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VIII

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Table des matières

Quand les chevaliers bretons qui avaient prêté l’oreille aux intrigues de l’évêque de Léon virent en mer les voiles des vaisseaux anglais, ils se rendirent tous chez ce prélat:

«Çà, monseigneur, dirent-ils, vous pouvez contremander vos arrangements, car ne sommes plus d’avis de faire ce que vous nous avez conseillé.»

L’évêque se leva avec colère; il dictait à un jeune clerc une homélie qu’il devait prononcer le lendemain à l’église, mais cette pieuse occupation ne l’avait pas mis en humeur de supporter la défection de ses complices:

«Pour lors, messeigneurs, s’écria-t-il, se séparera notre compagnie; vous pouvez demeurer céans avec madame, je m’en irai par delà vers celui qui plus grand droit y a, ce me semble.»

Et il sortit aussitôt de la ville, sans attendre que les Anglais eussent pris terre, pour aller trouver son neveu messire Henry, qui le mena au bon capitaine Louis d’Espagne et bientôt au comte de Blois devant Auray.

Cependant les navires anglais entraient dans le port: les voiles déchirées, les agrès brisés indiquaient la lutte que la flottille avait soutenue contre la mer; mais sur le vaisseau principal se pressaient tant de chevaliers, revêtus de leurs brillantes armures comme s’ils allaient combattre en touchant la terre, que le cœur de la comtesse en fut réjoui. Elle était descendue dans la ville pour les recevoir; messire Amaury de Clisson mit un genou en terre à son approche:

«Madame, dit-il, ne nous ayez en mauvaise grâce si nous vous avons fait si longtemps attendre, la mer est plus forte que nous, et n’avons pu venir plus tôt.

— Je sais que vous êtes loyal serviteur de monseigneur, messire Amaury, dit la comtesse, et que bien auriez voulu porter secours à Rennes; mais fort à point vous arrivez, messires, dit-elle en se tournant gracieusement vers les chevaliers anglais, car mes serviteurs eux-mêmes commençaient à désespérer.

— Ci pourront-ils se reposer s’ils sont las, dit Gautier de Manny en riant, car nous sommes venus ici pour porter de bons coups et démolir ces engins et bâties qui vous doivent gêner en votre château.»

Et il regardait d’un œil avide six énormes machines de guerre que messire Henry de Léon avait fait placer en face du château, et qui causaient beaucoup de dommage aux assiégés. Jeanne riait à son tour:

«Demain, dit-elle, messire Gautier; mais aujourd’hui venez-vous-en au château pour vous reposer et nous laisser le temps de vous faire fête après vous avoir tant attendu et désiré.»

Le chevalier anglais étirait ses membres robustes:

«Ci avons été longtemps enfermés en cette coque de noix, disait-il, et j’ai besoin de porter quelques horions pour me dégourdir les bras; mais sommes céans à votre volonté, madame; » et Jeanne emmena les chevaliers au château, disposant des hommes d’armes et des archers dans la ville. Odette regardait venir les Anglais par la fenêtre.

«Madame leur fait grand accueil,» se disait-elle, remarquant les yeux brillants et le teint animé de Jeanne, qui racontait en riant à Gautier de Manny la déconfiture des seigneurs français lorsque leurs tentes avaient été brûlées. Pendant que la jeune suivante s’étonnait de voir tant d’animation à sa maîtresse dont le seigneur était gisant en prison, Gautier de Manny pensait en lui-même à la jeune fille qu’il devait épouser, demeurant paisiblement dans un manoir du comté de Dorset au sein des pâturages et des grands champs de blé, la douce Alice aux yeux bleus, aux cheveux dorés, aux regards modestes, pieuse et timide, soignant les malades dans le village et les petits enfants dans la maison, et il se disait:

«Ci ne défendrait-elle pas son héritage, comme cette belle comtesse que si grande envie elle aurait de voir; en son lieu, Alice serait entrée en un couvent et aurait abandonné tous ses droits au comte de Blois; le seigneur Dieu fait bien ce qu’il fait en mettant chacun en sa place,» et il accepta gaiement l’hospitalité de la comtesse, regardant toujours par les fenêtres ouvertes les machines de guerre qui se détachaient à l’horizon.

Le jour n’était pas levé le lendemain lorsque Jeanne entendit un grand bruit aux barrières et, sortant de son lit en toute hâte, elle courut à la grosse tour. Elle aperçut les archers anglais rangés sur le rempart et accablant de leurs flèches les ennemis qui défendaient les machines de guerre qu’attaquaient les hommes d’armes bretons; les Français commençaient à prendre la fuite, et les Bretons démolissaient les tours de bois, pendant que les chevaliers mettaient le feu aux logis des soldats chargés de les garder. L’armée française venait cependant de s’émouvoir et, du haut de sa tour, la comtesse apercevait la bannière de messire Louis d’Espagne qui flottait déjà aux mains de son porte-étendard. Elle descendit du château et courut aux remparts; les machines étaient complètement détruites, les Anglais et les Bretons se repliaient lentement vers la ville, se retirant au petit pas devant le gros de l’armée française qui venait sur eux avec de grands cris. Lorsque messire Gautier vit tous ces gens accourir, en menant grand bruit, il dit tout haut et d’une voix si forte que la comtesse put l’entendre:

«Que je ne sois jamais salué de ma chère amie si je rentre en château ni forteresse, jusqu’à ce que j’aie renversé l’un de ces venants ou que je ne sois renversé !»

Il se retourna; les seigneurs bretons et anglais qui l’entouraient en firent autant et le combat recommença. Les assiégés reculaient toujours, mais ils se battaient en reculant et protégeaient la retraite des hommes d’armes. Les archers anglais, restés sur les remparts et fiers de leur adresse, choisissaient les uns après les autres les chevaliers français les plus entreprenants et les faisaient tomber sous leurs coups; les bourgeois d’Hennebon, réunis sur les remparts comme à un spectacle, riaient et battaient des mains en voyant les ennemis frappés de si loin et sans pouvoir se défendre. Gautier de Manny avait déjà fait vider les arçons à trois adversaires, il se trouvait enfin devant la porte de la ville.

«Ci est temps de rentrer, dit-il à ses compagnons, nous avons fait assez de besogne pour un seul jour, et nous avons à défendre la ville de Madame.»

Au moment où ils rentraient dans Hennebon, sanglants et couverts de poussière, Jeanne vint au-devant d’eux, et jetant ses bras au cou de Gautier de Manny, elle l’embrassa franchement dans le transport de sa reconnaissance; elle en fit autant à tous les chevaliers; messire Gautier ôta son gant et, descendant de cheval, il reconduisit courtoisement la comtesse jusqu’au château:

«S’il plaît à Dieu notre Seigneur, se disait le brave chevalier, Alice ne sera jamais en une ville assiégée, ou ci y serai-je avec elle pour la défendre.»

Scènes historiques.... Série 1

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