Читать книгу Scènes historiques.... Série 1 - Henriette de Witt - Страница 4

II

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Table des matières

Lorsque la maison de la comtesse la rejoignit à Nantes, le comte en était déjà parti, pour chercher dans le château, où il était déposé, le grand trésor du feu duc. Pendant que Charles de Blois et sa femme, Jeanne de Penthièvre, intercédaient auprès de leur oncle, le roi Philippe VI, pour qu’il les aidât à conquérir leur héritage, les bourgeois et la garnison, chargés des richesses de Jean III, les avaient livrées au comte de Montfort, le reconnaissant pour leur légitime seigneur. Fier de son succès, le comte revint à Nantes, où sa femme était restée. En son absence, elle avait pourvu à tous les détails des fêtes qu’on préparait; les seigneurs bretons avaient été convoqués dans toute l’étendue du territoire: tous étaient appelés à venir rendre hommage à leur seigneur, et à se réjouir de son élévation. Les yeux de la comtesse brillèrent de satisfaction lorsque son mari lui rapporta les coffres d’argent monnayé, de lingots d’or et de pierreries qu’il avait trouvés dans le trésor de son frère, au sein d’un donjon entouré de trois enceintes, défendues par des ponts-levis et garnies de murailles de dix pieds d’épaisseur:

«Ceci nous fera bon service pour la guerre, dit-elle; les hommes ont toujours été faciles à mener pour ceux qui ont l’argent, et le trésor de notre neveu de Blois ne vaudra pas celui-là. Il dépense tout son avoir entre les mains des moines et des clercs.

— Jean était aussi grand aumônier, dit son mari, et cependant il a su amasser tout ceci. Dans un des coffres se trouvaient des pierreries d’une merveilleuse beauté, ma mie et que j’aimerais à vous voir porter en nos fêtes.»

La comtesse sourit, mais sans empressement. Malgré sa beauté et sa jeunesse, elle faisait peu de cas de la parure, et les miroirs de Venise, grands comme ses deux mains, qui ornaient les salles d’apparat, n’avaient pas souvent réfléchi son visage. Cette Flamande avait les yeux noirs, les cheveux noirs, le teint olivâtre, comme si le sang de quelque princesse espagnole se fût mêlé dans ses veines à celui des comtes de Flandre. Elle était grande; sa démarche était majestueuse, sa taille élancée et robuste; mais, sauf son fils Jean qu’elle aimait d’un amour passionné, les petits enfants n’avaient jamais eu le désir de se presser dans ses bras ou de grimper sur ses genoux, et son mari, qui avait pour elle autant de confiance que d’estime, la redoutait un peu et suivait ses conseils par crainte, aussi bien que par affection.

Odette était assise, comme de coutume, aux pieds de la comtesse, préparant des pierreries qu’elle comptait enlacer le lendemain dans les cheveux de sa maîtresse; elle hésitait à parler, et cependant elle était chargée d’une mission importante; Jeanne se pencha pour regarder les joyaux qu’enfilait la jeune fille, et ses yeux pénétrants distinguèrent sa rougeur. Elle était en belle humeur, elle tenait le trésor des ducs de Bretagne; dans quelques jours l’hommage de tous les vassaux appartiendrait à son mari.

«A quoi penses-tu, Odette? dit-elle plus doucement que de coutume; tes lèvres s’entr’ouvrent puis se referment, tes yeux brillent sous leurs paupières baissées. Parle, qu’as-tu à me demander?»

La jeune fille rougit en se voyant si bien devinée, elle s’agenouilla sur son coussin:

«0 madame, dit-elle, demandez à Monseigneur qu’il permette à Marie, la femme d’Eudes le lépreux, d’accompagner son mari dans sa maisonnette.»

La comtesse regardait Odette avec étonnement:

«Elle veut aller avec lui, mais il est lépreux, il lui donnera son mal! dit-elle.

— C’est sa femme, dit timidement Odette, et qui le soignerait si elle l’abandonnait?

— Elle n’a point d’enfant?» demanda vivement Jeanne. Odette rougit.

«Elle espère tenir un fils dans ses bras, vienne la Saint-Michel, dit-elle à demi-voix, mais elle dit que Dieu gardera l’enfant ou qu’il lui ouvrira les portes du Paradis.»

La comtesse ne répondit pas; elle avait appuyé sa tête sur sa main. La jeune suivante, debout devant elle, attendait en silence. La comtesse releva enfin les yeux:

«Qu’elle aille! dit-elle, j’obtiendrai la permission de Monseigneur; aussi bien une femme chargée d’un enfant ne saurait cultiver la terre et payer la taille, tandis que les biens de la ladrerie suffiront à les nourrir tous les deux. Quand doit-il être séparé du reste des humains?

— Demain, madame, dit Odette, dont les yeux brillaient de joie; ci comptais-je vous demander la permission d’assister à la cérémonie.

— Elle est bien triste, dit la comtesse, je l’ai vu célébrer pour un grand seigneur; mon cousin Guy de Valenciennes a été enfermé dans un de ses châteaux avec une poignée de serviteurs, mais....» Sa voix prenait un accent de dédain.... «Sa femme ne l’avait point accompagné dans sa retraite. Eudes, l’homme d’armes, est plus heureux que lui.»

Odette avait porté à Marie la bonne nouvelle; la pauvre femme, accablée par sa douleur, s’était ranimée un instant; l’affreuse séparation qu’elle avait redoutée lui était épargnée; il fallait quitter tous les siens sans les revoir; son père et sa mère vivaient dans le hameau, au pied du château de Montfort, et c’était à la ladrerie de Nantes qu’Eudes allait être conduit; elle ne verrait plus les humains, elle n’irait plus à l’église, elle n’entrerait plus dans un marché, un mal horrible pouvait l’atteindre. Mais elle pouvait soigner son mari, voir encore son visage, et ses seigneurs renonçaient à tous leurs droits sur son corps et sur son travail.

«Que Dieu notre Seigneur vous bénisse, damoiselle, dit-elle en s’inclinant devant Odette, vous m’avez rendu la vie.»

La jeune suivante rougit.

«Je ne suis point damoiselle, dit-elle, mais une pauvre orpheline élevée par charité et qui compatit à vos malheurs. Que Dieu ait pitié de vous comme le mérite votre courage!»

Marie souriait.

«Le courage me manquerait pour quitter Eudes, dit-elle, et Dieu n’est pas moins puissant qu’autrefois! Les bons pères m’ont raconté qu’il avait guéri le patriarche Job et des lépreux qu’il avait rencontrés en un chemin; peut-être guérira-t-il aussi mon mari: je le prierai tant!»

Et elle levait vers le ciel ses mains jointes et ses yeux baignés de larmes, parlant dans son cœur au souverain Maître des corps et des âmes; Odette, tout émue, se retira avec respect.

C’était le vendredi matin, dans une petite église du faubourg de Nantes, à l’entrée du pont qui conduisait à la léproserie et qui portait le sinistre nom du Pont-Saint-Ladre. Odette était là, vêtue de noir, car elle allait assister à un enterrement. Le lugubre cortège venait d’arriver, l’église était tendue comme pour un service de deuil, le malheureux homme d’armes, conduit par deux clercs, venait d’être placé au milieu de la chapelle ardente, il était couvert d’un drap mortuaire; les prières funèbres avaient commencé ; à l’entrée du chœur, Marie, debout, les yeux fixés sur le cercueil où son mari était couché, semblait attendre sa résurrection d’entre les morts; un instant Odette entrevit les traits du malheureux lépreux, elle frémit d’effroi et fut obligée de s’appuyer contre une colonne pour se soutenir. Cependant, la cérémonie était terminée, tous les assistants avaient jeté de l’eau bénite sur le cercueil; celui qu’on venait d’ensevelir se releva, les prêtres l’entourèrent, et, toute la foule le suivant, on prit le chemin de la maisonnette qu’il allait occuper dans la campagne. Odette soutenait Marie qui marchait avec peine; elle répétait cependant entre ses larmes:

«S’il était mort! S’il était véritablement mort!»

Puis, levant les yeux, elle aperçut de loin la petite cabane surmontée d’une croix et de la clochette qui devait avertir les étrangers de ne point entrer dans la maison du lépreux:

«Voici son tombeau, dit-elle, mais nous y serons deux.

— Peut-être trois,» dit timidement Odette.

La jeune mère rougit.

«Si Dieu nous veut faire cette grâce!» murmura-t-elle.

On était arrivé au pied de la maisonnette. Eudes s’était mis à genoux:

«Vous êtes mort pour la terre, mon frère, lui dit le curé en lui tendant le crucifix; mais Celui qui a guéri ici-bas les lépreux et qui a souffert sur la croix, ne s’éloignera point de vous; il vous tend les bras du haut de son ciel, prêt à recevoir votre âme quand l’ouvrage de la patience sera accompli en vous; et ci, n’y a-t-il point là-haut de malades ni de lépreux, de cri ni de larmes, et toutes les plaies du corps et de l’âme seront éternellement guéries par le sang de l’Agneau sans tache qui ôte le péché du monde.»

Alors, s’avançant vers le malheureux qui venait de rejeter son habit d’homme d’armes, brodé aux armes de Bretagne, et qui avait revêtu le sombre costume des lépreux, il s’écria d’une voix forte:

«Je te défends de sortir sans ton habit de ladre.

«Je te défends de sortir nu-pieds.

«Je te défends de passer par des ruelles étroites.

«Je te défends de parler à quelqu’un lorsqu’il sera sous le vent.

«Je te défends d’aller dans aucune église, dans aucun moutier, dans aucune foire, dans aucun marché, dans aucune réunion d’hommes quelconque.

«Je te défends de boire et de laver tes mains soit dans une fontaine, soit dans une rivière.

«Je te défends de manier aucune marchandise avant de l’avoir achetée.

«Je te défends de toucher les enfants, je te défends de leur rien donner.»

Le prêtre continuait ses interdictions. Odette avait regardé Marie; un éclair de joie illuminait le front de la jeune femme.

«Il pourra toucher son enfant!» disait-elle à voix basse.

Le curé se taisait; il tendait son pied à baiser au malheureux lépreux, puis recevant des mains d’un jeune clerc une pelle chargée d’un peu de terre, il la versa sur la tête du condamné :

«Que le Seigneur Dieu veuille t’avoir en sa miséricorde! dit-il, et que tous les bons chrétiens prient pour toi!»

Eudes se releva chancelant; il allait entrer dans sa maisonnette, et s’arrêtait pour jeter un dernier regard sur cette réunion de ses semblables qu’il ne devait plus revoir, lorsqu’un bras se glissa sous le sien; le lépreux se retourna, il vit sa femme et tout le reste s’évanouit à ses yeux; Marie l’entraîna dans la chaumière et la porte se referma derrière eux.

Scènes historiques.... Série 1

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