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LE MUSÉE DE CARTHAGE

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J’entre au musée des Pères blancs, et, dès le seuil, je respire l’atmosphère spéciale à ces catacombes archéologiques. Il y flotte une odeur fade, complexe, indéfinissable, où se mêlent les émanations des bois pourris, des vieilles pierres rongées de moisissures, des ossements saupoudrés de terreau, des bandelettes effilochées et tout imbibées de liquides noirâtres, des étoffes antiques à la trame amincie et dont les broderies s’effacent, comme les caractères tracés sur le papier brûlé.

Dans la pénombre des vitrines, voici d’abord les lampes funéraires en argile rouge, innombrables.

Comme les morts dont elles éclairaient les sépulcres, elles appartiennent à toutes les époques, elles affectent toutes les formes. Il en est de riches et de pauvres, de grossières et de délicatement modelées. Celles-ci ont un manche en queue d’hirondelle, celles-là sont munies d’oreillettes. Elles sont mollement renflées comme des coquillages, enroulées comme des escargots, allongées comme des carènes de navires.

Devant ces lampes nulle pensée lugubre ne peut naître. On songe seulement qu’elles accompagnaient les réunions de famille sur la tombe du mort. On apportait des plats et des coupes, du vin et des gâteaux. On étendait des tapis sur les dalles, et, tout en mangeant et en buvant, on s’entretenait de ceux qui reposaient là : «O bonne mère, dit une inscription, — qui nous as donné ton lait, qui fus chaste et sobre toujours, nous parlons de toi, et, tandis que les heures s’écoulent à rappeler tes vertus, — pauvre vieille, tu dors à côté de nous.»

Carthage. — L’ancien port. (Phot. Neurdein.)


Ce culte candide avait toute la grâce mignarde des petits jeux de l’enfance, il était affectueux et tendre. Et pourtant, la grande idée de la vie impérissable transparaît encore à travers les pratiques naïves et populaires de cette religion des morts. C’était déjà l’audacieux défi jeté par le chrétien à la rapacité de la mort: Lux perpetua luceat eis!

Le mobilier funèbre est ici au complet. Près des lampes, je reconnais les fioles de verre bleuâtre, où l’on conservait les cendres recueillies sur le bûcher mortuaire. Il y a aussi des buires posées sur des soucoupes rondes, de menus flacons à la forme ovoïde, qui ressemblent à des bananes et dont les cols très effilés se recourbent comme des tiges de fleurs.

Ces verroteries, contemporaines des guerres médiques, elles ont gardé de leur séjour dans la terre une patine d’une délicatesse invraisemblable. Toute une chimie secrète a recuit les teintes primitives du verre, amalgamé les couleurs, dessiné sur les frêles parois des figures chimériques de bêtes ou de végétaux. Les bleus métalliques, les roses de chair, les lilas et les mauves se nuancent de verts oxydés, de nacres laiteuses, où s’étirent, parmi les filets d’or, d’étranges palmes d’un rouge de feu, qui s’évanouissent dans des vapeurs d’argent. Certains semblent couverts de givre, comme les vitres fleuries par les gelées d’hiver, enduits de filaments visqueux et luisants comme des baves de limaçons, ou enveloppées de toiles d’araignées, que la rosée emperle de ses gouttes scintillantes.

Plus tranchées et plus crues éclatent les colorations des poteries, ustensiles fabriqués à Corinthe, en Sicile, dans les villes campaniennes. Sur tous, les mêmes silhouettes rudimentaires, les mêmes rouges et les mêmes noirs, des noirs de suie, des rouges clairs. Mais voici des vitrines pleines de bijoux et de statuettes d’argile, dont les teintes amorties sont une volupté pour les yeux. Ça et là, les perles des colliers, les chatons des bagues sigillaires, les scarabées d’émail, les boules en pâte de verre, les sphères et les cylindres d’or alternant avec des olives et des barillets d’agate.

Cartilage. — Vue générale vers Sidi - bon -Saïd. (Pitot. Neurdein.)


Parmi ces alignements interminables de joyaux où la curiosité se disperse, une boucle d’oreille, d’un goût subtil et barbare, se distingue, à la façon d’une relique consacrée. Instinctivement je l’attribue à quelque Carthaginoise illustre issue d’une famille patricienne ou sacerdotale. Sans doute, Sophonisbe ou Salamboo en avaient de toutes pareilles.

Je m’attarde devant les deux hauts-reliefs de grandeur naturelle qui servirent de relief à des sarcophages. Ils représentent deux jolies femmes. La première, qui incline légèrement la tête, écarte de la main droite le long voile dont elle est drapée tout entière. L’autre, également grecque de style et d’exécution, est cependant revêtue d’un costume égyptien, celui que portent les grandes déesses, Isis et Nephtys. Ces deux morceaux confirment l’enseignement qui se dégage des céramiques, des verreries, des bijoux, des pierres gravées et des stèles funéraires. On finit par croire, en examinant tout cela, que Carthage n’a jamais su s’inventer un style, ni même un costume personnel.

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