. Et, à la différence de Henrich, il la situe au niveau de l’affectivité, au niveau d’une auto-affection originaire qui accompagne nos actes intentionnels et les rend manifestes à nous-mêmes de manière non-intentionnelle6. Henry justifie l’existence d’une telle auto-affection en référant explicitement au dilemme de la régression à l’infini qu’il appelle

[…] l’amer destin de la philosophie de la conscience classique, entraînée dans une régression sans fin, obligée de placer une seconde conscience derrière celle qui connaît, en l’occurrence une seconde intentionnalité derrière celle qu’il s’agit d’arracher à la nuit7.

Il y a un accès plus originaire à nous-mêmes, à nos actes, un accès radicalement différent de l’accès par intentionnalité. Or l’auto-affection est selon Henry non-intentionnelle dans le sens d’« un s’éprouver soi-même originaire » « en lequel ce qui éprouve et ce qui est éprouvé ne font qu’un8 », comme il explique dans Incarnation, écrit central de son œuvre tardive. C’est le terme de vie qu’il met en avant pour désigner ce qui se révèle à soi de manière non-intentionnelle, ce qui est auto-révélation sans qu’il n’y ait « ni structure oppositionnelle ni intentionnalité, ni Ek-stase d’aucune sorte9 ». En même temps, Henry lie cette auto-affection à l’idée d’une auto-présence de notre corps, plus exactement de ce qu’il appelle la chair. Par l’auto-affection non-intentionnelle, nous nous éprouvons nous-mêmes non-intentionnellement comme chair vivante10.

Toutefois cette présence à soi perd totalement son statut de connaissance négative chez Henry. Il la transforme en une source de connaissance positive parallèle à la connaissance positive par intentionnalité, en distinguant deux genres d’apparaître, ou deux phénoménalités, comme il les appelle aussi : un apparaître par intentionnalité que nous explorons dans une phénoménologie du monde et un apparaître qui échappe à toute intentionnalité, où la vie s’apparaît non-intentionnellement à elle-même dans le sens de l’auto-affection dont il vient d’être question11. Cette auto-affection, selon lui, ne se réduit pas à un sentiment de soi purement formel mais révèle, comme il l’exprime, tout un champ de « déterminations impressionnelles et affectives12 », tout un champ de phénomènes donc, qu’explore ce que Henry appelle une phénoménologie de la vie. Autrement dit, par l’auto-affection, nous avons accès aux modalités de nos états affectifs : douleur, joie, etc., par l’auto-affection nous est révélée toute une structure de la vie affective intérieure.

Or, quand j’éprouve de la douleur ou de la joie, ce n’est pas, je pense – et c’est ma critique –, indépendamment d’actes intentionnels que je puis reconnaître mon affectivité comme étant ceci ou cela, comme étant une douleur ou comme étant une joie, ou mon affectivité en général comme étant structurée d’une façon ou d’une autre. Une émotion est d’abord un acte de représentation d’un genre particulier. Nous nous rapportons à un objet et cet objet déclenche en nous une émotion dans le sens d’une évaluation positive ou négative de l’objet, évaluation qui admet un certain nombre de modalités. Ces modalités constituent la diversité de nos états affectifs. Or une émotion est une représentation évaluative accompagnant des représentations non-émotionnelles de l’objet lui-même. Et la qualité de l’émotion, ma plus ou moins grande tristesse ou joie, est due à ce que déclenche en moi la représentation des qualités de l’objet13.

Bien sûr qu’il n’y a pas d’affectivité consciente qui ne soit présente à elle-même, et il ne s’agit pas, en cela je suis d’accord avec Henry, d’une présence à soi résultant d’un acte de réflexion. S’éprouver n’est rien d’autre que le fait d’être présent à ses propres états affectifs, donc présent de manière préréflexive. Mais cette présence ne génère pas en elle-même une connaissance positive. Elle est tout au plus présence à une connaissance positive de notre intentionnalité affective. Plus exactement, la différence entre différents états affectifs est obtenue par des actes émotionnels de premier ordre visant des objets et par des actes réflexifs, donc par des retours intentionnels sur ces actes émotionnels de premier ordre. Ce n’est pas l’auto-affection en tant que telle qui ouvre un champ de phénoménalité particulier auquel nous aurions accès de manière non-intentionnelle.

Contrairement à Henry, je ne suis même pas sûr s’il ne vaudrait pas mieux en rester à une présence à soi décrite en termes purement cognitifs comme chez Henrich, mais quand bien même nous accepterions avec Henry d’appeler la présence à soi une auto-affection, nécessairement elle échappera à la connaissance positive, c’est-à-dire quʼelle ne peut être conçue autrement que comme une affection de soi qui dans sa non-intentionnalité est sans contenu, sans modalité aucune.

Les tentatives de Düsing et de Henry attestent l’échec de l’approche de la conscience (de) soi par connaissance positive. Je reviens donc à ma conclusion : la présence préréflexive à soi qui sert à expliquer la familiarité originaire de toute conscience humaine avec elle-même ne peut être décrite autrement que par connaissance négative. Il s’agit d’une connaissance de soi qui n’est pas connaissance dans le sens ordinaire d’une connaissance intentionnelle, ou éventuellement d’une auto-affection qui n’est pas affectivité au sens ordinaire de ce que nous entendons par un affect. Il n’y a de connaissance positive que par intentionnalité, et il n’y a d’immédiateté que par une présence à soi préréflexive dont, sur le plan de la connaissance propositionnelle, nous avons au maximum une connaissance négative. Avec cela, nous obtenons un parfait parallèle entre la connaissance négative de Dieu et la connaissance négative de soi.

Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019)

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