Читать книгу Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique) - Molière - Страница 104
Scène I, 4
ОглавлениеMascarille
Non, je ne trouve point d’état plus malheureux
Que d’avoir un patron jeune et fort amoureux.
Gros-René
Bonjour.
Mascarille
Bonjour.
Gros-René
Où tend Mascarille à cette heure?
Que fait-il? Revient-il? Va-t-il? Ou s’il demeure?
Mascarille
Non, je ne reviens pas, car je n’ai pas été;
Je ne vais pas aussi, car je suis arrêté;
Et ne demeure point, car tout de ce pas même
Je prétends m’en aller.
Éraste
La rigueur est extrême:
Doucement, Mascarille.
Mascarille
Ha! Monsieur, serviteur.
Éraste
Vous nous fuyez bien vite! Hé quoi? Vous fais-je peur?
Mascarille
Je ne crois pas cela de votre courtoisie.
Éraste
Touche: nous n’avons plus sujet de jalousie;
Nous devenons amis, et mes feux, que j’éteins,
Laissent la place libre à vos heureux desseins.
Mascarille
Plût à Dieu!
Éraste
Gros-René sait qu’ailleurs je me jette.
Gros-René
Sans doute, et je te cède aussi la Marinette.
Mascarille
Passons sur ce point-là: notre rivalité
N’est pas pour en venir à grande extrémité.
Mais est-ce un coup bien sûr que votre seigneurie
Soit désenamourée, ou si c’est raillerie?
Éraste
J’ai su qu’en ses amours ton maître étoit trop bien;
Et je serois un fou de prétendre plus rien
Aux étroites faveurs qu’il a de cette belle.
Mascarille
Certes vous me plaisez avec cette nouvelle.
Outre qu’en nos projets je vous craignois un peu,
Vous tirez sagement votre épingle du jeu.
Oui, vous avez bien fait de quitter une place
Où l’on vous caressoit pour la seule grimace;
Et mille fois, sachant tout ce qui se passoit,
J’ai plaint le faux espoir dont on vous repaissoit:
On offense un brave homme alors que l’on l’abuse.
Mais d’où diantre, après tout, avez-vous su la ruse?
Car cet engagement mutuel de leur foi
N’eut pour témoins, la nuit, que deux autres et moi;
Et l’on croit jusqu’ici la chaîne fort secrète,
Qui rend de nos amants la flamme satisfaite.
Éraste
Hé! Que dis-tu?
Mascarille
Je dis que je suis interdit,
Et ne sais pas, monsieur, qui peut vous avoir dit
Que sous ce faux semblant, qui trompe tout le monde,
En vous trompant aussi, leur ardeur sans seconde
D’un secret mariage a serré le lien.
Éraste
Vous en avez menti.
Mascarille
Monsieur, je le veux bien.
Éraste
Vous êtes un coquin.
Mascarille
D’accord.
Éraste
Et cette audace
Mériteroit cent coups de bâton sur la place.
Mascarille
Vous avez tout pouvoir.
Éraste
Ha! Gros-René.
Gros-René
Monsieur.
Éraste
Je démens un discours dont je n’ai que trop peur
(à Mascarille. )
Tu penses fuir?
Mascarille
Nenni.
Éraste
Quoi? Lucile est la femme…
Mascarille
Non, monsieur: je raillois.
Éraste
Ah! Vous raillez, infâme!
Mascarille
Non, je ne raillois point.
Éraste
Il est donc vrai?
Mascarille
Non pas,
Je ne dis pas cela.
Éraste
Que dis-tu donc?
Mascarille
Hélas!
Je ne dis rien, de peur de mal parler.
Éraste
Assure
Ou si c’est chose vraie, ou si c’est imposture.
Mascarille
C’est ce qu’il vous plaira: je ne suis pas ici
Pour vous rien contester.
Éraste
Veux-tu dire? Voici,
Sans marchander, de quoi te délier la langue.
Mascarille
Elle ira faire encor quelque sotte harangue!
Hé! De grâce, plutôt, si vous le trouvez bon,
Donnez-moi vitement quelques coups de bâton,
Et me laissez tirer mes chausses sans murmure.
Éraste
Tu mourras, ou je veux que la vérité pure
S’exprime par ta bouche.
Mascarille
Hélas! Je la dirai;
Mais peut-être, monsieur, que je vous fâcherai.
Éraste
Parle; mais prends bien garde à ce que tu vas faire:
À ma juste fureur rien ne te peut soustraire,
Si tu mens d’un seul mot en ce que tu diras.
Mascarille
J’y consens, rompez-moi les jambes et les bras,
Faites-moi pis encor, tuez-moi, si j’impose
En tout ce que j’ai dit ici la moindre chose.
Éraste
Ce mariage est vrai?
Mascarille
Ma langue, en cet endroit,
A fait un pas de clerc dont elle s’aperçoit;
Mais enfin cette affaire est comme vous la dites,
Et c’est après cinq jours de nocturnes visites,
Tandis que vous serviez à mieux couvrir leur jeu,
Que depuis avant-hier ils sont joints de ce noeud;
Et Lucile depuis fait encor moins paroître
La violente amour qu’elle porte à mon maître,
Et veut absolument que tout ce qu’il verra,
Et qu’en votre faveur son coeur témoignera,
Il l’impute à l’effet d’une haute prudence
Qui veut de leurs secrets ôter la connoissance.
Si malgré mes serments vous doutez de ma foi,
Gros-René peut venir une nuit avec moi,
Et je lui ferai voir, étant en sentinelle,
Que nous avons dans l’ombre un libre accès chez elle.
Éraste
Ôte-toi de mes yeux, maraud.
Mascarille
Et de grand coeur;
C’est ce que je demande.
Éraste
Hé bien?
Gros-René
Hé bien, monsieur,
Nous en tenons tous deux, si l’autre est véritable.
Éraste
Las! Il ne l’est que trop, le bourreau détestable.
Je vois trop d’apparence à tout ce qu’il a dit;
Et ce qu’a fait Valère, en voyant cet écrit,
Marque bien leur concert, et que c’est une baye
Qui sert sans doute aux feux dont l’ingrate le paye.