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L’ENCHANTEMENT DE LA MER MORTE

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En vérité, la mer Morte mérite mieux qu’une visite hâtive. Surtout, elle ne ressemble guère à l’image repoussante qu’on s’en fait d’après les livres. Si seulement on prenait la peine de regarder avec des yeux purifiés de toute littérature; si on essayait d’en contourner les rivages; si enfin, au lieu de se borner à une seule perspective, on essayait de l’aborder par divers points, — alors on estimerait que nul spectacle n’est comparable, en beauté, à celui-là ; qu’il n’y a rien de pareil dans n’importe quel pays de la Méditerranée.

Les monts de Moab!... On les reconnaît tout de suite. On les a si souvent contemplés de Jérusalem. Mais ici leur forme s’est modifiée. Ce n’est plus la barre violette qui tranchait sombrement sur les fonds aériens. Maintenant, ce sont des étages de dômes et de coupoles, si semblables qu’il faut un peu d’attention pour y découvrir enfin le Nébo, le mont de Moïse, rond et dénudé comme un crâne.

Vue sur la côte ouest de la mer Morte, prise de En-Gedi, vers Jebel Usdum.


Au-dessous du Nébo, à droite, un coin de mer brille doucement, — la corne septentrionale de l’Asphaltite. Mais le déferlement splendide de la plaine éclipse celui de la mer trop basse. Puis, peu à peu, l’œil, ébloui par la lumière blessante, voit s’ébaucher vaguement des acropoles, des décombres de villes, et, çà et là, des rangées de colosses sur leurs piédestaux. Ces fantômes bougent dans la poussière et les vibrations de la chaleur. Des lueurs de safran, des traînées sulfureuses comme à un souffle brusque, puis ces flammes courtes s’éteignent dans le flamboiement de la plaine.

Les gorges de l’Arnon, affluent de la mer Morte, vue prise vers l’est.

(Ce site, aux murs de grès teinté, constitue un des plus merveilleux paysages de la Palestine.)


Celle-ci se développe, tout aveuglante de clarté, avec le relief puissant de ses montagnes, avec son sol gravé de figures bizarres, travaillé comme une table de la Loi. Quelle différence avec nos molles vallées d’Europe, nos paysages médiocres, notre sol utilitaire et complaisant, si complètement asservi à nos besoins! La vallée du Jourdain paraît ignorer qu’il y ait des hommes. Nulle part l’énorme matière n’a été plus visiblement façonnée sous le pouce de Dieu. C’est modelé, aiguisé en arêtes vives, bâti, semble-t-il, pour l’éternité. Et cette nudité implacable est tellement riche de souvenirs, qu’une moitié du monde en vit encore.

Mais ici, comme partout en Orient, les contrastes sont aussi soudains qu’inattendus.

Après cette vision au désert biblique, la douce oasis de Jéricho est d’abord une surprise, puis un repos pour les yeux. Par un soir tiède d’hiver, quand le hâle toujours brûlant de la journée est tombé, c’est délicieux de suivre un de ses chemins ombragés qui serpentent sous la verdure, en longeant les rigoles où luit vaguement, à travers les paquets d’herbes, un filet d’eau murmurante. Çà et là, derrière des rideaux de peupliers, émergent quelques maisons chrétiennes, très basses et toutes blanches, pareilles à des fermes perdues. L’Angélus tinte, on ne sait où, derrière les branches recourbées en ogive des bananiers. Des religieux se hâtent vers une chapelle invisible. Une femme ramasse des linges étendus sur une haie. Dans la pénombre suave et fraîche, les formes estompées et fondues se ramènent à des images familières pour nos yeux d’Occidentaux. C’est la douceur des crépuscules dans tous les pays du monde.

Et puis on rentre à l’hôtel. Comme à un choc brusque et désagréable, la poésie flottante qu’on rapporte du dehors s’évanouit au contact des banalités européennes artificiellement transplantées sur cette terre rebelle: la table d’hôte misérable, le hall prétentieux avec ses étagères et ses guéridons encombrés de bibles anglaises et de vieux journaux illustrés, avec ses divans, ses boiseries et ses tapis de pacotille, toute sa camelote de bazar levantin. Mais ce n’est qu’un instant de confusion et de désarroi. La présence toute proche de l’Asphaltite vous obsède; le sentiment qu’on respire l’air d’un pays si chargé d’histoire vous emplit d’un tel afflux d’émotions, d’images et d’idées, que les petites contrariétés ambiantes en sont aussitôt balayées...

Entrée de la grotte du Jebel Usdum montagne de sel au sud de la mer Morte.

(Photographie communiquée par Ch. Trampus, Paris.)


La fenêtre du hall est ouverte. Le rebord est encore chaud du grand soleil de la journée. A portée de la main, une branche chargée de roses blanches et de roses roses dessine ses feuilles triangulaires sur la transparence lumineuse du ciel. Les cimes bleuâtres de l’oasis ondulent dans la clarté lunaire, une clarté si pure que c’est moins la nuit qu’un jour voilé.

Alors, on se sent l’âme tendue comme un instrument aux vibrations prodigieuses. Les moindres souffles vont s’y amplifier en résonnances infinies. Ce pays si vieux vous enivre de tous les philtres intellectuels qui s’y sont déposés d’âge en âge, comme en un gigantesque creuset. Des figures héroïques, pastorales ou sacrées, accourent de tous les points de l’horizon, surgissent des profondeurs du passé. On songe que les gestes essentiels dont a vécu l’humanité et qu’elle n’a fait, depuis, que recommencer, ont été ébauchés dans cette plaine et sur ces montagnes. C’est ici qu’a jailli la grande source, où se désaltère toujours notre soif spirituelle.

Explorateurs et terres lointaines

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