Читать книгу Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique) - Molière - Страница 101
ACTE I Scène I, 1
ОглавлениеÉraste
Veux-tu que je te die? Une atteinte secrette
Ne laisse point mon âme en une bonne assiette:
Oui, quoi qu’à mon amour tu puisses repartir,
Il craint d’être la dupe, à ne te point mentir;
Qu’en faveur d’un rival ta foi ne se corrompe,
Ou du moins qu’avec moi toi-même on ne te trompe.
Gros-René
Pour moi, me soupçonner de quelque mauvais tour,
Je dirai, n’en déplaise à monsieur votre amour,
Que c’est injustement blesser ma prud’homie Et se connoître mal en physionomie.
Les gens de mon minois ne sont point accusés
D’être, grâces à Dieu, ni fourbes, ni rusés.
Cet honneur qu’on nous fait, je ne le démens guères,
Et suis homme fort rond de toutes les manières.
Pour que l’on me trompât, cela se pourroit bien:
Le doute est mieux fondé; pourtant je n’en crois rien.
Je ne vois point encore, ou je suis une bête,
Sur quoi vous avez pu prendre martel en tête.
Lucile, à mon avis, vous montre assez d’amour:
Elle vous voit, vous parle à toute heure du jour;
Et Valère, après tout, qui cause votre crainte,
Semble n’être à présent souffert que par contrainte.
Éraste
Souvent d’un faux espoir un amant est nourri:
Le mieux reçu toujours n’est pas le plus chéri;
Et tout ce que d’ardeur font paroître les femmes
Parfois n’est qu’un beau voile à couvrir d’autres flammes.
Valère enfin, pour être un amant rebuté,
Montre depuis un temps trop de tranquillité;
Et ce qu’à ces faveurs, dont tu crois l’apparence,
Il témoigne de joie ou bien d’indifférence
M’empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas,
Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas,
Tient mon bonheur en doute, et me rend difficile
Une entière croyance aux propos de Lucile.
Je voudrois, pour trouver un tel destin plus doux,
Y voir entrer un peu de son transport jaloux;
Et sur ses déplaisirs et son impatience
Mon âme prendroit lors une pleine assurance.
Toi-même penses-tu qu’on puisse, comme il fait,
Voir chérir un rival d’un esprit satisfait?
Et si tu n’en crois rien, dis-moi, je t’en conjure,
Si j’ai lieu de rêver dessus cette aventure.
Gros-René
Peut-être que son coeur a changé de désirs,
Connoissant qu’il poussoit d’inutiles soupirs.
Éraste
Lorsque par les rebuts une âme est détachée,
Elle veut fuir l’objet dont elle fut touchée,
Et ne rompt point sa chaîne avec si peu d’éclat,
Qu’elle puisse rester en un paisible état.
De ce qu’on a chéri la fatale présence
Ne nous laisse jamais dedans l’indifférence;
Et si de cette vue on n’accroît son dédain,
Notre amour est bien près de nous rentrer au sein;
Enfin, crois-moi, si bien qu’on éteigne une flamme,
Un peu de jalousie occupe encore une âme,
Et l’on ne sauroit voir, sans en être piqué,
Posséder par un autre un coeur qu’on a manqué.
Gros-René
Pour moi, je ne sais point tant de philosophie:
Ce que voyent mes yeux, franchement je m’y fie,
Et ne suis point de moi si mortel ennemi,
Que je m’aille affliger sans sujet ni demi.
Pourquoi subtiliser et faire le capable
À chercher des raisons pour être misérable
Sur des soupçons en l’air je m’irois alarmer!
Laissons venir la fête avant que la chômer.
Le chagrin me paroît une incommode chose;
Je n’en prends point pour moi sans bonne et juste cause,
Et mêmes à mes yeux cent sujets d’en avoir
S’offrent le plus souvent, que je ne veux pas voir.
Avec vous en amour je cours même fortune;
Celle que vous aurez me doit être commune:
La maîtresse ne peut abuser votre foi,
À moins que la suivante en fasse autant pour moi;
Mais j’en fuis la pensée avec un soin extrême.
Je veux croire les gens quand on me dit je t’aime,
Et ne vais point chercher, pour m’estimer heureux,
Si Mascarille ou non s’arrache les cheveux.
Que tantôt Marinette endure qu’à son aise
Jodelet par plaisir la caresse et la baise,
Et que ce beau rival en rie ainsi qu’un fou,
À son exemple aussi j’en rirai tout mon soûl,
Et l’on verra qui rit avec meilleure grâce.
Éraste
Voilà de tes discours.
Gros-René
Voilà de tes discours. Mais je la vois qui passe.