Читать книгу La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle - Népomucène-Louis Lemercier - Страница 14
CLÉMENT-MAROT, ET BONNIVET.
ОглавлениеBONNIVET.
C'est vous, galant Marot! vous, levé dès l'aurore!
MAROT.
Oui, j'aime à voir l'éclat dont l'orient se dore;
Et le dieu des beaux vers m'emplit de feux nouveaux,
Quand l'heure matinale attèle ses chevaux.
J'aime à voir de son char la lumière vermeille
Luire au camp des Français, que le clairon éveille;
Et, brillant dans l'azur, l'astre de Lucifer
Emailler les vallons étincelants de fer.
BONNIVET.
Si vous ne me parliez sur le ton des poëtes,
Je vous méconnaîtrais, armé comme vous l'êtes.
MAROT.
Je ne ferais nul cas d'un poëte de cour
Qui n'endosserait point la cuirasse à son tour.
BONNIVET.
Marot veut que son sang, grace à quelques prouesses,
Lui mérite les pleurs des plus nobles princesses.
MAROT.
Marot chez les neuf sœurs survivra plus d'un jour,
Blessé du fer de Mars et des traits de l'Amour.
BONNIVET.
La propre sœur du roi, si j'en crois la chronique,
Vous l'aura dit, peut-être, en un style saphique.
MAROT.
La sœur de notre roi, duchesse d'Alençon,
Protège en moi du Pinde un humble nourrisson:
Je l'aide quelquefois des avis de ma muse
A tourner plaisamment un conte qui l'amuse.
Mais les grands sont jaloux quand elle me sourit,
Et fait céder pour moi l'étiquette à l'esprit.
BONNIVET.
Marguerite, en secret, vous met, dit-on, en verve?
MAROT.
La Pallas de nos jours doit être ma Minerve.
Est-ce un sujet de glose aux malins envieux?
BONNIVET.
Que fait donc votre muse, absente de ses yeux?
MAROT.
Elle chante le roi, pour qui je prends l'épée.
BONNIVET.
Brave rimeur, courage! A quand votre épopée?
MAROT.
Le Parnasse, amiral, est plus lent à forcer
Que vos remparts tonnants, si prompts à renverser.
Un poëme renaît sur d'héroïques cendres.
Nous n'avons qu'un Homère; il est tant d'Alexandres!
N'imaginez donc pas, en vous raillant toujours,
Qu'un poëte, en soldat, marche au gré des tambours.
BONNIVET.
Vous, n'imaginez pas qu'en ses folles bouffées
Votre docte Phébus élève nos trophées.
MAROT.
Non; l'honneur d'un guerrier a d'autres fondements
Qui prêtent à nos vers d'utiles ornements.
BONNIVET.
Ah! les héros outrés et la fiction pure,
Des œuvres d'Apollon sont la seule parure;
Et de grands mots, tirés du latin et du grec,
Enrichissent leur fonds, quelquefois pauvre et sec.
Voilà ce qui soutient les vaines renommées
Des beaux diseurs de rien, en paroles rimées.
MAROT.
Si je connais votre art ainsi que vous le mien,
Je confesse qu'ici je n'en parle pas bien.
Chacun notre métier: perdons la frénésie
Moi, de parler de guerre, et vous, de poésie.
Souffrez qu'ici Marot, cavalier mal-expert,
Use à son gré du temps que vous jugez qu'il perd;
Que, sans titre en vos camps, rimant son badinage,
Il offre à plus d'un siècle un miroir de son âge.
Venez; le roi vous mande, et va tenir conseil.
L'Europe ne doit plus voir un double soleil:
Valois dit qu'il est temps que Charles-Quint lui cède.
BONNIVET.
S'il m'écoute, il vaincra.
MAROT.
Que Dieu vous soit en aide!
BONNIVET.
Lannoy veut nous surprendre... Ah! je jure qu'avant,
Les nonnes de Pavie, en leur étroit couvent
Recevront mes soudards comme révérends pères.
MAROT.
Bon! que comme Marie elles soient vierges-mères.
Ils sortent; les démons rirent aux grands éclats,
Que la virginité, dévolue aux prélats,
Dût-être un jour en proie aux baisers à moustaches:
Car de l'honneur dévot le diable aime les taches.
Tout a changé d'aspect: dix jours sont écoulés.
La scène offre aux regards des chemins isolés;
Ils tendent vers un camp dont l'enceinte est voisine:
Sur de larges vallons Pavie au loin domine.
Le soleil qui se couche éclaire encor les fronts
Des arbres dont le soir déja noircit les troncs:
Là, d'un chêne élevé la grande ombre s'allonge.
Un coursier, qui hennit sous le frein d'or qu'il ronge,
Porte en ce lieu Bourbon, connétable fameux,
Transfuge de la France, et proscrit belliqueux.
C'est l'heure où du sommeil accourent les fantômes;
Où les esprits ailés, les Sylphes et les Gnômes,
Courbent, en voltigeant, la bruyère des bois,
Et remplissent les airs de murmurantes voix.
Sous d'humides vapeurs tout semble se confondre;
Le jour est prêt à fuir, et la nuit prête à fondre.
BOURBON.
Soleil! en t'éloignant tu vois mes camps agir:
L'astre d'un prince ingrat comme toi va rougir;
Et, me fuyant demain, sa splendeur éclipsée
Cédera pour sa honte à ma gloire offensée.
Heureux François-Premier, tremble d'être puni
Par ce même mortel que ta haine a banni.
Charles-Quint que je sers, mon juste et nouveau maître,
Des brigues de ta cour me vengera peut-être;
Et je te convaincrai, plaisir digne de moi!
Qu'un sujet outragé peut avilir un roi.
Que vois-je?... est-ce une erreur, une chimère vaine?...
Quel guerrier m'apparaît appuyé sous ce chêne?.....
C'est celui qu'à Rébec j'ai vu de sang baigné,
Me jeter en mourant un regard indigné!
C'est lui! je reconnais ses traits, et sa stature,
Sa longue épée en croix, et sa pesante armure.....
Écarte-toi, fantôme! et sors de mon chemin....!
Pour m'arracher la bride il étend une main....!
Avance, ô mon coursier!... Presse le pas! te dis-je....
Quoi! son crin se hérisse, il recule.... ô prodige!
Bourbon même, Bourbon de crainte est combattu......
Et toi, chez les vivants pourquoi reparais-tu?
Rentre au lit de la mort, ou cette lance.....
L'OMBRE DE BAYARD.
Approche.
Je suis le chevalier sans peur et sans reproche.
BOURBON.
Qui t'a fait du tombeau quitter la froide nuit?
L'OMBRE DE BAYARD.
Bayard vient consterner l'orgueil qui te conduit.
BOURBON.
Ton roi, dont l'amitié t'honora dans ta vie,
Humilia souvent ma vertu poursuivie:
Lui dûmes-nous tous deux garder la même foi?
L'OMBRE DE BAYARD.
L'honneur pour nos pareils n'a qu'une même loi.
BOURBON.
J'abhorrais d'un tyran l'injustice hautaine.
L'OMBRE DE BAYARD.
Lorsqu'il daigna de moi, modeste capitaine,
Recevoir l'accolade, aux champs de Marignan,
Valois s'annonca-t-il en superbe tyran,
Lui qui devant l'honneur de la chevalerie
Courba sa tête auguste, espoir de la patrie?
BOURBON.
Il voulut d'un prestige exalter nos vertus,
Pour vaincre ses rivaux par nos mains abattus.
L'OMBRE DE BAYARD.
Tu les sers contre lui, Connétable perfide!
Regarde à tes côtés cette vierge rigide:
Elle te redira qu'on doit au lit d'honneur
Mourir pour son pays sans reproche et sans peur.
Adieu! va, déloyal! ton vil triomphe approche:
Mais tu n'éviteras la peur ni le reproche.
(L'ombre disparaît.)