Читать книгу Globalización y digitalización del mercado de trabajo: propuestas para un empleo sostenible y decente - Lourdes Mella Méndez - Страница 60

3. LA VÉRIFICATION EFFECTIVE DES CRITÈRES DU LIEU D’EXÉCUTION HABITUEL: L’EXEMPLE DU DÉTACHEMENT

Оглавление

La détermination du lien de rattachement au moyen de la règle de conflit de lois spécifique au contrat de travail dépend d’une appréciation factuelle permettant de localiser le travailleur. Celle-ci est une autre difficulté en présence de relations de travail complexes telles que celles du détachement. La spécificité du détachement consiste à envoyer le travailleur temporairement chez un autre employeur, alors qu’il reste engagé chez son employeur d’origine.

Les auteurs de la convention de Rome ont anticipé la difficulté de caractériser le lien de rattachement et prévu une mention particulière du détachement au sein des règles de conflit de lois spécifiques au contrat individuel de travail. Ainsi, l’article 6, § 2, a) dispose que la loi objectivement applicable est celle “du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays”. La terminologie était pourtant imprécise et ne renvoyait à aucun cas de détachement particulier. Il n’en demeure pas moins que cette disposition contenait une présomption du lieu d’exécution habituel du travail pour le travailleur détaché au pays d’origine. Sa portée a été résumée de la manière suivante: “la loi du pays d’origine continue à régir le contrat”117. L’article 8, § 2 du règlement Rome I reprend cette énonciation, sans référence expresse au travailleur détaché: “[l]e pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays”.

L’utilisation de cette présomption est largement admise en ce qu’elle repose sur le constat d’une activité dans un pays seulement. En effet, le règlement précise, au considérant nº 36, que l’accomplissement du travail est temporaire “lorsque le travailleur est censé reprendre son travail dans le pays d’origine après l’accomplissement de ses tâches à l’étranger. La conclusion d’un nouveau contrat de travail avec l’employeur d’origine ou avec un employeur appartenant au même groupe de sociétés que l’employeur d’origine ne devrait pas empêcher de considérer que le travailleur accomplit son travail dans un autre pays de façon temporaire”. Interprété ainsi, le travail exercé à titre temporaire inclut également le détachement de travailleurs, mais peut potentiellement englober d’autres catégories de travailleurs mobiles. Pour parvenir à cette conclusion, nous évoquons enfin la directive dite détachement. En lisant le règlement Rome I dans le sillage de celle-ci, il va de soi que la mention de l’exécution temporaire doit englober le détachement. Nous constatons ainsi que la présomption du lieu d’exécution habituel du travail pour le travailleur détaché est maintenue par le règlement Rome I, dont les règles de conflits de lois sont appuyées par la directive dite détachement.

Contrairement à la mention plus large du règlement Rome I, la directive dite détachement part de l’hypothèse que le lieu d’exécution habituel du travail se situe au pays d’origine pour les cas visés par son champ d’application. C’est ce qui ressort de l’article 2, § 1 de la directive: “on entend par travailleur détaché, tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement”. A lire la définition autonome du “détaché”, il apparaît que l’examen de la loi applicable est un préalable à la qualification du travailleur détaché. Cette logique perturbe le mécanisme conflictuel. Afin de déterminer la loi applicable au contrat de travail, il s’agirait en premier lieu de qualifier le contrat de travail. Or, l’article 2, § 1 de la directive dite détachement pose une définition autonome du détachement, mais aucune définition du travailleur. Alors que sa qualification pourrait dépendre du règlement Rome I, l’article 2, § 2 de la directive dite détachement dispose que “la notion de travailleur est celle qui est d’application dans le droit de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché”. L’on peut apercevoir une volonté de rendre cette qualification indépendante de celle du règlement Rome I.

A côté des difficultés de qualification, c’est l’absence de définition du lien de rattachement du lieu d’exécution habituel du travail qui pose des difficultés pour le cas des travailleurs détachés. La définition du détachement à partir de la localisation de l’employeur a des répercussions sur le droit international privé. L’on observe une émancipation du lien de rattachement de la directive par rapport à celui de la règle de conflit de lois spécifique au contrat de travail. Cette orientation est confirmée par le considérant nº 11 de la directive dite d’exécution118: “[l]orsqu’il n’y a pas véritable détachement et que se produit un conflit de lois, il y a lieu de tenir dûment compte des dispositions du règlement [dit Rome I] qui visent à garantir que les travailleurs ne soient pas privés de la protection que leur assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord ou auxquelles il ne peut être dérogé qu’à leur bénéfice”. De cette manière, le règlement Rome I n’intervient qu’en dernier recours. Le rattachement du travailleur n’est pas censé changer en présence d’un détachement. Cette impression est encore renforcée par l’impossibilité de remettre en cause les certificats E101/A1 par l’Etat d’origine attestant du rattachement du travailleur détaché au régime de sécurité sociale de ce dernier119. Il résulte de toutes ces observations que le lien de rattachement du lieu d’exécution habituel du travail, tel qu’il est entendu par la directive, ne correspond plus au lien d’intégration du travailleur. Ainsi, il convient de se demander si la catégorie de travailleur détaché, utilisée par la directive, est suffisamment précise pour permettre un traitement spécifique du travailleur détaché par le conflit de lois.

Les défauts du texte originaire ayant été longtemps reconnus, l’on insiste aussi à cet endroit sur la persistance des imprécisions, notamment relatives au lieu d’exécution habituel du travail, dans la directive dite d’exécution. L’article 4, § 3 du même texte, qui vise à éviter les contournements, précise uniquement le lien d’intégration du travailleur à l’égard de son pays d’accueil. Plus largement, l’article 4 “comprend [des] listes non exhaustives d’éléments que les Etats membres peuvent employer en particulier lors de l’évaluation globale”120. Ce faisant, il laisse une marge aux Etats membres, dans la transposition des éléments permettant de caractériser le détachement. Parmi les transpositions, l’on découvre certains textes nationaux qui caractérisent le lieu d’exécution habituel du travail. Ce sont essentiellement ceux des pays d’envoi121. A l’avenir, ces exemples pourraient éventuellement inspirer une solution législative en matière de détachement de travailleurs qui intégrerait le principe de protection du travailleur.

La détermination d’un lien de rattachement protecteur, qui serait aussi conforme au principe de proximité, impose la vérification des critères objectifs du lieu d’exécution habituel du travail pour les travailleurs détachés. Tel constat peut être appuyé sur la logique sous-jacente à la règle de conflit de lois qui est celle de conduire à un lieu d’intégration économique et sociale du travailleur. Cette affirmation peut être renforcée par les travaux de recherche qui soulignent que les travailleurs sont intégrés à différents degrés dans le marché du travail local, selon leur durée de présence notamment122. L’exemple du morcellement de certaines activités de travail semble commander de revoir le rattachement: “le contrat d’un conducteur de poids lourd ne sera que peu ou pas réglementé par l’Etat qu’il ne fait que traverser pour se rendre sur le lieu de livraison des biens depuis son Etat d’origine. Certaines relations de travail seront si morcelées qu’elles semblent n’être reliées à aucun Etat en particulier, comme par exemple, l’emploi par des agences de recrutement de marins provenant de pays à bas coût salarial pour travailler sur des bateaux battant pavillon de complaisance”123. Mme van Hoek peut ainsi imaginer qu’un travailleur reste lié à son Etat d’origine en matière de sécurité sociale et de fiscalité, alors que la loi applicable à son contrat de travail est celle d’un autre pays124. Elle distingue: “[l]a coordination des systèmes légaux relève des dispositions du droit international privé, du droit fiscal international et du droit international de la sécurité sociale125. C’est à cet endroit que l’on doit aussi féliciter la récente évolution de la jurisprudence de la Cour de justice qui estime que le certificat A1 ne lie, selon notre interprétation, plus le juge pour la loi applicable à la relation de travail et que celui-ci peut donc décider qu’un travailleur détaché au sens du droit de la sécurité sociale, a, par hypothèse, son lieu d’exécution habituel dans le pays d’accueil126.

Cette jurisprudence ouvre les portes à la remise en cause d’une présomption selon laquelle le lieu d’exécution habituel du travail se situerait nécessairement dans le pays d’origine. A cet endroit, il convient de se rappeler le principe de proximité qui, à côté du principe de protection du travailleur, régit la règle de conflit de lois et exige que l’on détermine le lien d’intégration du travailleur détaché dans un marché du travail. Cet élément peut être exploité pour certains cas de détachement où il est évident que les travailleurs sont effectivement intégrés dans le marché du travail de l’Etat d’accueil. De surcroît, les liens qui existent à l’égard de l’entreprise d’accueil semblent renforcer cette impression. Dans une affaire Vicoplus, la Cour de justice analyse les liens du travailleur détaché à l’égard de l’entreprise utilisatrice, dans le cadre du travail intérimaire. Elle y reconnaît qu’“un travailleur détaché au sens de l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71 travaille sous le contrôle et la direction de l’entreprise utilisatrice. Ceci est le corollaire du fait qu’un tel travailleur n’effectue pas son travail dans le cadre d’une prestation de services accomplie par son employeur dans l’État membre d’accueil”127. Ses observations doivent nécessairement contribuer à l’infléchissement de la distinction entre le travailleur et son homologue détaché: la directive modificatrice de la directive détachement a-t-elle instauré un principe d’égalité de traitement avec les travailleurs nationaux, à partir d’une durée de douze mois128. Afin de pouvoir maintenir la figure du travailleur détaché, il s’agit de vérifier minutieusement son lieu d’exécution habituel du travail.

Globalización y digitalización del mercado de trabajo: propuestas para un empleo sostenible y decente

Подняться наверх