Читать книгу Scènes historiques.... Série 1 - Henriette de Witt - Страница 7

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La comtesse avait reçu des nouvelles de son mari; il avait renvoyé un de ses chevaliers avec deux hommes d’armes sur une barque de pêche, pour annoncer à sa femme qu’il avait chevauché jusqu’à Windsor, où se trouvait le roi Édouard, et que d’abord il lui avait fait hommage pour le comté de Richmond, retombé en sa puissance par la mort de Jean III, duc de Bretagne. Puis il lui avait offert sa foi, à condition qu’il l’aidât à défendre son bien contre messire Charles de Blois, qui lui voulait vilainement disputer son héritage.

«Si qu’a dit le roi?» demanda vivement la comtesse au chevalier qui lui faisait ce récit et qui était de leurs plus confidents.

Le chevalier sourit.

«Le roi n’a point dit nenni, madame, répondit-il, car il a bien vu combien la guerre avec le roi de France serait embellie, et qu’il ne pourrait avoir plus belle entrée au royaume que par Bretagne; on dit, là-bas, qu’après avoir tant guerroyé par les Allemands et les Flamands et les Brabançons, il n’a rien fait que dépenser grandement et grossement, et que les seigneurs de l’empire l’ont mené et démené, lui prenant son or et son argent sans lui rien faire.

— Les Flamands lui ont donné leurs corps et leurs deniers dit fièrement la comtesse.

— Si est vrai, madame, dit le chevalier un peu honteux d’avoir oublié les affections héréditaires de sa maîtresse; mais tant est que le roi a grandement festoyé monseigneur, et que je crois, à l’heure qu’il est, que l’hommage doit être fait.»

La comtesse était joyeuse, car elle avait appris d’autre part que le roi Philippe mandait à Paris son seigneur, et comme elle n’avait nulle confiance dans la justice de la cour de France contre les intérêts de Charles de Blois, elle avait un ardent désir de savoir le comte, son mari, engagé avec Édouard III avant qu’il sût l’ordre de Philippe.

A peine le comte était-il arrivé à Nantes, content de son voyage et des promesses du roi d’Angleterre, qu’un poursuivant d’armes arriva dans cette ville, lui ordonnant, au nom du roi de France, de s’en venir à Paris pour répondre au tribunal des douze pairs de ses tentatives sur le duché de Bretagne. Jean de Montfort pâlit.

«Irai-je, ma mie? dit-il à sa femme lorsqu’ils se furent retirés dans leur appartement, après avoir donné l’ordre de bien traiter le messager. Qui sait s’ils me laisseront revenir, et ne me retiendront point en leur Louvre?

— Ils n’oseraient, dit la comtesse, je vous irais chercher avec le roi Édouard, dussé-je passer sur le corps de notre neveu et de notre nièce de Blois. Non, mon cher sire, il y faut aller, et répondre doucement et courtoisement à ce qu’on demandera; quand vous aurez vu ce qu’ils ont à dire, vous vous en reviendrez tout bellement, et plût à Dieu Notre-Seigneur que j’y pusse aller à votre place!»

Le comte se mit à rire.

«Ah! Jeanne, dit-il, c’est alors qu’il ferait beau voir les douze pairs et comment vous les traiteriez. Je suis plus endurant que vous, ma mie.» Et il fit apprêter ses équipages; quatre cents chevaux l’accompagnaient. La comtesse le suivit pendant deux lieues hors de Nantes, le petit Jean à côté d’elle.

«Qui peut savoir quand nous le reverrons?» disait-elle dans son cœur; et ses yeux perçants étaient remplis de larmes qui ne tombaient pas, tout en contemplant de loin le magnifique cortège qui disparaissait à l’horizon.

Le comte chevauchait à grandes journées. A peine était-il arrivé à Paris qu’il apprit que le roi l’attendait en son hôtel; il s’y rendit sur-le-champ.

«Sire, dit-il, je suis venu à votre commandement et à votre plaisir.

— De ce vous sais-je bon gré, comte de Montfort; mais je m’émerveille durement pourquoi vous avez osé entreprendre de votre volonté le duché de Bretagne où vous n’avez aucun droit, car il y a plus proche que vous que vous voulez déshériter, et pour vous mieux efforcer, vous êtes allé à mon adversaire d’Angleterre, et l’avez de lui reçu, comme on me l’a conté.»

Jean de Montfort ne se troubla point.

«Sauve votre grâce, Sire, dit-il, vous vous méprenez; je ne sais nul si prochain du duc mon frère, dernièrement mort, comme moi; mais s’il était jugé par droit que autre fût plus prochain que moi, je ne serais point rebelle ni honteux de m’en désister.»

Le front du roi se dérida un instant; il se retourna vers son neveu Charles de Blois, debout derrière lui; mais celui-ci fit un léger signe de tête; il ne croyait guère aux assurances de son rival.

«Ci ne bougez de Paris que les barons et les douze pairs n’aient décidé de cette prochaineté, dit Philippe en regardant fixement le comte, sans quoi vous me courroucerez.»

Jean de Montfort s’inclina,

«A votre volonté, Sire,» dit-il; on ne le retint point pour souper, et il s’en retourna dans son hôtel.

Il était dans son lit, mais il ne pouvait dormir; les pensées du danger qu’il courait lui traversaient l’esprit; il se voyait prisonnier au Louvre sans pouvoir porter un coup pour se défendre. Un homme d’armes veillait dans sa chambre:

«Or çà, lui dit-il en lui faisant signe de s’approcher, que dirais-tu, mon ami Aubry, d’un chat qui se serait laissé prendre dans une souricière, et auquel on dirait: Attendez, les souris vont peut-être venir vous délivrer?»

Aubry se prit à rire.

«Ci dirais-je, monseigneur, que ce serait un chat mal avisé et moins fin qu’ils n’ont coutume.

— Je suis de ton avis, dit le comte; va-t’en donc réveiller messire Hugues de Penhoet et messire Yves de Carquefou avec deux de tes camarades les plus sûrs que tu sauras, et au point du jour, dès que les portes seront ouvertes, nous sortirons d’ici pour chevaucher vers la Bretagne, et notre monde nous suivra tantôt comme il pourra.»

Pendant que le roi Philippe s’étonnait de ne point voir le comte et le croyait malade en son hôtel, que ses gens encombraient toujours, Jean de Montfort arrivait à Nantes. Il raconta son aventure à sa femme; elle l’écoutait les yeux baissés, mais le plus amer sourire errait sur ses lèvres; ses mains crispées sur le bras de son fauteuil indiquaient l’effort qui lui imposait silence:

Vous voilà revenu, messire, dit-elle enfin d’une voix altérée par son émotion, et maintenant il se faut préparer à guerroyer, car d’accommodement il n’en sera plus question; et est à espérer que les gens que vous avez laissés là-bas en sortiront sans malheur, car vous aurez bientôt besoin de tous vos serviteurs.»

Le comte regardait sa femme avec un mélange d’inquiétude et d’irritation; il comprenait vaguement son mécontentement sans en pouvoir saisir la raison.

«Or, vous aurais-je voulu voir en cette passe, ma mie!» murmurait-il; mais il n’osa pas le dire tout haut, et la comtesse faisant taire sa fierté blessée par la fuite de son mari, ils prirent ensemble conseil pour munir d’hommes et de provisions toutes les villes et châteaux qu’ils tenaient dans le duché, prodiguant les encouragements et les récompenses, en sorte qu’on les servait volontiers.

Cependant les douze pairs avaient déclaré que Jeanne, comtesse de Blois, fille de Guy de Penthièvre, frère de père et de mère du feu duc Jean, était son héritière de droit et de fait, comme plus proche que le comte de Montfort, fils d’une seconde femme du duc Arthur. Le roi Philippe était fort irrité du départ secret de Jean de Montfort, et il l’envoya défier au nom de Charles de Blois.

«Beau neveu, dit-il à celui-ci, vous avez jugement pour vous de bel héritage et grand; or, vous hâtez de le reconquérir sur celui qui le tient à tort et priez tous vos amis qu’ils vous aident à ce besoin; je ne vous y manquerai pas, mais vous prêterai or et argent, et dirai à mon fils, le duc de Normandie, qu’il se fasse chef avec vous, et vous prie et vous commande de vous hâter, car si le roi anglais y venait, il nous pourrait porter grand dommage et ne pourrait avoir plus belle entrée pour venir par deçà.»

Les grands seigneurs français n’avaient pas attendu l’ordre du roi: après le duc de Normandie marchaient le comte d’A-lençon, le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, le comte d’Eu, connétable de France, messire Louis d’Espagne et une foule de chevaliers; ils étaient cinq mille armures de fer, sans compter les Génois qui leur avaient fourni trois mille archers, lorsqu’ils vinrent mettre le siège devant Nantes après avoir conquis plusieurs châteaux sur le chemin.

Le comte et la comtesse s’étaient enfermés dans la ville, décidés à soutenir résolûment le siège; les vivres étaient abondants, la garnison était forte, et malgré l’ardeur des assaillants, Jeanne espérait bien les tenir longtemps devant la place; mais les bourgeois commençaient à murmurer; un certain nombre d’entre eux avaient été faits prisonniers dans les sorties, et leurs douloureux messages émouvaient leurs parents et leurs amis dans la ville: chaque jour, les chevaliers combattaient aux barrières, et les hommes tombaient en grand nombre; des bruits fâcheux circulaient dans tous les quartiers.

Un soir, Odette entra timidement dans la chambre de la comtesse; celle-ci était assise auprès de la fenêtre, elle avait appuyé sa tête dans ses mains et semblait plongée dans une sombre rêverie; elle leva la tête au bruit des pas de la jeune fille:

«Je ne t’ai point appelée, mignonne, dit-elle.

— Je le sais, madame, et Odette s’agenouillait devant sa maîtresse; mais Aubry m’a dit de vous faire savoir que....

— Et qui est Aubry? dit la comtesse avec un malicieux sourire.

— Un des hommes d’armes de monseigneur, dit Odette, qui avait violemment rougi.

— Et qu’est-ce que tu peux avoir à apprendre des hommes d’armes de monseigneur? poursuivit Jeanne; nous n’en sommes pas réduites à faire des soldats de nos suivantes.

— Aubry est un serf de Montfort, dit Odette, prenant soudain courage, et il me parle depuis un an de m’épouser.

— Ah! fit la comtesse d’un ton indifférent; et que vous apprend-il, ma mie, outre ces belles nouvelles que les filles aiment tant à écouter?»

Les larmes coulaient doucement sur les joues d’Odette.

«C’est lui qui l’a voulu, murmurait-elle; il dit que les bourgeois veulent livrer la porte Saint-André aux ennemis de monseigneur, pour qu’ils le puissent prendre en ce château, sans plus faire de mal à personne.

— Ah!» dit la comtesse.

Mais cette fois elle s’était redressée; sa voix était vibrante, ses yeux étincelaient.

«Fais-moi venir Aubry,» dit-elle.

Odette frémit.

«Il n’a point voulu faire de mal, dit-elle à demi-voix.

— Non, non, dit Jeanne, et son service lui vaudra sa franchise, s’il a dit vrai; mais je veux l’entendre de sa bouche.»

Lorsque l’homme d’armes sortit de la présence de la comtesse, Odette l’attendait avec inquiétude dans le corridor voûté.

«Que t’a-t-elle dit? demanda-t-elle.

— Elle m’a fait raconter ce que j’avais entendu, dit Aubry tout étonné.

— Rien de plus, dit la jeune fille.

— Rien de plus; seulement elle m’a dit d’être sur mes gardes.»

Odette soupira, elle ne répéta pas la promesse que la comtesse avait paru faire.

«Elle a déjà oublié !» se dit-elle, et elle entra dans sa petite chambre pour pleurer.

La même nuit, en dépit des sentinelles doublées à tous les postes, en dépit de la vigilance des chevaliers et des hommes d’armes, la porte Saint-Jean fut ouverte secrètement, et les ennemis pénétrèrent sans bruit dans la ville; on avait renoncé à passer par la porte Saint-André, et l’avis d’Aubry était arrivé trop tard. Un corps français traversa rapidement les rues endormies, pendant que le gros de l’armée se précipitait dans la place; les portes du château étaient aux mains du comte de Blois avant que le tumulte de la ville eût averti les gardes; l’ordre du duc de Normandie était de s’emparer du comte de Montfort, sans faire de mal à personne. Aubry veillait à la porte de Jeanne, il entendit du bruit à l’étage inférieur, mais il n’osa pas quitter son poste; lorsque les sentinelles furent relevées, le mot d’ordre était changé, les gardes étaient Français et le comte avait déjà été emmené au camp, hors de la ville. Le lendemain, à la pointe du jour, Jeanne, qui n’avait point été arrêtée, sortit à cheval de Nantes, accompagnée de son fils, et elle alla s’enfermer dans Hennebon, pendant que son mari chevauchait vers Paris, sous bonne garde, pour être enfermé au Louvre, et que les bourgeois de Nantes juraient foi et hommage au comte de Blois, comme à leur légitime et souverain seigneur.

Scènes historiques.... Série 1

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