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LA MORT D’UN HÉROS
ОглавлениеA ceux qui refusent aux colonies d’être une terre où se préparent des «âmes» et affectent de n’y trouver qu’un terrain de concours pour le grade ou la croix; à ceux qui nient l’utilité du sacrifice; à ceux aussi qui doutent de la permanence en l’armée des vieilles vertus de la race, je dédie le récit des actes d’héroïsme que renferme ce livre, et je mets en tête, comme exemple pour tous, la mort de mon ami le lieutenant de Chevigné.
Au fort Bonnier, le clairon sonne le réveil. A l’autre bout de la ville, du fort Hugueny, comme un écho, la trompette répond.
L’Orient cendré s’argente, les minarets des mosquées sortent de l’ombre; les maisons cubiques écrasées, aplaties dans l’obscurité, se redressent; un filet de lumière borde le contour des terrasses; une lueur indécise glisse le long des murs, pénètre dans les rues, fait briller les clous et les ferrures, ornements des portes... Tombouctou s’éveille. Et pendant que les marabouts, devant le soleil levant, rappellent au peuple prosterné la grandeur d’Allah, sur le fort Bonnier monte le drapeau de la France.
A ce moment, une compagnie de tirailleurs et deux pelotons de spahis sortent de la ville, défilent au pied du pavillon tricolore et le saluent: Morituri te salutant!
Combien reviendront, de ceux qui partent ainsi à la recherche du rezzou de Touareg signalé dans l’est, au bord du Niger? Les Touareg! guerriers légendaires, invisibles et toujours présents, survenant au galop de leurs chevaux ou de leurs méhara, tels une trombe soulevée par le vent, ouragan qui passe, renverse tout et s’évanouit à l’horizon, en fumée. Les Touareg! hommes voilés du désert, dont le litham ajoute un mystère à celui de leur retraite.
A leur poursuite, le détachement s’élance. Il oblique vers le sud pour rejoindre le fleuve et cherche sa route à travers la prairie marécageuse due aux inondations annuelles; il s’écarte du désert, laissant à plusieurs kilomètres, dans le nord, cette mer aux lames de sable, ces dunes tourmentées propices aux embuscades. Vareuses bleues des tirailleurs, vestes rouges des spahis s’éloignent dans la plaine; sur l’herbe, la marche des hommes, le mouvement des chevaux jettent, au hasard des reflets du soleil, l’éclair d’un sabre ou d’une baïonnette.
Les cavaliers qui forment l’avant-garde ont pris le galop pour gagner leur distance. Derrière eux, Tombouctou va disparaître; ses contours dentelés se noient dans un rayonnement d’or, le drapeau français n’est plus qu’un point; la silhouette de la ville s’amincit, s’étire; tout se confond, tout s’efface; partout la prairie s’étend comme une nappe verte coupée d’îlots sablonneux, trouée de larges marais; et, dans la fixité radieuse du ciel, cette étendue flambée de clartés, mais immobile et sans ombres, paraît une solitude morne, presque sombre.
Tombouctou.
Kabara, un des ports de Tombouclou.
Aux côtés du lieutenant de Chevigné, qui commande les spahis, marche le lieutenant de Latour, le chef du 2e peloton.
Le soleil de midi répand une impression d’écrasement: les chevaux ont la tête basse, les cavaliers ferment les yeux, aveuglés par une brume ardente; dans l’universelle torpeur qui saisit la nature, les voix semblent étouffées, le tintement des étriers ou des sabres assourdi: c’est à peine si le cri d’un aigle-pêcheur, au-dessus du Niger, parvient à déchirer l’air de sa note stridente, prolongée, lamentable.
La colonne avance toujours. Bientôt les ombres se dessinent sur le sol, elles s’allongent; le soleil décline; l’herbe prend une teinte plus foncée; le couchant s’irradie de lueurs orangées, il est temps de songer au bivouac.
Au flanc d’une petite dune de sable, couronnée de palmiers nains aux éventails aigus, les faisceaux sont formés; les chevaux, attachés à la corde, secouent la musette remplie de mil; indigènes et Européens mangent leur ration d’endaubage; il n’est pas permis d’allumer de feux, dont la fumée décèlerait la présence de la troupe à l’ennemi.
La prairie s’assombrit de plus en plus, le ciel se décolore, un léger brouillard monte du fleuve, la nuit tombe.
Tirailleurs et spahis s’endorment, les mains posées sur leurs fusils et leurs carabines.
A l’extrémité de la dune, un homme veille, debout, l’arme au pied, tourné vers le nord-est; il scrute la plaine du regard. Le lieutenant de Chevigné s’approche de lui:
«Attention, Samba! Écoute surtout. Les Touareg glissent comme des serpents.»
Sans tourner la tête, la sentinelle répond par le claquement de langue habituel aux noirs: elle a compris.
L’officier reste un instant immobile; ses yeux cherchent à percer les ténèbres; mais seules les mares, grossies par les premières pluies de la saison, reflètent la lueur des étoiles qui brillent au milieu des roseaux.
Comment se garder dans cette plaine? Dans le désert, on trouve des acacias rachitiques ou des mimosas rabougris pour former la zeriba, le retranchement fait de branches emmêlées, hérissées d’épines et d’aiguillons. Ici, nulle autre protection que celle de l’obscurité !
Revenu près de ses hommes allongés sur le sable devant la ligne des chevaux, le lieutenant les contemple et songe à sa responsabilité. Il vient de recevoir l’ordre de partir, le lendemain matin, en avant des tirailleurs, qui attendront au campement son retour. Pourra-t-il, avec quarante spahis, dans un pays pareil, découvrir l’ennemi sans être surpris lui-même? Sa mission est aventurée! On lui dit bien d’éviter le combat; mais on lui prescrit aussi de renseigner nettement sur la force, la composition et l’emplacement du rezzou. Renseigner nettement implique l’obligation d’aller jusqu’au combat. Enfin, c’est un ordre, il n’a pas à le discuter.
Au moment de s’étendre à côté du lieutenant de Latour endormi, il entend un roulement lointain. Il se penche, prêt à donner l’alarme; mais subitement il se ravise; le bruit qui l’inquiète se produit au sud: le danger n’est pas dans cette direction.
Le maréchal des logis Matar-Gaye s’est soulevé ; il écoute et se recouche en riant:
«Çà, mon lieutenant, c’est des sauvages qui se marient. »
En effet, le son du tam-tam vient du village de Kagha, sur l’autre rive du fleuve. Le grondement du tambour continue, un peu sourd d’abord, par saccades, par à-coups; bientôt plus vif, plus pressant, plus éclatant, couvrant sans doute les plaintes de l’épousée; puis la cadence s’accentue, le rythme se précipite, ce n’est plus qu’un roulement, un chant de triomphe, — et le silence tombe brusquement. Le tam-tam, lassé, s’est endormi.
L’officier rêve: sur sa route de mort, il salue la vie. La vie, qui dans ce village poursuit son cours et le suspendra peut-être demain pour lui, pour ses compagnons! L’énigme de ce lendemain l’oppresse; le silence lui paraît angoissant, l’obscurité opaque. Il songe à la France, à ceux qu’il a quittés... Les reverra-t-il jamais?
La France! A ce mot surgit la vision de ce qu’il est venu chercher si loin: un but à son énergie, un peu de gloire pour son pays!
Et ses yeux s’illuminent, la nuit qui l’enveloppait s’éclaircit. Il voit le ciel étinceler, les étoiles palpiter, le Niger couler plus clair entre ses berges noyées d’ombre; le silence se transforme, il le sent léger, subtil; il lui semble que des ondes passent dans l’immobilité de la nature, que l’âme de toutes choses se dégage; son âme elle-même devient plus libre.
Il sourit, s’étend à son tour, et des lueurs, des flammes, des orbes rayonnantes resplendissent en son rêve: le jour qui va se lever ne peut être qu’un jour de gloire.
Le bivouac s’éveille, des traînées de vapeur flottent au ras de la prairie humide; les chevaux sellés, gaiement les spahis se mettent en marche. Peu à peu le soleil monte, les brouillards s’effilochent, se dissolvent; l’air s’échauffe et s’élève au-dessus du sol, tremblant, frémissant, comme autour d’une chaudière.
Sur le flanc de la colonne, les vestes rouges d’une patrouille apparaissent, puis s’enfoncent dans les roseaux d’un marais; mais les chéchias restent visibles et fleurissent la pointe des herbes.
Attaque d’un détachement français par les Hoggar, dans les environs de Tomboucton. Dessin de M. Louis Tinayre.
Il est midi. En passant en face du village de Serery, le lieutenant essaye d’obtenir des renseignements sur le rezzou qu’il poursuit; toutes ses interrogations demeurent sans réponse; les indigènes, d’accord avec les Touareg ou terrorisés par eux, ne veulent pas parler. Et les pelotons reprennent leur route, zigzaguant à travers les mares; parfois ils les longent de trop près; les chevaux s’y enfoncent et sortent en bondissant de la fondrière.
«Mauvais terrain de charge,» pense le chef du détachement.
A ce moment, au nord, le brigadier Maressal, commandant la patrouille de flanc, s’arrête au sommet d’un tertre et fait signe.
D’un temps de galop, le lieutenant de Chevigné le rejoint, accompagné du lieutenant de Latour. Tous deux gravissent le monticule de sable parsemé de palmiers nains, couvert de touffes de drinn qu’une brise imperceptible agite comme des chevelures. Au pied de la dune s’étend une zone marécageuse prolongée, dans l’ouest, par une suite de mares; au delà du terrain d’inondation, le désert apparaît: au nord, à moins d’un kilomètre, un buisson d’acacias ferme l’horizon.
Le brigadier indique la ligne obscure du buisson:
«Mon lieutenant, le long des arbustes, des ombres glissent.»
L’officier regarde. Une colonne, défilé de chenilles noires, s’écoule; abritée par les bois, on la voit à peine.
«De Latour, dit-il sans quitter des yeux le mouvement des Touareg, mettez les deux pelotons en bataille au pied de la dune. Au galop!»
Le bruit d’un torrent qui roule, un cliquetis d’armes, un commandement: «Halte!» des chevaux qui s’ébrouent. Les spahis sont là. Les chenilles noires se sont détachées du bois: le terrain s’anime; une masse épaisse approche en rampant.
«Combat à pied, ordonne de Chevigné. A huit cents mètres, commencez le feu!»
Les coups de fusil éclatent, espacés d’abord, puis de plus en plus pressés. Les chenilles avancent toujours: grouillement, remous surmonté d’un hérissement de lances enveloppées de lumière. A présent on distingue le voile noir qui cache le visage des Touareg. A l’est et à l’ouest, des cavaliers surgissent; ils ont dépassé la ligne d’ombre du buisson d’acacias, leurs silhouettes se découpent sur le fond du désert, qui se dégrade en teinte grisâtre; ils s’étendent au galop de chaque côté de leur infanterie, tels deux bras prêts à se refermer sur les spahis.
Encore quelques minutes, et l’on devra reculer.
«Feu rapide!»
Déjà la horde sombre recouvre les dunes, submerge la prairie, roule comme une vague, les zagaies dressées, semblables à une crête d’écume. Le flot monte, monte sans cesse, s’échappe du bois, sort de terre, tombe du ciel et, sur la plaine éclairée par le grand soleil, s’étale ainsi que l’ombre gigantesque d’un nuage.
«En retraite! ordonne de Chevigné. A cheval!»
Il faut revenir vers le sud, du côté du fleuve; le terrain sera meilleur, s’il est nécessaire de charger.
Un hurlement de triomphe salue ce mouvement; des milliers de bras agitent les lances au-dessus des têtes; en même temps sort, d’un pli de terrain qui le masquait, le dernier groupe des fantassins touareg montés sur des chameaux, et cette réserve se précipite, à la suite de sa cavalerie, sur les spahis en retraite.
Les deux pelotons ont pris position face à l’est, la droite couverte par le fleuve, la gauche par des marécages.
Les cavaliers ennemis arrivent au galop, brandissent leurs armes, le couteau fixé au bras gauche, la croix formée par le manche contre le poignet; la croix que chaque Targui porte à son poignard, symbole peut-être de l’ancienne religion de ses pères, avec laquelle il frappe aujourd’hui l’infidèle, le chrétien.
Les carabines sont impuissantes à arrêter cet élan; il ne reste qu’a prendre la fuite.
Au moment où de Chevigné va commander demi-tour, le maréchal des logis Salles lui signale un essaim de cavaliers qui tournent leur gauche. La retraite est coupée! ils sont cernés! des deux côtés ils seront un contre dix!
Le lieutenant n’hésite pas: mourir pour mourir, ils ne mourront pas en ayant l’air de fuir! Du reste, pourraient-ils combattre ceux qui les tournent et sont encore loin, en ayant à dos ceux dont l’attaque vient de l’est? Ces derniers sont trop près. A eux d’abord! Ensuite... la mort! Et, la voix ferme:
«De Latour, chargez avec votre peloton!»
Puis, se tournant vers le maréchal des logis de Libran:
«Prenez huit hommes; vous ne chargerez qu’après moi, à la dernière extrémité.»
Déjà de Latour a crié :
«Chargez!»
Les spahis bondissent, les éperons au ventre de leurs chevaux; à leurs cris de guerre répondent des rugissements. Les poitrails se choquent, l’élan fou des cavaliers rouges brise la muraille des cavaliers noirs; puis le rang se tord, se disloque; les sabres se lèvent, s’abaissent, heurtent les lances; des éclairs jaillissent; les chevaux se cabrent sous les coups des mors: hennissements, bruit de fer, haleines oppressées, spasmes d’agonie; tourbillon dans lequel les vareuses écarlates noyées apparaissent, semblables à des taches de sang; une à une les taches rouges s’effacent; elles ne sont plus que des îlots perdus dans la marée qui les engloutit.
Une deuxième fois retentit le cri terrible:
«Chargez!»
Avec son peloton, de Chevigné s’élance et crève la mêlée hurlante. Sa haute taille domine le combat. Il veut rejoindre son ami; il ne le voit plus; du moins, il le vengera!
Sous le choc irrésistible, les rangs des Touareg, ébranlés par la première attaque, se sont ouverts; mais leur infanterie vient d’arriver, elle saute à bas des chameaux et se rue sur les spahis. Ce n’est plus un contre dix, c’est un contre vingt qu’il faut lutter.
Les hurlements de rage étouffent le râle des poitrines, les plaintes rauques des mourants; les sabres tournoient dans un éclaboussement de sang et jettent une clarté livide; les Touareg blessés se redressent et, le poignard au poing, coupent les jarrets des chevaux, se cramponnent aux jambes des cavaliers, se hissent jusqu’à eux pour frapper.
Culbutés, hachés, déchiquetés, les spahis s’effondrent, écrasés sous le nombre. Une lance traverse de part en part Chevigné ; il chancelle. Un dernier effort! Ses genoux étreignent la selle; mais ses yeux se troublent. Il pare, il frappe, immergé dans un cahot de faces bestiales aux regards de haine, au rictus de démon; vision d’enfer au milieu de laquelle il va succomber. En vain le brigadier Amady-Bocar, qui ne l’a pas quitté, lui fait un rempart de son corps.
Alors, une troisième fois, le cri: «Chargez!» retentit. Cri de désespoir, cri de mort.
Ce sont les huit derniers spahis qui vont, avec le maréchal des logis de Libran, entourer leur officier.
Cinq tombent; mais la trouée qu’ils ont faite permet au lieutenant de se dégager, de rallier ce qui reste des deux pelotons et de tenter la retraite, la fuite. Comme un sanglier, dans le sursaut suprême, secoue la meute qui le recouvre, les survivants, surhumains, s’arrachent à la horde sauvage.
Ils ne sont plus que quatorze!
Une seconde d’hésitation a suspendu l’attaque, une seconde d’admiration peut-être, car les Touareg sont des guerriers.
De tous côtés errent des chevaux affolés, le poitrail ouvert trébuchant sur des cadavres. Ici gît un spahi, la poitrine trouée, les bras en croix, les yeux vers le ciel; là, un Targui, le crâne entaillé, le visage caché par le litham devenu rouge.
Les cavaliers ennemis se sont reformés; ils évitent d’aborder ceux qu’ils croient à leur merci, ils les suivent au galop, les harcèlent, les entourent et jettent leurs zagaies de loin.
Pour sauver les débris de ses pelotons, de Chevigné dompte la mort. Deux lances l’atteignent de nouveau dans les côtes, et successivement un homme tombe, puis un autre, trois sont blessés; de Libran, la tempe fendue, est aveuglé par le sang.
Ils ne sont plus que douze!
A bout de forces, de Chevigné, soutenu par le brigadier Amady-Bocar, regarde vers le nord: les Touareg, qui, au début de la charge, exécutaient un mouvement tournant dans cette direction, ont disparu; ils ont probablement rallié la masse des combattants pendant la mêlée. Du côté de Tombouctou, la route est libre, et les tirailleurs, soutien de la reconnaissance, sont à moins d’une étape. Le salut est là pour ceux qui peuvent encore galoper et s’enfuir. C’est lui, le chef, qui retarde la marche; pour lui, les derniers braves se sacrifient. Son devoir est de les sauver!
Épuisé, il affermit sa voix:
«Maréchal des logis, je vous donne l’ordre de fuir. Je vais mourir, laissez-moi là. Vous tous, au galop!»
Le maréchal des logis fait un geste de dénégation:
«Si j’étais capable de vous abandonner, ceux-là refuseraient. »
Et il montre le spahi Baba-Maréko luttant pour relever et prendre en croupe un homme qui vient de tomber. Un coup de sabre hache l’épaule du spahi et met l’os à nu, trois lances s’abattent sur lui; mais il ne lâche son camarade qu’au moment où ce dernier meurt, la poitrine traversée.
Ils ne sont plus que onze!
Le lieutenant de Chevigné comprend que, lui vivant, pas un de ces héros ne le quittera.
«Maréchal des logis, lorsque je serai mort, vous fuirez; c’est un ordre.»
Et sans attendre la réponse, rassemblant ce qui lui reste de vie pour mourir, il saisit son revolver et se tire à la tempe
Un cri de douleur des siens, un hurlement de triomphe des Touareg. Puis il n’entend plus rien, un grand silence plane sur lui; il reconnaît le silence de la veille, le même calme le pénètre, les mêmes pensées reviennent: sa mère, la France; comme la veille, il sent que dans ce silence son âme se dégage, ses lèvres s’entr’ouvrent en un sourire.
Le jour qui s’est levé était bien un jour de gloire.
Le sacrifice du lieutenant de Chevigné permit au maréchal des logis de Libran et aux dix spahis survivants de rejoindre la compagnie de tirailleurs et de rentrer à Tombouctou.
Les corps des Européens et des spahis tués au combat de Serery purent être retrouvés quelques jours après et ramenés à Tombouctou, où ils furent inhumés.
Ce retour sur le terrain du combat, retour tardif, montra la résistance acharnée qu’avaient opposée, avant de mourir, les spahis blessés et démontés qui n’avaient pu s’enfuir.
Près d’un mimosa, plus de soixante étuis de cartouches brillaient sur le sable, et le sol gardait encore l’empreinte laissée par deux hommes qui, agenouillés, avaient dû faire une longue défense et n’avaient été pris qu’après épuisement de leurs munitions.
On sut également que le maréchal des logis Matar-Gaye, blesse, mais arme, avait réussi à gagner le fleuve, à atteindre une pirogue et à passer sur la rive gauche où, jusqu’au lendemain, il était resté inabordable. Le chef de Serery s’était emparé de lui par trahison et l’avait livré, après lui avoir promis de faciliter sa fuite.
Deux autres spahis avaient pu aussi monter dans une pirogue; mais derrière eux les Touareg en avaient fait autant, et sur le Niger s’était engagée une lutte désespérée. Au jour seulement les spahis avaient succombé.
Combien d’autres, retranchés le long de la rive, adossés aux arbustes, groupés, serrés les uns contre les autres, ont peut-être péri après des prodiges de valeur et d’héroïsme, attendant toujours un secours qui ne venait pas! Et, lorsqu’il s sont tombés, leurs regards, une dernière fois, ont dû se tourner vers le campement où, le matin, ils avaient laissé les tirailleurs.