Читать книгу Globalización y digitalización del mercado de trabajo: propuestas para un empleo sostenible y decente - Lourdes Mella Méndez - Страница 58
1. QUELLE INTERPRÉTATION DU LIEN DE RATTACHEMENT POUR LE TRAVAILLEUR MOBILE? L’EXEMPLE DES PERSONNELS NAVIGANTS
ОглавлениеLa “différenciation progressive”68 des règles de droit international privé en matière de contrat de travail par rapport à celles de droit commun conduit à l’adoption d’une règle à rattachements multiples dont celui du lieu d’exécution habituel du travail nous semble le plus adapté. Au sens des articles 6, § 2, de la convention de Rome et 8, § 2, du règlement Rome I, le lieu d’exécution habituel du travail constitue le critère de rattachement prédominant en vue de la détermination de la loi applicable au contrat individuel de travail. Néanmoins, le premier lien de rattachement de la loi du lieu d’exécution habituel du travail conduit aussi à la difficulté de déterminer la loi applicable aux relations de travail exécutées dans plusieurs pays.
La convention de Rome dispose que ”le contrat de travail est régi a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail”69. Compte tenu de l’entrée en vigueur tardive du protocole habilitant la Cour de justice à interpréter la convention de Rome70, la définition autonome de ce critère émane principalement de la jurisprudence relative au conflit de juridictions: il peut être défini comme le lieu à partir duquel le travailleur s’acquitte principalement de ses obligations envers son employeur71, le lieu dans lequel il a établi le centre effectif de ses activités professionnelles72 ou, en l’absence de bureau, le lieu où il accomplit la majeure partie de son travail73. Notons enfin que, depuis l’arrêt Mulox, il est acquis que la notion-même de lieu d’exécution habituel du travail doit être interprétée en considérant l’objectif de protection de la partie faible74.
L’interprétation autonome du lien de rattachement est transcrite dans le contexte de la convention de Rome, par l’affaire Koelzsch75. S’agissant d’un chauffeur international de poids lourds, domicilié à Osnabrück (Allemagne) et embauché par la société luxembourgeoise Gasa, il s’agit de savoir où se situe son lieu d’accomplissement habituel du travail. La Cour se décide pour l’interprétation large de ce lien de rattachement, en s’appuyant sur l’objectif de protection du travailleur76. En conséquence, le lieu d’exécution habituel du travail s’entend du “lieu dans lequel ou à partir duquel le travailleur exerce effectivement ses activités professionnelles et, en l’absence de centre d’affaires, [du] lieu où celui-ci accomplit la majeure partie de ses activités”77. Cette interprétation vaut dans l’hypothèse “où le travailleur exerce ses activités dans plus d’un État contractant, lorsqu’il est possible, pour la juridiction saisie, de déterminer l’État avec lequel le travail présente un rattachement significatif”78. La solution ne saurait guère surprendre, dans la mesure où l’élargissement du critère de rattachement au “pays […] à partir duquel le travailleur […] accomplit habituellement son travail” était déjà inscrit au règlement Rome I, encore inapplicable au moment des faits79. Ceci lui a valu l’appellation de “critère dédoublé”80.
L’ajout, par le règlement Rome I, de la possibilité de désigner le rattachement à la loi du lieu “à partir duquel” le travailleur exerce son activité, constitue la réponse au souci grandissant de trouver un lien de rattachement adapté aux travailleurs sans lieu de travail fixe81. Mme Boskovic souligne que cette évolution “permettra par exemple de régler le sort des personnels navigants rattachés à une base fixe [et] réduira encore davantage le domaine de la règle résiduelle donnant compétence à la loi du lieu d’établissement d’embauche”82. Le rattachement des personnels navigants a, depuis toujours, provoqué des débats. Relevant la spécificité des modalités d’exercice de l’activité des personnels navigants, M. Mankowski discute les différents liens de rattachement pour ceux-ci. Plus spécifiquement, il considère que la solution relative aux personnels navigants constitue une sous-forme du lien de rattachement au lieu d’embauche. Différents liens de rattachement spécifiques pour les personnels navigants sont proposés: à côté du lieu d’enregistrement de l’engin83 est encore envisagée la base de stationnement84 ou le lieu d’embauche directement85. Dans la continuité de nos développements, la solution à retenir serait celle qui consacrerait l’intégration du travailleur, dans l’esprit du lien de proximité de la règle de conflit avec le contrat de travail.
Ainsi, ce n’est pas nécessairement la base d’affectation des travailleurs qui constitue le critère déterminant, mais il convient de détecter les liens du travailleur avec un pays. Les indices d’interprétation de l’arrêt Koelzsch, à destination des juridictions nationales, laissent entendre qu’il convient de désigner ”le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail”86. La récente affaire Ryanair87 l’affirme, en confirmant l’emploi de ce critère de rattachement pour le personnel navigant. Aux fins de déterminer leur lieu d’exécution habituel du travail, il s’agit de tenir compte “du lieu où sont stationnés les aéronefs à bord desquels le travail est habituellement accompli”88. Ici, la Cour de justice nie expressément que ce rattachement corresponde à la base d’affectation. Alors que l’on souhaite parfois une interprétation homogène entre différents blocs du droit européen, la Cour de justice reconnaît la base d’affectation simplement comme un indice significatif89.
Par la suite, la Cour de cassation française applique cette solution. Elle retient “que le contrat de travail du salarié lui imposait de choisir un aéroport en tant que ‘base d’affectation’ à partir duquel il commençait ou terminait ses prestations de travail et à partir duquel il rejoignait le cas échéant les aéronefs gérés par l’employeur, que cette base d’affectation était [le lieu] où le salarié recevait ses instructions, que, selon les plannings communiqués par l’employeur, 21,30 % des vols étaient effectués à partir ou à destination de la France, peu important que les formations n’aient pas lieu en France et que les plannings de vols soient établis par la société à Lisbonne”90. Plus précisément, elle emploie la base d’affectation comme un indice parmi d’autres, en application du règlement Bruxelles I. Dans le contexte du conflit de lois, nous notons que la Cour de cassation a d’ores et déjà décidé qu’il s’agissait de prendre en compte, à côté de stipulations contractuelles, d’autres éléments dont il résultait que le lieu d’exécution habituel du travail était à un autre endroit91. Parmi ces caractéristiques objectives, elle estimait que les juges du fond devaient rechercher le lieu où le salarié accomplissait la majeure partie de son temps de travail92, en établissant une proportion par rapport à la période d’activité93.
Une telle interprétation contribue à rétablir la proximité par rapport au travailleur au sens où l’on l’interprète en raison de l’influence du principe de protection du travailleur. Dès l’origine, il est observé que ce n’est pas l’exécution réelle d’une tâche dans un lieu donné qui compte mais son caractère permanent ou récurrent. Gamillscheg, qui mène des travaux de droit comparé au moment de l’adoption des règles de conflit de lois européennes, souligne les similitudes en la matière entre les règles de conflit de lois de différents pays94. Selon le § 44 de la loi autrichienne sur le droit international privé, il s’agirait de se référer aux intentions des parties95. Le cas anglais Portec aurait également été l’occasion de vérifier si le travailleur était occupé de façon ordinaire en Angleterre96. Selon l’interprétation faite par Gamillscheg, il serait souhaitable de procéder en vérifiant le projet des parties plutôt que le temps réellement occupé97. Or, cette lecture du rattachement du travailleur semble s’opposer à celle opérée par la Cour de justice. La juridiction européenne estime qu’il s’agit d’identifier le lieu de “sa fonction économique et sociale et […] l’environnement professionnel et politique [qui] influence l’activité de travail”98. En effet, la vérification de l’intention ou de la volonté des parties revient à relever ce qui est imposé par l’employeur. C’est ainsi que l’on préfère une appréciation objective. Nous interprétons le lieu d’exécution habituel comme consacrant une certaine intégration du travailleur.