Читать книгу Globalización y digitalización del mercado de trabajo: propuestas para un empleo sostenible y decente - Lourdes Mella Méndez - Страница 59
2. QUELLE PLACE DU LIEU D’EXÉCUTION HABITUEL PARMI LES AUTRES LIENS DE RATTACHEMENT? L’EXEMPLE DES CHAUFFEURS ROUTIERS
ОглавлениеComme nous l’avons vu précédemment, l’une des difficultés relatives au lien de rattachement du lieu d’exécution habituel du travail concerne son application aux relations de travail qui sont exercées dans plusieurs pays. Partant de l’exemple du chauffeur routier Koelzsch, nous avons expliqué qu’il s’agissait de recourir à une interprétation large de ce lien de rattachement. Dans l’affaire en question, ce dernier a été opposé à celui du lieu d’embauche. Au terme d’une confrontation, la Cour de justice retient que l’on doit faire primer le premier sur le second. Seulement si l’on était dans l’impossibilité de localiser la relation de travail dans un Etat membre99, l’on pourrait utiliser le lieu d’embauche comme lien de rattachement. Cette interprétation, rappelons-le, est l’expression de l’intervention du principe de proximité100 qui est, selon notre interprétation, façonné par le principe de protection du travailleur. La place accordée au lien de rattachement du lieu d’embauche semble non seulement subsidiaire mais aussi très restrictive.
Gamillscheg l’a résumé de la manière suivante: il s’agit de prévoir des liens de rattachement “alternatifs”, pour le cas où il n’y aurait pas de lieu de travail permanent101. L’appellation de rattachements dits alternatifs ne vaut réellement qu’à l’égard du lieu d’embauche. La convention de Rome dispose que “si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays”, il convient de lui appliquer la loi du pays où se trouve l’établissement qui l’a embauché102. Un peu plus schématique103, la formulation du règlement Rome I met en avant le caractère secondaire de ce lien de rattachement: “[s]i la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur”. Cette réduction du rôle du critère semble répondre “au risque de délocalisations frauduleuses lié”104 à l’incertitude sur sa détermination105. La même considération a d’ores et déjà motivé des propositions allant jusqu’à vouloir supprimer ce lien de rattachement “inutile”106.
Son caractère secondaire transparaît également dans sa définition. Dans l’affaire Navimer107, la Cour de justice est interrogée sur la question de savoir si l’établissement d’embauche s’entend de l’établissement qui conclut le contrat de travail ou de l’établissement de l’entreprise à laquelle le travailleur est lié dans son occupation effective et, dans cette hypothèse, si ce lien peut ressortir de la circonstance que le travailleur doit se présenter régulièrement et doit recevoir des instructions auprès de cette dernière entreprise. Aux fins de déterminer le lieu de l’établissement d’embauche, il s’agit de tenir compte uniquement d’éléments “relatifs à la procédure de conclusion du contrat, tels que l’établissement qui a publié l’avis de recrutement et celui qui a mené l’entretien d’embauche et elle doit s’attacher à déterminer la localisation réelle de cet établissement”108.
Dans ce contexte, il convient de rappeler notre point de départ: c’est le lien de rattachement du lieu d’exécution habituel du travail qui est promu. L’utilisation de ce critère en lui-même reflète la volonté d’égaliser le travailleur mobile avec les travailleurs locaux, laquelle était sous-jacente, dès l’origine, au droit du travail international: ”il serait socialement anormal que par application d’une loi étrangère le salarié ‘international’ ait un autre statut que le travailleur local, injuste qu’il ait des droits moindres; les disparités de statut entre travailleurs appelés à se côtoyer sont toujours un ferment de trouble social”109. Incorporant la logique d’intégration du travailleur dans le marché du travail, le rattachement au lieu d’exécution habituel du travail peut toutefois être complété par celui des liens les plus étroits. Nous suggérons l’utilisation d’une règle de conflit de lois qui mette l’accent sur la loi du lieu auquel le travailleur est lié par son intégration au marché du travail laquelle s’exprime notamment par l’intégration organisationnelle et sociale.
Traduisant ces considérations, la Cour de justice développe une interprétation qui permet l’utilisation du premier lien de rattachement pour les travailleurs des transports. Ainsi, le lieu d’exécution habituel du travail est défini comme désignant la loi du pays dans lequel ou à partir duquel, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur110. Or, ce lien de rattachement permettrait-il de fournir des solutions adaptées pour les travailleurs des transports routiers qui traversent divers pays de l’Union européenne? Il apparaît très rapidement que le cas Koelzsch était un cas précurseur, mais simple, en comparaison avec les relations de travail complexes que nous rencontrons de nos jours. Pour rappel, le chauffeur de poids lourds, domicilié en Allemagne, a été embauché par une société luxembourgeoise, filiale d’une société danoise, spécialisée dans le transport de fleurs à destination de l’Allemagne mais aussi d’autres pays européens. Alors que les camions étaient stationnés en Allemagne, la société n’y disposait ni d’un siège social ni de bureaux. Les camions étaient immatriculés au Luxembourg et les chauffeurs affiliés à la sécurité sociale luxembourgeoise.
Dans l’ombre, il existe des cas complexes de cabotage. Ils sont régis par un règlement spécifique111. Ces cas sont traditionnellement exclusifs de l’application de la directive dite détachement. Notons que le cabotage est limité à trois opérations de chargement et de déchargement de camion dans les sept jours au maximum, à la suite du chargement initial qui fait commencer l’opération internationale. Les opérations de cabotage sont dans les Etats membres, dès lors que le véhicule est déchargé avant de traverser la frontière. Or quel est le lieu d’exécution habituel du travail dans ce cas d’hypothèse? Les arrêts Koelzsch et Navimer concernaient l’articulation des différents liens de rattachement, dans des hypothèses où il était difficile de déterminer le lieu d’exécution habituel. Dans la pratique, les constructions de la relation de travail sont tellement complexifiées qu’il n’est pas a priori possible de déterminer ce dernier lien de rattachement. Cela ne favorise-t-il à embaucher des travailleurs des pays où le salaire minimum est plus faible? Finalement le lien de rattachement correspondrait au lieu où le travailleur a conclu son contrat de travail. La prestation de travail, elle, est réellement exécutée dans d’autres pays où le chauffeur doit passer une durée considérable.
Face à ces difficultés de détermination d’un lien de rattachement pour les chauffeurs routiers, l’Union européenne a choisi de réglementer spécifiquement le cas des chauffeurs routiers. La nouveauté issue d’une directive adoptée en 2020 consiste à dire que le cabotage relève désormais de la directive dite détachement112. La question du “rattachement” se posera à nouveau113: comment établit-on lequel est le pays dit d’accueil dont il convient d’imposer le “noyau dur” de la réglementation du travail au sens de la directive dite détachement?114 Pour chasser le doute, la nouvelle directive prévoit l’harmonisation de certaines dispositions concernant le contrôle du respect effectif des conditions de travail de ces travailleurs routiers115. Néanmoins, il reste à signaler que les chauffeurs routiers qui effectuent des transports bilatéraux de marchandises ou de voyageurs restent exclus du champ d’application du texte116.