Читать книгу Scènes historiques.... Série 1 - Henriette de Witt - Страница 9
VII
ОглавлениеMessire Charles de Blois ne tarda pas beaucoup à Rennes, dès qu’il y eut mis garnison, lui et toute son armée vinrent se camper devant Hennebon; la ville et le château étaient forts, bien armés de bons chevaliers, et la comtesse y était, qui valait bien des gens d’armes. Les sorties des assiégés étaient constantes et harassaient fort les ennemis; mais à mesure que les succès du comte de Blois allaient croissant, un plus grand nombre de seigneurs bretons venaient lui rendre hommage, et le château d’Hennebon avait fort affaire à rendre courage à la ville. La comtesse avait endossé la cuirasse, au grand chagrin d’Odette; lorsqu’on avait apporté dans la chambre de sa maîtresse une légère armure de Milan, dorée et damasquinée, elle avait reculé d’horreur.
«Ah! madame, dit-elle en regardant Jeanne qui soulevait de ses blanches mains l’appareil guerrier; ce ne sont point jouets pour les femmes que les cuirasses et les épées.
— Ne sont jouets, ma fille, dit la comtesse dont le front était devenu plus grave encore que de coutume, mais bien sérieuses affaires et qui touchent à l’honneur comme au bon droit. Si monseigneur était céans pour combattre ses ennemis. je n’échangerais pas mon fuseau et mon aiguille contre cette épée; mais puisque mon fils n’a peut-être à cette heure d’autre père que moi, si faut-il bien que je devienne homme pour défendre son héritage;» et elle ordonna à sa suivante de lacer sa cuirasse et d’attacher ses brassards.
Odette pleurait et ses doigts inexpérimentés accomplissaient lentement leur tâche.
«Faut-il qu’en vrai chevalier j’envoie chercher un écuyer?» dit la comtesse en riant.
Odette frémit, et elle acheva d’armer la comtesse.
Jeanne venait de sortir de sa chambre, rougissant et presque confuse de son nouveau costume; on lui amena son palefroi, elle sauta en selle, une longue robe couvrait ses pieds.
«Or sus, mesdames, cria-t-elle à ses suivantes, donnez l’exemple aux femmes de la ville et qu’on porte des pierres aux créneaux pour jeter aux ennemis: on fait bouillir de l’huile dans les cuisines et brûler de la chaux dans les cours pour les saluer s’ils tentent l’assaut.»
Les dames se regardaient avec consternation; dame Gudule appela toutes les femmes de la maison:
«Le jour est passé de s’inquiéter des blanches mains et des beaux habits, dit-elle résolûment; ce que la comtesse fait, nous pouvons le faire;» et se chargeant d’un panier rempli de pierres, elle le souleva d’un bras robuste encore. Odette aimait Gudule, malgré ses gronderies continuelles; elle s’approcha d’elle pour l’aider à porter son fardeau. La vieille femme jeta sur elle un regard d’approbation:
«Ton cœur vaut mieux que ta mine, dit-elle entre ses dents, encore que tu ne sois que demi à nous, et que tu te souviennes toujours que tu as été élevée chez le feu duc Jean.»
Les suivantes avaient imité l’exemple de Gudule et d’Odette; une longue file de dames et damoiselles, portant des paniers pleins de pierres, arrivait au pied des remparts: les ennemis surpris du redoublement des projectiles multiplièrent leurs flèches; les femmes s’enfuyaient effrayées, jetant leurs paniers en toute hâte. Gudule grommelait:
«Et comment reviendra-t-on tout à l’heure si on laisse ainsi tous les paniers?» disait-elle.
Odette se mit à genoux à côté des tas de pierres pour l’aider à vider les corbeilles. Tout à coup, la jeune fille poussa un cri douloureux et porta la main à son épaule: une flèche était venue la frapper et tremblait encore dans la plaie; Odette tomba baignée dans son sang.
Le tumulte était grand sur les remparts; des deux côtés on criait «Bretagne!» Les épées s’entre-choquaient aux barrières, et les exclamations des combattants se mêlaient aux cris des blessés; mais au milieu de ce sinistre fracas, Aubry avait reconnu la voix d’Odette; un instant auparavant, il avait souri sous sa moustache en voyant la frêle taille de la jeune fille plier sous le poids du panier qu’elle portait et qu’il eût soulevé d’un de ses doigts; au cri de douleur qu’elle avait poussé, il bondit de la muraille qu’il défendait, criant à ses camarades:
«Je reviens, serrez les rangs!» et il enleva dans ses bras le corps inanimé de l’enfant.
Gudule avait déjà retiré la flèche de la blessure, et elle étanchait le sang d’une main expérimentée; Aubry prit en courant le chemin du château; il pouvait, il devait sauver la vie de celle qu’il aimait, mais il ne se sentait pas le droit de s’absenter de son poste un instant de plus qu’il ne fallait. A peine Odette était-elle déposée sur un lit dans la chambre des femmes, que le brave homme d’armes retourna sur les remparts sans même attendre qu’elle eût ouvert les yeux.
Une flèche était venue la frapper. (Page 36.)
Il approchait des murailles, lorsqu’il rencontra la comtesse.
«Toi ici, Aubry? dit-elle d’un ton de reproche, tandis qu’on se bat aux murailles?»
Le vaillant soldat baissa les yeux.
«Odette a été blessée,» dit-il simplement.
La comtesse sourit:
«Je comprends, dit-elle, tu l’as portée au château?»
Aubry ne répondit qu’en courant jusqu’aux remparts, et la comtesse passa outre. Elle était montée sur la grosse tour pour voir l’ensemble de la défense; elle s’aperçut que les seigneurs français avaient presque tous abandonné leurs tentes, et que leur camp n’était point gardé. Elle appela autour d’elle la compagnie de ses gardes:
«Ci, dit-elle, sortons sans bruit, et sans appeler plus de gens, et allons-nous-en brûler leurs logis.»
La porte qui donnait le plus près du camp n’était pas attaquée; la comtesse sortit avec ses trois cents gens d’armes et se jeta tout à coup sur les tentes, elles n’étaient gardées que par les valets de l’armée qui s’enfuirent aux premiers coups d’épée. Le camp brûlait déjà lorsque les Français s’en aperçurent. Ils étaient dans toute l’ardeur du combat, repoussant une sortie de l’ennemi, lorsqu’ils virent les flammes s’élever vers le ciel, consumant leurs bagages, leurs vivres et leurs richesses.
«Trahis! trahis! s’écrièrent-ils, et tous coururent vers les tentes, dans l’espoir d’arracher quelques débris à l’incendie. La comtesse était demeurée à la porte du camp; voyant toute l’armée qui abandonnait l’assaut pour courir au feu, elle craignit de ne pouvoir rentrer dans la ville.
«Çà, dit-elle à ses gens, chevauchons à grandes journées vers Auray, nous y serons tantôt et reviendrons bientôt à Hennebon.»
Elle avait pris le galop et ses hommes la suivaient, lorsque ses oreilles exercées distinguèrent dans le lointain le bruit d’une poursuite; c’était messire Louis d’Espagne, le maréchal de l’armée française, qui, voyant fuir une troupe de gens, devina qu’il avait affaire aux hardis incendiaires et se mit à leur courir sus dans l’espoir de les atteindre; il avait beaucoup de monde avec lui, mais les chevaux étaient mauvais et tombaient par les chemins, ceux qui s’arrêtaient étaient maltraités et quelquefois tués par leurs chefs. Les fugitifs gagnaient du terrain, ils venaient d’entrer dans Auray, lorsque messire Louis, qui avait déjà couru deux heures, renonça à la poursuite; il n’avait recueilli qu’une dizaine de prisonniers dont les chevaux n’avaient pu suivre celui de la comtesse. Les hommes d’armes français les entouraient.
«Qui de vos capitaines a été assez hardi pour faire coup aux logis de nos seigneurs? demandaient les soldats qui n’avaient rien perdu, parce qu’ils n’avaient rien à perdre, et qui étaient moins irrités que les chevaliers; les Bretons riaient dans leur barbe.
— Qui serait-ce, sinon la duchesse elle-même avec les hommes d’armes de son corps?» répondirent-ils malicieusement.
Messire Louis s’émut de cette nouvelle.
«Si nous avions eu de meilleurs chevaux, nous l’eussions pu prendre et terminer la guerre en cette fois,» disait-il.
Les capitaines s’étonnèrent fort de la hardiesse de la comtesse, mais l’émotion était plus grande dans Hennebon; les capitaines ne pouvaient penser ni imaginer comment leur dame avait ce osé entreprendre, et ils furent toute la nuit en grande inquiétude de ce qu’elle ne revenait ni aucun de ses compagnons.
Cependant les Français avaient établi un nouveau camp au pied des murailles et construit des cabanes avec des planches et des branches d’arbres pour remplacer les tentes qui avaient été détruites, et chaque fois qu’un chevalier breton paraissait sur les remparts, les ennemis lui criaient:
«Allez, seigneurs, allez chercher votre comtesse; certes, elle est perdue et vous ne la retrouverez plus.»
Les assiégés craignaient que ces paroles ne cachassent quelque funeste nouvelle; mais le cinquième jour, au soleil levant, un bruit de chevaux se fit entendre de l’autre côté de la route d’Auray. Les sentinelles étaient aux aguets, espérant toujours le retour de la dame, et grande fut leur joie en apercevant une troupe de cinq cents chevaux avec l’étendard de Bretagne.
A peine les portes de la ville et du château s’étaient elles refermées sur les nouveaux arrivants, que la comtesse donna l’ordre de sonner des trompettes et des cors; le camp français, subitement réveillé, courut aux armes; les assiégés étaient déjà sur les remparts.
«Notre duchesse est revenue, criaient-ils, vous ne la pouvez prendre ni au départ, ni à l’arrivée.»
Les Français, furieux, coururent à l’assaut, sans ordre et sans commandement; on se battit la moitié du jour, mais les seigneurs s’aperçurent que leurs gens se faisaient tuer sans profit, et on donna le signal de la retraite.
Le conseil se tenait au logis de messire Charles de Blois:
«Ci, dit-il, je ne vois pas que nous avancions beaucoup ici; j’ai en l’esprit d’aller attaquer le château d’Auray avec les seigneurs qui me voudront suivre, et le reste de l’armée restera ici pour tenir assiégés la ville et le château. De guerre lasse, nous finirons bien par les avoir, car leur secours a péri en mer.»
Les seigneurs approuvèrent les projets de messire Charles, et Louis d’Espagne resta seul devant Hennebon, pendant que le gros de l’armée mettait le siège devant Auray, place très-forte et vaillamment défendue par Henry et Olivier de Spinefort.
Cependant la comtesse était serrée de près dans Hennebon, et l’évêque de Léon qui y était enfermé avec elle, commençait à perdre courage, d’autant plus que son neveu, messire Henry de Léon, le premier à faire hommage au comte de Montfort, avait aussi été le premier à l’abandonner, et qu’il combattait sous les ordres de messire Louis d’Espagne. L’oncle et le neveu se voyaient, et il fut décidé entre eux que l’évêque chercherait à décider les chevaliers qui tenaient Hennebon à rendre la place au comte de Blois, que leurs vies seraient sauves et leurs biens respectés. L’évêque avait commencé ses intrigues et beaucoup de chevaliers étaient déjà gagnés, lorsque la comtesse fut avertie de ce qui se tramait; elle convoqua aussitôt tous ses capitaines dans la grande salle.
«Messires. dit-elle, on m’est venu apprendre ce que je ne veux croire: c’est que quelques-uns d’entre vous, las de combattre; comme s’ils étaient bourgeois et non gentilshommes, parlent de rendre cette ville et le château de monseigneur à messire Charles, son neveu, qui lui voudrait ravir son héritage. Ci. messires, je vous conjure, pour l’amour de Dieu, que vous attendiez encore trois jours, sans écouter les mauvais conseils; car sans nulle faute, j’aurai du secours avant que le soleil se soit couché trois fois.»
Quelques-uns des chevaliers étaient embarrassés; ceux qui étaient restés fidèles regardaient les autres avec colère et criaient si fort: «A vie! à vie! non pour trois jours!» que les mécontents furent obligés de promettre le délai que demandait la comtesse.
L’évêque avait promis comme les autres, mais à peine se trouva-t-il en son logis dans la ville qu’il recommença à intriguer parmi les capitaines.
«Il y a soixante jours que nous attendons en vain le secours, disait-il, pourquoi viendrait-il présentement dans trois jours?» et les chevaliers étaient fort ébranlés.
Messire Henry de Léon s’était rapproché de la ville, et il espérait qu’on lui livrerait bientôt une porte, lorsque Jeanne monta vers le soir au donjon du château; elle avait ouvert une petite fenêtre, et, penchée en avant, elle regargardait la mer.
«Jésus! s’écria-t-elle tout d’un coup, je vois venir le secours que tant ai désiré ! Le secours! le secours!» répétait-elle à haute voix, et elle descendait en toute hâte.
On l’avait entendue; à toutes les fenêtres on apercevait des gens qui regardaient du côté de la mer; les plus avisés couraient aux remparts; au loin encore, mais cinglant vers le port, on apercevait grande foison de nefs, petites et grandes, bien bastillées, qui venaient par devers Hennebon, dont chacun fut durement réconforté, car bien tenait-on que c’était messire Amaury de Clisson qui amenait ce secours d’Angleterre, qui par soixante jours avait eu vent contraire sur mer.