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XI

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Table des matières

Les affaires de Charles de Blois étaient assurément en bon train, mais il avait encore bien des villes et des châteaux à conquérir avant de se trouver maître de tout le duché de Bretagne, et ses alliés commençaient à se lasser de guerroyer à son profit.

«Faites trêve jusqu’à la Pentecôte, lui disaient-ils; ci aurons le temps de retourner à nos domaines et voir à nos affaires; nous recommencerons à combattre en été.»

Les conseillers de Jeanne lui en disaient autant.

«Si vous pouviez venir en Angleterre, madame, disait Gautier de Manny, et obtenir du roi, notre seigneur, qu’il voulût venir combattre en France, les alliés de messire Charles seraient trop occupés ailleurs pour lui venir en aide, et si vous finissiez vos batailles entre Bretons, vous auriez bientôt mis dehors du duché tous vos ennemis.»

La comtesse n’avait guère envie de signer la trêve; elle redoutait en son absence les intrigues de ses ennemis, mais elle jugeait sainement de l’état de ses affaires, et se sentait hors d’état de lutter contre toute la puissance de France armée contre elle.

«Ci, dit-elle, irai-je trouver le roi Édouard; mon père lui a bien fait, et monseigneur lui a rendu hommage, et il est tenu de protéger mon petit enfant.»

La trêve était à peine signée et déjà Jeanne faisait ses préparatifs de départ; depuis le jour où Odette avait entendu son arrêt des lèvres de messire Gautier, elle n’avait pas quitté sa chambre, plongée dans une stupeur muette, comme si son âme se fût envolée avec celle d’Aubry. Dame Gudule la soignait avec la tendresse d’une mère, mitigée par la rudesse naturelle à son caractère. Elle entra un matin dans la chambre de la jeune fille qui était assise auprès de la fenêtre, les bras pendants, les yeux fixes, contemplant la mer sans la voir:

«Tu seras bientôt de l’autre côté, dit brusquement la vieille femme, madame va partir dans trois jours.»

Odette se leva toute droite:

«Et si Aubry revenait? dit-elle, sortant pour la première fois de son morne accablement. Il a dit: «Peut-être ne mour-« rai-je pas...; dites à Odette...» Je l’attends.»

Dame Gudule haussait les épaules.

«Un homme d’armes ennemi laissé sur le chemin! marmottait-elle.

— Il m’a fait promettre d’attendre cinq ans avant d’entrer au couvent, continua la jeune fille dont la raison semblait s’être réveillée; si madame m’emmène au delà des mers, il ne saura où me retrouver.»

Elle pleurait, elle n’avait pas versé une larme depuis le jour fatal; Gudule sortit sans répondre, elle rentra au bout d’un instant:

«Madame prendra Yvonne en ta place, dit-elle, elle n’emmène que six damoiselles avec leurs suivantes.

— Resterons-nous donc céans? demanda la pauvre enfant habituée à voir disposer de son sort par les autres.

— Non, certes! que feriez-vous au milieu des hommes d’armes? Madame a résolu d’envoyer celles de ses femmes qu’elles n’emmènerait pas chez sa cousine la reine de Bohême; vous y serez bien gardées, la maison de la reine est quasi un couvent.»

Odette se laissa retomber sur son siège: peu lui importait maintenant de changer de servage, tout espoir et tout amour étaient ensevelis dans le tombeau inconnu d’Aubry; au fond de son âme elle n’espérait pas le revoir, mais elle n’avait pas vu son cadavre, elle n’avait pas baisé ses lèvres glacées; sa promesse la retenait loin de l’asile que lui offrait le couvent comme à tous les cœurs brisés et aux existences isolées si fréquentes dans ces temps de trouble. La comtesse Jeanne ne s’était pas inquiétée de la douleur de sa suivante, de plus pressantes affaires occupaient ses pensées; la reine de Bohême ne saurait pas que la jeune Bretonne avait tout perdu par une matinée de décembre sur un grand chemin des environs de Carhaix; pourvu que les brodeuses fussent habiles et les luths bien accordés, peu importait aux dames que leurs suivantes fussent heureuses ou tristes. Seul, le bon chevalier, messire Gautier, pensa à la pauvre enfant privée de son protecteur et de son ami, et au moment de partir pour l’Angleterre, où il escortait la comtesse, il remit une bourse à dame Gudule, en la priant de la donner de sa part à la jeune fille qu’il avait promis de marier au pauvre Aubry:

«Elle est partie hier pour entrer en la maison de madame la reine de Bohême, qui pour l’heure est à Paris, dit dame Gudule; mais je lui ferai tenir cette somme; ce sera un jour sa dot lorsqu’elle entrera au couvent.»

«Pauvre Aubry!» dit messire Gautier; et il offrit la main à la comtesse pour monter sur sa nef.

Scènes historiques.... Série 1

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