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Scène 11

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Célie, Hippolyte, Mascarille

Mascarille

Grande, grande nouvelle, et succès surprenant,

Que ma bouche vous vient annoncer maintenant!

Célie

Qu’est-ce donc?

Mascarille

Écoutez; voici sans flatterie…

Célie

Quoi?

Mascarille

La fin d’une vraie et pure comédie

La vieille Égyptienne à l’heure même…

Célie

Eh bien?

Mascarille

Passait dedans la place, et ne songeait à rien,

Alors qu’une autre vieille assez défigurée

L’ayant de près au nez longtemps considérée,

Par un bruit enroué de mots injurieux,

A donné le signal d’un combat furieux,

Qui pour armes pourtant, mousquets, dagues ou flèches,

Ne faisait voir en l’air que quatres griffes sèches,

Dont ces deux combattants s’efforçaient d’arracher

Ce peu que sur leurs os les ans laissent de chair.

On n’entend que ces mots, chienne, louve, bagasse.

D’abord leurs escoffions (29) ont volé par la place,

Et laissant voir à nu deux têtes sans cheveu,

Ont rendu le combat risiblement affreux.

Andrès et Trufaldin, à l’éclat du murmure,

Ainsi que force monde, accourus d’aventure,

Ont à les décharpir (30) eu de la peine assez,

Tant leurs esprits étaient par la fureur poussés.

Cependant que chacune, après cette tempête,

Songe à cacher au yeux la honte de sa tête,

Et que l’on veut savoir qui causait cette humeur,

Celle qui la première avait fait la rumeur,

Malgré la passion dont elle était émue,

Ayant sur Trufaldin tenu longtemps la vue:

C’est vous, si quelque erreur n’abuse ici mes yeux,

Qu’on m’a dit qui viviez inconnu dans ces lieu,

A-t-elle dit tout haut; ô rencontre opportune!

Oui, seigneur Zanobio Ruberti, la fortune

Me fait vous reconnaître, et dans le même instant

Que pour votre intérêt je me tourmentais tant.

Lorsque Naples vous vit quitter votre famille,

J’avais, vous le savez, en mes mains votre fille,

Dont j’élevais l’enfance, et qui, par mille traits,

Faisait voir, dès quatre ans, sa grâce et ses attraits.

Celle que vous voyez, cette infâme sorcière,

Dedans notre maison se rendant familière,

Me vola ce trésor. Hélas! de ce malheur

Votre femme, je crois, conçut tant de douleur,

Que cela servit fort pour avancer sa vie:

Si bien qu’entre mes mains cette fille ravie

Me faisant redouter un reproche fâcheux,

Je vous fis annoncer la mort de toutes deu.

Mais il faut maintenant, puisque je l’ai connue,

Qu’elle fasse savoir ce qu’elle est devenue.

Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix,

Pendant tout ce récit, répétait plusieurs fois,

Andrès, ayant changé quelque temps de visage,

À Trufaldin surpris a tenu ce langage:

Quoi donc! le ciel me fait trouver heureusement

Celui que jusqu’ici j’ai cherché vainement,

Et que j’avais pu voir, sans pourtant reconnaître

La source de mon sang et l’auteur de mon être!

Oui, mon père, je suis Horace votre fils.

D’Albert, qui me gardait, les jours étant finis,

Me sentant naître au coeur d’autres inquiétudes,

Je sortis de Bologne, et, quittant mes études,

Portai durant si ans mes pas en divers lieu,

Selon que me poussait un désir curieux:

Pourtant, après ce temps, une secrète envie

Me pressa de revoir les miens et ma patrie;

Mais dans Naples, hélas! je ne vous trouvai plus,

Et n’y sus votre sort que par des bruits confus:

Si bien qu’à votre quête ayant perdu mes peines,

Venise pour un temps borna mes courses vaines;

Et j’ai vécu depuis, sans que de ma maison

J’eusse d’autres clartés que d’en savoir le nom.

Je vous laisse à juger si, pendant ces affaires,

Trufaldin ressentait des transports ordinaires.

Enfin, pour retrancher ce que plus à loisir

Vous aurez le moyen de vous faire éclaircir

Par la confession de votre Égyptienne,

Trufaldin maintenant vous reconnaît pour sienne;

Andrès est votre frère; et comme de sa soeur

Il ne peut plus songer à se voir possesseur,

Une obligation qu’il prétend reconnaître

A fait qu’il vous obtient pour épouse à mon maître

Dont le père, témoin de tout l’événement,

Donne à cet hyménée un plein consentement,

Et, pour mettre une joie entière en sa famille,

Pour le nouvel Horace a proposé sa fille.

Voyez que d’incidents à la fois enfantés!

Célie

Je demeure immobile à tant de nouveautés.

Mascarille

Tous viennent sur mes pas, hors les deux championnes,

Qui du combat encor remettent leurs personnes.

Léandre est de la troupe, et votre père aussi.

Moi je vais avertir mon maître de ceci,

Et que lorsqu’à ses voeu on croit le plus d’obstacle,

Le ciel en sa faveur produit comme un miracle.

(Mascarille sort. )

Hippolyte

Un tel ravissement rend mes esprits confus,

Que pour mon propre sort je n’en aurais pas plus.

Mais les voici venir.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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