Читать книгу Globalización y digitalización del mercado de trabajo: propuestas para un empleo sostenible y decente - Lourdes Mella Méndez - Страница 56
2. LE PRINCIPE DE PROXIMITÉ FAÇONNÉ AU PRINCIPE DE PROTECTION ADÉQUATE DU TRAVAILLEUR
ОглавлениеLe principe de proximité dans le conflit de lois veut que soit désignée la loi la plus proche de la situation. En tant qu’un principe consubstantiel au conflit de lois, le principe de proximité est consacré dans la convention de Rome37 ainsi que dans le règlement Rome I. Plus précisément, comme il est souligné par M. Bucher, “[c]es dispositions absorbent […], à travers le rattachement selon le ‘lien le plus étroit’, les règles d’ordre public répondant au même objectif de protection”38. Ceci laisse sous-entendre qu’il existe un lien entre le principe de protection et l’établissement des liens les plus étroits. En étudiant le principe de proximité tel que nous le connaissons de nos jours, il convient ainsi de considérer les observations précédentes sur le principe de protection adéquate du travailleur.
Au cours de l’histoire, le principe de proximité a connu des mutations. Il peut d’abord être décrit comme un principe du conflit de lois classique. En tant que tel, il s’inscrit dans une démarche conflictuelle dominée par des considérations de souveraineté39. La doctrine savignienne retient que “si un conflit de lois doit être résolu par attribution de la situation à une loi donnée, cette attribution doit se faire autant que possible à la loi avec laquelle la situation présente les liens les plus étroits”40. La référence au siège d’une situation traduit ici les liens les plus étroits. En conséquence, le principe de proximité caractérise la règle de conflit de lois localisatrice qui a pour objet de déterminer le droit applicable, en se fondant uniquement “sur des signes extérieurs aux rapports juridiques, tenant aux liens géographiques ou à la ‘localisation’ de la situation dans un ordre juridique étatique”41. Suivant cette doctrine, “la règle de rattachement, bilatérale le plus souvent, est dépouillée de toute référence au contenu et à la nature du rapport juridique”42.
En pratique, cela signifie qu’une règle de conflit de lois fondée sur le principe de proximité se caractérise par un lien de rattachement souvent unique. En d’autres termes, il n’y a pas de raison pour que celui-ci intervienne à titre d’exception. M. Lagarde résume à propos des règles de conflit de lois classiques que “[d]ans les droits qui, comme le droit anglais et le droit français, rattachent directement le contrat à la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits, sans privilégier a priori aucun indice de rattachement, la clause d’exception n’a pas sa place, car il n’y a pas lieu de corriger par le principe de proximité une règle de conflit qui se confond précisément avec ce principe”43.
Avec l’émergence de la matérialisation du conflit de lois, le principe de proximité semble abandonné. Rappelons que celle-ci conduit à ce que la règle de conflit de lois opère pour rechercher la loi la plus appropriée, en termes matériels. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y ait plus de localisation, mais cette localisation s’exerce simplement d’une manière fonctionnelle, nous rappelle M. Audit44. En effet, lors de la détermination de l’élément de rattachement dans les règles de conflit de lois matérielles, le critère territorial cède la place au critère matériel. Le principe de proximité n’est plus ainsi pratiqué en tant qu’un principe régissant le conflit de lois.
Contrairement à notre soupçon initial, le principe de proximité peut toujours valoir en tant qu’une méthode de règlement du conflit de lois45. Autrement dit, il est sous-jacent à la méthode d’intervention de la règle de conflit de lois, que nous désignons parfois sous l’appellation des “liens les plus étroits”46. C’est ainsi que M. Lagarde est finalement conduit à nuancer l’effet de la matérialisation sur le conflit de lois: “[c]es règles de conflit à finalité matérielle constituent donc un pis-aller. Cependant, leur nature composite, faite d’un élément conflictuel et d’un élément matériel, peut laisser place, pour le premier, à l’intervention du principe de proximité”47. En d’autres termes, “[l]’un des facteurs de rattachement retenus par la règle de conflit à finalité matérielle peut être déterminé ou corrigé par le principe de proximité”48.
Désormais appuyé sur ce raisonnement, le principe de proximité connaît une résurgence dans la seconde moitié du XXe siècle. Cette résurgence est celle en tant qu’un principe de règlement du conflit de lois. La loi des liens les plus étroits entre ainsi en jeu, par le biais des rattachements multiples, au détriment de la prévisibilité et de la certitude49. Autrement dit, il s’agit de faire valoir la loi la plus proche, dans une règle de conflit de lois matérielle. Le principe de proximité que nous visons est celui resurgissant concomitamment à la matérialisation, qui intervient pour affiner l’adéquation de la désignation d’une loi50. Il s’agit ainsi d’un principe qui commande son articulation avec les autres principes régissant le règlement du conflit de lois. L’exemple illustratif de ce principe est la clause d’exception qui figure dans les règles de conflit de lois européennes, depuis la convention de Rome. Celle-ci est consacrée, d’une manière générale, par l’article 4, § 1. Selon cet article, la proximité intervient “lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays”. Or, il peut être redouté, a propos de cette règle de conflit de lois générale, que “chaque question (issue) [doive être] rattachée à la loi de l’Etat avec lequel elle présente les liens les plus étroits, sans considération de la situation dans son ensemble”51.
En ce qui concerne le principe de proximité dans la règle de conflit de lois générale, plus spécifiquement, il convient désormais de s’intéresser à la règle de conflit de lois relative au contrat de travail. Ici, l’articulation du principe de proximité avec le principe matériel de protection du travailleur peut conduire à une transformation de ce principe. En présence d’un contrat de travail, le principe de proximité doit s’articuler avec celui visant à la protection du travailleur. Les règlements de droit international privé se référant au principe de protection adéquate du travailleur, ils laissent sous-entendre que ce dernier intervient nécessairement en conjonction avec les autres principes régissant le conflit de lois, dont le principe de proximité. Les interactions entre les principes du conflit de lois ne sauraient être ignorées: “[l]’association du principe de proximité à des préoccupations substantielles ou à des intérêts étatiques, d’une part, et celle de la prévisibilité à l’uniformité, d’autre part, permettront d’illustrer ce propos”52. Plus précisément, “[l]a recherche de la proximité juridictionnelle ou législative par une règle de conflit est souvent associée à une cause de justice matérielle, considérations dont la Cour s’empare, en certaines occasions, lorsqu’elle exerce sa fonction interprétative du facteur de rattachement”53. Nous résumons qu’en raison de l’influence du principe de protection du travailleur, le principe de proximité semble être modifié.
De telles interactions peuvent être observées à partir de la jurisprudence. D’abord, dans le contexte du conflit de juridictions, la Cour de justice explique qu’il s’agit “tant de déterminer le lieu avec lequel le litige présente le lien de rattachement le plus significatif aux fins de désigner le juge le mieux placé pour statuer que d’assurer une protection adéquate au travailleur en tant que partie contractante la plus faible et d’éviter la multiplication des tribunaux compétents, [pour] être interprété comme visant le lieu où, ou à partir duquel, le travailleur s’acquitte en fait de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur”54. Elle admet ainsi que le principe de protection du travailleur ne saurait être ignoré au bénéfice d’un autre. Dans ses conclusions pour la même affaire, l’avocat général souligne que l’on doit, en premier lieu, tenir compte du principe de protection du travailleur: “[a]vant de procéder à la description de ces éléments de réponse, je rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation des dispositions relatives aux contrats de travail, tant dans le cadre du règlement nº 44/2001 que dans celui des deux conventions précitées, doit tenir compte du souci d’assurer une protection adéquate à la partie contractante qui est la plus faible du point de vue social, en l’occurrence le travailleur”55. Nous en déduisons que la Cour de justice reconnaît l’importance de la prise en compte de chaque principe régissant le conflit de juridictions, dont celui d’assurer une protection adéquate du travailleur qui peut avoir une influence sur l’intervention des autres principes régissant le conflit de juridictions. En raison du principe de cohérence, nous nous référions aux principes en matière de conflit de juridictions pour conclure sur le conflit de lois. En effet, les règles de conflit de juridictions visent à faire coïncider le pays dont les juridictions connaissent de l’affaire avec celui dont la loi est applicable56.
“En matière de loi applicable au contrat de travail, les juges européens associent également proximité et protection du travailleur, cette dernière étant érigée en objectif de la règle de conflit de lois”57, a-t-il été affirmé. Il est ainsi évi-dent que les principes sous-jacents à la règle de conflit de lois doivent s’articuler avec le principe de protection adéquate du travailleur. Dans l’affaire Schlecker, il s’agit d’interpréter le lien de rattachement de la loi des liens plus étroits avec un autre pays, en l’articulant avec les autres liens de rattachement. L’ordre des liens de rattachement de l’article 6, § 2 de la convention de Rome, bien défini depuis les arrêts Koelzsch et Navimer, y est expressément fondé sur le principe de protection adéquate du travailleur58. L’apport de l’affaire Schlecker consiste à situer le rattachement à la loi des liens plus étroits par rapport à ceux du lieu d’exécution habituel du travail et du lieu d’embauche. Il en ressort que l’affaire implique l’articulation du principe de protection du travailleur avec celui de proximité. Plus précisément, la Cour de justice retient: “[d] ans la mesure où l’objectif de l’article 6 de la convention de Rome est d’assurer une protection adéquate au travailleur, cette disposition doit garantir qu’est appliquée, au contrat de travail, la loi du pays avec lequel ce contrat établit les liens de rattachement les plus étroits”59. Nous y découvrons l’influence d’autres principes du conflit de lois: “si l’interprétation de la clause d’exception repose a priori sur la seule proximité, la protection substantielle du salarié n’est pas totalement absente: elle est assurée par le lien étroit entre la loi applicable et le contrat de travail”60. Non seulement la Cour de justice rappelle que la clause d’exception est gouvernée par le principe de protection, mais elle admet ici une influence de ce dernier principe sur la conception du principe de proximité. Il semble en émerger un principe de proximité façonné à la spécificité du contrat de travail. Comme nous l’avons précédemment supposé, il se confirme que ces considérations de proximité dépassent le cadre de la clause d’exception ellemême.
Ce faisant, la Cour de justice vise spécifiquement l’objectif de protection du travailleur. Elle estime que la loi du lieu d’exécution habituel est la plus proche et, partant, la plus familière pour le travailleur, à l’application de laquelle il pouvait légitimement s’attendre dans une logique de sécurité juridique en tant qu’objectif du conflit de lois. L’on peut en dégager une volonté de la Cour de justice à identifier, en matière de conflit de lois, le pays auquel le travailleur est lié. Comme le souligne M. Grusic, la protection du travailleur en droit international privé passe essentiellement par la recherche du système de droit du travail du pays auquel le travailleur appartient (“belongs”), du marché du travail auquel le travailleur participe61. L’interprétation que la Cour de justice donne, dans l’affaire Koelzsch, peut être évoquée en faveur de cette analyse: il s’agit de désigner la loi du pays dans lequel le travailleur exerce ses activités professionnelles parce qu’il y exerce sa fonction économique et sociale, compte tenu de ce que l’environnement professionnel et politique influence l’activité de travail62. En effet, les éléments utilisés pour apprécier les liens les plus forts sont ici utilisés pour apprécier le lien d’intégration du travailleur concernant le lieu d’exécution habituel du travail. Il semble ainsi pertinent de rechercher le pays auquel le salarié est rattaché par ses conditions de travail, son salaire ainsi que des charges sociales et fiscales.
Nous en concluons que l’émergence de la fonction régulatrice de la règle de conflit de lois créait une place pour le principe de proximité. La règle de conflit de lois régulatrice permet d’envisager le principe de proximité sous un autre regard. C’est particulièrement son articulation avec le principe de protection adéquate du travailleur qui a été peu étudiée. Dans l’application de la règle de conflit de lois spécifique au contrat de travail, nous rencontrons des allusions à la loi la plus proche du contrat. Cette référence nous incite à étudier l’expression du principe de proximité à travers le principe de protection adéquate du travailleur. Faisant écho au lien d’intégration qui caractérise l’application des libertés de circulation, nous proposons d’établir le lien du travailleur au marché du travail, sous forme d’un lien d’intégration en matière conflictuelle. En résumé, plusieurs principes s’articulent dans la règle de conflit de lois protectrice en vue de déterminer la loi du lieu d’intégration sociale et économique du travailleur.