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Le laid étant la négation du beau, les peintres qui s’adonnent aux sujets grotesques ou bouffons doivent s’être pénétrés des lois de la beauté. On ne réfute un adversaire qu’à la condition de savoir ce qu’il a dit. Or la caricature est une réfutation. Œuvre éphémère, quelquefois profitable, rarement produite avec mesure sous l’impulsion d’une pensée généreuse et loyale, elle n’aura pas même le mérite de la logique si le crayon de l’artiste ne s’est de longtemps familiarisé avec la forme humaine. Son but étant de décomposer la nature, afin de substituer à l’ordre qui la gouverne et lui donne l’harmonie je ne sais quel chaos bizarre, imprévu, dont le désaccord choque notre goût et provoque le rire, il est indispensable que le peintre satirique porte dans son art une méthode, qu’il se montre savant à déformer, où d’autres s’appliquent à reproduire le beau. Le crayon de la caricature est un scalpel. Il faut, au maniement de pareils outils, des doigts exercés.

On ne dissèque pas au hasard.

C’est bien ainsi que l’entendait Hogarth. Ayant acquis la richesse et le renom par ses compositions burlesques, rapidement populaires, Hogarth fut taxé d’ignorance. On l’accusa de méconnaître le beau et d’être un esprit rebelle à toute élévation, à toute conception noble.

Hogarth fut sensible au défi.

L’Analyse de la Beauté ne se fit pas attendre. Le livre est original. Publié en 1753, il inspirera Diderot lorsque celui-ci voudra juger, au Salon de 1765, certain tableau d’un élève de Tischbein et de Casanova, Philippe de Lutherburg. Mais Hogarth a eu des collaborateurs. On cite, parmi les hommes qui l’ont aidé dans la rédaction de son ouvrage, Hoaldy, Ralph, Morell, Townsley.

Horace Walpole met en doute que certains axiomes formulés dans Analysis of Beauty expriment la pensée de Hogarth. A notre tour, nous appellerons l’attention sur la théorie du peintre relative à la ligne serpentine dont il fait la ligne de beauté. Nous trouvons les principes développés par Hogarth clairement exposés sous la plume d’Edmund Burke, dans son Essai du Sublime et du Beau, publié presque en même temps que l’Analyse de la Beauté. Relisez le chapitre x du livre de Hogarth, et la section xv de l’Essai de Burke. Ce que dit le philosophe sur la «Variation graduelle» se rapproche singulièrement des principes de Hogarth. Or nous avons peine à croire que Burke ait volontairement compromis sa réputation de penseur en empruntant au livre de son contemporain l’idée maîtresse qui a fait la fortune de ce livre. Il est probable que le système de la ligne serpentine rencontrait, au temps de Burke et de Hogarth, l’adhésion d’un certain nombre d’esprits, et ce n’est sans doute pas à Hogarth qu’appartient l’honneur de sa découverte. Au surplus, les collaborateurs érudits du peintre bouffon lui enlèvent une large part de l’autorité qui s’attache à son ouvrage.

Joshua Reynolds, dont l’initiative dans la fondation de l’Académie de peinture de Londres rappelle le rôle actif de Le Brun dans l’établissement de l’Académie royale de Paris, a laissé deux volumes de Discours. Président de l’Académie de Londres de 1769 à 1786, Reynolds prit chaque année la parole en la séance solennelle de la distribution des prix aux élèves formés par la Compagnie. La théorie de l’art, le beau, le choix des détails, la composition, l’imitation de la nature, le goût, l’étude, le génie, toutes les questions capables de former l’intelligence d’un jeune auditoire sont abordées par Reynolds avec une clarté parfaite, un sens esthétique toujours fin et délié.

Les noms propres, les exemples abondent sur les lèvres de l’orateur. Il parle de toutes les écoles et de leurs maîtres en homme qui les connaît et qui de longtemps les a pris pour modèles. Rome et Venise l’attirent. A chaque page il se prend à juger Raphaël et Titien. C’est avec impartialité qu’il revient maintes fois sur l’œuvre de Poussin. Il ne prononce les noms de Vouet, de La Fage et de Le Sueur que pour rendre hommage à leur mérite. Il n’a pour Rubens que des éloges.

C’est avec raison que Reynolds rappelle, au début d’un de ses discours, «sa franchise et sa facilité à dire son opinion». En effet, toute réticence est bannie de ses entretiens: un souvenir personnel se présente-t-il à sa pensée, l’artiste le confie sans retard à ceux qui l’écoutent. C’est ainsi qu’en 1774, traitant de l’Imitation, Reynolds se met en scène:

«Je me souviens de m’être trouvé, dit-il, il y a quelques années à Rome, avec un artiste qui jouit d’une fort grande réputation en Europe, et qui ne manquait pas non plus de qualités supérieures, mais dont la bonne opinion qu’il avait de lui-même était plus grande encore. D’après la célébrité qu’il avait acquise, il concluait bonnement qu’il se trouvait sur le même rang, relativement à ses prédécesseurs, que celui qu’il tenait vis-à-vis de ses pitoyables rivaux contemporains.

«Dans une conversation que nous eûmes ensemble sur quelques parties des ouvrages de Raphaël, il parut ou feignit de ne se les rappeler que confusément. Il m’assura qu’il y avait plus de quinze ans qu’il n’avait mis les pieds au Vatican; qu’à la vérité, il était entré en marché pour copier un tableau capital de Raphaël, mais que l’affaire avait manqué ; que si cependant le traité s’était fait, sa copie aurait été bien supérieure à l’original. Le mérite de cet artiste, quelque grand qu’on puisse le supposer, l’aurait été, je suis sûr, infiniment davantage, et sa présomption beaucoup moindre, s’il avait visité le Vatican, ainsi qu’il aurait dû le faire raisonnablement, au moins une fois tous les mois.»

Reynolds ne nomme pas l’artiste dont il parle. D’ailleurs, à quoi bon nous occuper de ce barbare qui, citoyen romain, demeure quinze années sans franchir le seuil du Vatican! Un artiste digne de son art peut-il vivre à Rome sans lire perpétuellement les trésors qui font de la Ville éternelle le livre de tout enseignement?

Rentrons en France sur les pas de Reynolds. Il parle de l’Étude, et le nom de Boucher, son contemporain, lui revient à l’esprit. C’est ce même François Boucher dont Diderot, on se le rappelle, a dit: «C’est un faux bon peintre.» Écoutons Reynolds.

«Les Français sont beaucoup dans l’usage d’inventer sur le champ et sans préparation; leur habileté dans cette partie est si grande qu’elle excite l’admiration et peut-être même l’envie; mais combien rarement leurs ouvrages, étant achevés, éveillent-ils ce sentiment! Boucher, le dernier directeur de l’Académie royale de Paris, était surprenant dans l’improvisation. Lorsque je fus le voir en France, il y a quelques années, je le trouvai occupé d’un fort grand tableau pour lequel il n’employait ni esquisse ni modèle d’aucun genre. Sur ce que je lui en témoignai ma surprise, il me répondit qu’il avait regardé les modèles comme nécessaires pendant sa jeunesse, lorsqu’il étudiait son art, mais qu’il y avait longtemps qu’il ne s’en servait plus.»

Le trait vaut une critique. C’est dans son discours de 1784 que Reynolds l’a raconté.

Ce que Reynolds avait fait pour les peintres, Flaxman l’entreprit quelques années plus tard pour les sculpteurs.

Chargé par l’Académie de professer l’histoire et la pratique de son art, Flaxman n’a pas, comme son contemporain, résumé sa science de la sculpture dans des discours ayant un caractère solennel. Mais, pour être familières, les Leçons du maître qui avait illustré de son crayon, à la demande de mistress Have-Nayles, l’Iliade et l’Odyssée ne laissent pas d’avoir une incontestable valeur. La nature et l’antique appellent l’examen du professeur, l’antique surtout, dont Flaxman a dit: «La contemplation des modèles que nous ont légués les anciens invite notre âme à penser noblement; elle lui inspire le dégoût de tout ce qui est bas et vulgaire, et la porte naturellement à saisir en toutes choses la beauté, l’élégance et la grandeur.»

Ce que Flaxman a écrit sur la forme, sur la composition, sur le respect de la matière que le sculpteur met en œuvre, vaut la peine d’être médité.

Rappelons que Flaxman a écrit plusieurs pages sur Romney, dont il apprécie les tableaux en homme très expert des lois de la peinture.

Flaxman eut une occasion de parler publiquement de l’art antique. Lord Elgin ayant proposé à deux reprises au Parlement anglais d’acquérir les marbres précieux qu’il avait rapportés d’Athènes, n’obtenait de la Chambre britannique que des offres dérisoires.

Une exposition publique des sculptures du Parthénon eut lieu à Burlington-house. Peu de monde s’y rendit. Les restes mutilés, placés sous les regards des visiteurs, n’étaient pas de nature à frapper tous les esprits. Les grandes œuvres ont leur fierté, elles ne se livrent qu’aux intelligences élevées.

Ce fut ce qui advint.

Toutefois, les hommes d’élite, chose rare, furent écoutés. On appela de France Visconti pour connaître son sentiment, et lorsque cet archéologue distingué eut proclamé la valeur esthétique des fragments que proposait lord Elgin, une sorte de cour suprême fut instituée pour juger la cause en dernier ressort. A sa barre durent comparaître Chantrey, Thomas Lawrence, Westmacott, Benjamin West et Flaxman. Heureux peuple que celui qui s’en remet à ses chefs d’école, de se prononcer dans une question d’art mal accueillie par une assemblée politique!

De tous les artistes qui déposèrent de l’excellence des marbres du Parthénon, aucun ne fut plus explicite ni plus ardent que Flaxman. Un questionnaire uniforme avait été préalablement dressé. Le président en donna connaissance aux illustres témoins cités à son tribunal, et recueillit les réponses qui lui étaient faites. On le voit, la procédure fut des plus régulières.

Ce président, le jour où Flaxman fut appelé, c’est-à-dire le 4 mars 1816, était Henri Bankes. A la demande: «Connaissez-vous parfaitement la collection des marbres d’Elgin?» Flaxman répond avec fermeté.

«Oui, je les ai vus souvent, je les ai dessinés, et j’ai fait sur ces œuvres précieuses les recherches nécessaires au point de vue de l’art plastique, qui est le mien.

— «A quel rang placez-vous ces marbres par rapport aux œuvres d’art qui vous sont connues?

— «Les marbres d’Elgin, répond Flaxman, sont les plus belles œuvres que je connaisse.

— «Croyez-vous de quelque utilité, pour les progrès de l’art dans la Grande-Bretagne, que cette collection devienne propriété publique?

— «Cela me semble de la plus grande importance, et j’ai toujours pensé de la sorte.»

Des questions de toute nature sont alors posées au statuaire sur les métopes, le Thésée, l’Ilyssus, les Panathénées, et Flaxman ne cesse de répondre avec une assurance réfléchie, apportant, à l’appui de ses affirmations, des aperçus originaux, des comparaisons, des déductions concises où la simplicité du langage n’exclut pas une érudition sérieuse. Sa déposition forme dix pages de texte du Report from the select Committee, publié par les soins de la Chambre des Communes.

Nous ne pouvons comparer l’enthousiasme raisonné du sculpteur anglais, dans cette circonstance, qu’aux témoignages décisifs donnés par un autre artiste, son contemporain, le sculpteur Canova. L’auteur des Trois Grâces avait fait le voyage de Londres dans les derniers mois de 1815, afin d’étudier les marbres du Parthénon. On le vit durant son séjour dans cette ville passer de longues heures devant ces restes superbes; puis, ne pouvant taire son admiration, il l’exprima dans des Lettres souvent rappelées, qui permettent de ranger Canova au nombre des artistes écrivains. C’est ainsi que s’adressant à lord Elgin: «Les admirateurs de l’art et les artistes, lui dit-il, ont contracté une dette de reconnaissance éternelle envers Votre Seigneurie, pour avoir apporté parmi nous ces sculptures magnifiques et grandioses.» A Quatremère de Quincy qui s’apprête à publier ses Lettres écrites de Londres à Rome, Canova envoie cette grande parole: «L’Opere di Fidia sono una vera carne,» Il écrit à Charles Rossi: «Qui n’a pas vu les marbres d’Elgin n’a rien vu.»

De notre temps, Edwin Edwards, peintre anglais, s’est proposé d’écrire une histoire de l’art dans la Grande-Bretagne, et la biographie d’Old Crome, le peintre bien connu de Norwich.

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