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Scène II, 3

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Lucile

C’en est fait: c’est ainsi que je me puis venger;

Et si cette action a de quoi l’affliger,

C’est toute la douceur que mon coeur s’y propose

Mon frère, vous voyez une métamorphose:

Je veux chérir Valère après tant de fierté,

Et mes voeux maintenant tournent de son côté.

Ascagne

Que dites-vous, ma soeur? Comment? Courir au change!

Cette inégalité me semble trop étrange.

Lucile

La vôtre me surprend avec plus de sujet:

De vos soins autrefois Valère étoit l’objet;

Je vous ai vu pour lui m’accuser de caprice,

D’aveugle cruauté, d’orgueil et d’injustice:

Et quand je veux l’aimer, mon dessein vous déplaît,

Et je vous vois parler contre son intérêt!

Ascagne

Je le quitte, ma soeur, pour embrasser le vôtre:

Je sais qu’il est rangé dessous les lois d’un autre,

Et ce seroit un trait honteux à vos appas,

Si vous le rappeliez et qu’il ne revînt pas.

Lucile

Si ce n’est que cela, j’aurai soin de ma gloire;

Et je sais, pour son coeur, tout ce que j’en dois croire:

Il s’explique à mes yeux intelligiblement.

Ainsi découvrez-lui sans peur mon sentiment,

Ou si vous refusez de le faire, ma bouche

Lui va faire savoir que son ardeur me touche.

Quoi? Mon frère, à ces mots vous restez interdit?

Ascagne

Ha! Ma soeur, si sur vous je puis avoir crédit,

Si vous êtes sensible aux prières d’un frère,

Quittez un tel dessein, et n’ôtez point Valère

Aux voeux d’un jeune objet dont l’intérêt m’est cher,

Et qui, sur ma parole, a droit de vous toucher.

La pauvre infortunée aime avec violence;

À moi seul de ses feux elle fait confidence,

Et je vois dans son coeur de tendres mouvements

À dompter la fierté des plus durs sentiments.

Oui, vous auriez pitié de l’état de son âme,

Connoissant de quel coup vous menacez sa flamme,

Et je ressens si bien la douleur qu’elle aura,

Que je suis assuré, ma soeur, qu’elle en mourra,

Si vous lui dérobez l’amant qui peut lui plaire.

Éraste est un parti qui doit vous satisfaire,

Et des feux mutuels…

Lucile

Mon frère, c’est assez:

Je ne sais point pour qui vous vous intéressez;

Mais, de grâce, cessons ce discours, je vous prie,

Et me laissez un peu dans quelque rêverie.

Ascagne

Allez, cruelle soeur, vous me désespérez,

Si vous effectuez vos desseins déclarés.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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