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ОглавлениеEn France, un très grand nombre d’artistes ont écrit sur l’art.
Dès le XIIIe siècle, Villard de Honnecourt, ami de Pierre de Corbie, rédigeait sur les monuments de son époque des observations du plus haut intérêt. Le manuscrit de ce maître d’œuvre est désormais à la portée de tous, depuis que Lassus et M. Darcel l’ont publié.
Au XVIe siècle, un lecteur du cardinal d’Armagnac, Philandrier, architecte, a traduit Vitruve; mais, afin d’établir qu’il était plus qu’un théoricien, ce même artiste avait préalablement construit le chœur de la cathédrale de Rodez et formé dans l’art de bâtir Guillaume Lyssorgues, dit Le Sourd, architecte des châteaux de Bournazel et de Graves. Philandrier fut l’ami de Serlio.
On me reprocherait avec raison de transcrire les titres des ouvrages de Philibert de l’Orme, Androuet Ducerceau, Jean Bullant. Le curieux livre Nouvelles inventions pour bien bâtir et à petits frais assure à Philibert de l’Orme une place distinguée parmi nos prosateurs. Que ceux qui en douteraient encore lisent l’exposé de la découverte de son procédé de charpente, exposé qu’il osa faire à la table de Henri II.
Les Discours admirables de la nature ont rendu populaire, au moins autant que ses figulines, la personne de ce maître inventeur, Bernard Palissy.
Jean Cousin écrit vers le même temps la Vraye Science de la Pourtraicture. Le texte et les planches sont de sa main. Jean Goujon glisse un traité de quelques pages dans une traduction de Vitruve par Jean Martin. Le traducteur dédie son travail à Henri II, et signale en ces termes la collaboration de Jean Goujon: «Cette œuvre est enrichie de figures nouvelles concernant la maçonnerie, par maître Jean Gougeon, naguère architecte de Monseigneur le connétable, et maintenant l’un des vôtres.»
On parle trop rarement de l’écrit de Jean Goujon. Au mérite d’être court il joint encore celui de renfermer quelques vérités. N’est-ce pas Goujon qui, ayant rappelé le respect de Raphaël et de Michel-Ange pour la science, ajoute: «C’est à cause qu’ils se sont tant curieusement delectez à poursuivre ce noble subject que leur immortelle renommée est espandue parmi toute la circonférence de la terre.»
Plus loin, le maître français complète sa pensée: «Tous les hommes, dit-il, qui n’ont point estudié les sciences ne peuvent faire œuvre dont ils puissent acquérir guère grande louenge, si ce n’est par quelque ignorant ou personnage trop facile à contenter.»
Cette préoccupation de rendre savants les peintres, les statuaires, les architectes, n’était pas particulière à Jean Goujon. Notre lecteur connaît les préceptes du peintre Coypel, dont nous avons cité quelques extraits. Coypel, il est vrai, vint longtemps après Jean Goujon. Entre ces deux hommes, plusieurs générations d’artistes s’étaient succédé, mais sous la plume de tous ceux qui ont laissé quelque écrit, nous surprendrons le même conseil adressé à leurs émules et à leurs disciples: «Soyez savants!» N’oublions pas de dire que les artistes qui tenaient ce langage possédaient eux-mêmes un fonds de connaissances étendues. Or, puisque nous parlons de Jean Goujon, il ne parait pas que la science de cet artiste ait entravé le développement radieux de son génie. La grâce dont il revêt ses marbres, l’élégance des lignes, dans ses monuments d’architecture, empêchent de saisir l’effort, la contention de l’esprit. Mais, si la pratique est excellente en soi, s’il est bon que l’artiste s’instruise et fortifie son esprit en le faisant plus riche; si l’étude de l’histoire, de la poésie, des belles lettres aide singulièrement le peintre et le sculpteur, la tendance trop générale des artistes écrivains du XVIe au XVIIIe siècle à tout subordonner dans l’art à des lois précises, mathématiques, répand sur leurs livres une grande aridité.
En France, l’architecture a été un sujet de fréquents discours. Et certes, ceux qui ont parlé de cet art à la suite de Jean Goujon et de Philibert de l’Orme sont des maîtres de haute noblesse. Ils s’appellent Jacques de Brosse, Le Muet, Claude Perrault, Charles Errard, le Père Derrand.
Un peintre toulousain, Hilaire Pader, fait passer dans notre langue le Traité de peinture du Milanais Lomazzo. Pader écrit ensuite son poème la Peinture parlante. Le livre n’a plus de lecteurs, mais l’auteur a trouvé un biographe. M. de Chennevières a raconté la vie de ce rusé Gascon, qui sut pénétrer à l’Académie royale à force d’adroites flatteries.
Ceci se passait en 1659.
Retenons la date, car les Académiciens de l’époque sont au moins coupables de n’avoir pas examiné avec trop de soins les titres de leur futur confrère. «Je sais que bien que ma peinture parle, écrivait Pader à Messieurs de l’Académie, elle ne sçaurait être favorablement escoutée de personne si elle ne l’est premièrement de vous; l’estime de Monsieur Poussin lui a donné véritablement l’estre, mais la vostre, Messieurs, lui donnera le bien estre.»
Pour un peintre de province, Hilaire Pader ne manque pas de style; mais cette «estime de Monsieur Poussin» dont il se targue, est-il bien sûr de l’avoir obtenue? Nous connaissons la lettre de Poussin, datée de Rome 30 janvier 1654, par laquelle le maître remercie Pader de l’hommage qu’il lui a fait du début de la Peinture parlante, et Poussin qui est Normand, écrit au peintre gascon:
«Il ne faut pas que vous vous incommodiés pour m’envoyer les autres parties de votre Poésie: l’on juge bien du lyon par l’ongle!»
Que vous en semble? L’éloge n’est-il point nuancé d’ironie?
C’est l’époque où Charles Le Brun publie ses Conférences sur les caractères des passions; où Le Nôtre adresse à Colbert son Rapport sur les jardins; où Jean-Baptiste Corneille rédige ses Éléments de la Peinture pratique; Blondel, l’Art de jeter les bombes, et une Nouvelle manière de fortifier les places, deux ouvrages qui lui vaudront le grade de maréchal de camp.
Un peintre érudit, Dufresnoy, met en vers latins ses réflexions sur son art, et le De arte graphica, souvent traduit, sera un jour commenté par Reynolds.
On cite quelques lettres de Puget.
Jacques Restout, peintre et moine, lui aussi un client de M. de Chennevières, écrit sa Réforme de la peinture. Abraham Bosse, Pierre Mosnier, Roger de Piles, André Félibien se font lire, pendant que Nicolas Poussin résume la théorie de l’art en dix lignes, dans sa lettre fameuse à Fréart de Chambray.
Parlant de la peinture à propos du savant traité De Pictura Veterum:
«Il est nécessaire premièrement, écrit Poussin, de savoir ce que c’est que cette sorte d’imitation et la définir.
«Définition:
«C’est une imitation faite avec lignes et avec couleurs, en quelque superficie de tout ce qui se veoit dessous le soleil. Sa fin est la délectation.
«Principes que tout homme de raison peut apprendre:
«Il ne se donne point de visible sans lumière.
«Il ne se donne point de visible sans moyen transparent.
«Il ne se donne point de visible sans terme.
«Il ne se donne point de visible sans couleur.
«Il ne se donne point de visible sans distance.
«Il ne se donne point de visible sans instrument.
«Ce qui suit ne s’apprend point, ce sont parties du Peintre.»
Ainsi parle Poussin en l’une de ses lettres, et l’on sait que les lettres du maître sont nombreuses. Elles nous dédommagent du livre que Poussin voulait écrire vers la fin de sa vie, et qu’il n’a pas fait. Le peintre s’y révèle un prosateur hors de pair. Toutefois, l’édition de 1824, la seule qui soit presque complète, est fautive; le texte du maître français a été gravement altéré. «En somme, c’est un livre à refaire et des plus urgents. C’est un travail auquel je compte me livrer moi-même», écrivait en 1854 l’auteur des Recherches sur les peintres provinciaux.
Il ne saurait tarder à tenir parole.