Читать книгу La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle - Népomucène-Louis Lemercier - Страница 23
FRANÇOIS-PREMIER, LES CHEFS, LES SOLDATS DE SON ARMÉE, L'IMPRÉVOYANCE, LA MORT, LES VENTS, ET LES HEURES.
ОглавлениеFRANÇOIS-PREMIER.
Dignes vengeurs des lys, voici l'heure et le jour
De signaler pour eux votre honorable amour.
On ose rallumer autour de nos enceintes
Des foudres qu'à jamais nous devions croire éteintes;
Entendez nos rivaux dans nos camps insultés
Braver de Marignan les vainqueurs redoutés!
C'est peu que ce combat soit nommé par l'histoire
Le combat des Géants, titre immortel de gloire!...
Ah! s'ils l'ont oublié, réprimons leur transport:
Leur attaque a donné le signal de leur mort.
Marchons! et vous saurez contre leur insolence
Ce que peut votre zèle aidé par ma présence.
Sied-il que votre roi, moins digne de son nom,
Tarde encor à punir le transfuge Bourbon?
Sied-il qu'un déserteur, qu'un ingrat, qu'un rebelle,
Nous force à reculer vers quelque citadelle?
Que servit notre essor, qui, s'ouvrant des chemins,
Surprit au haut des monts l'aigle altier des Germains,
S'il nous faut, reployant nos ailes inutiles,
Sous les Alpes ramper, fuir en lâches reptiles?
Non; ces monts éternels, gardant mon souvenir,
Ne diront point ma honte aux âges à venir:
Je ne repasserai sur leurs têtes blanchies
Qu'en des routes encore avec honneur franchies.....
Il semble que du ciel je les entends crier:
«Vos ennemis sont là; courez les foudroyer,
«Soldats! vos premiers coups, dont la France se vante,
«Font devant vos drapeaux élancer l'épouvante:
«Le bruit par-tout semé de tant d'exploits heureux
«D'avance les terrasse, et gronde encor sur eux.»
Ne balançons donc pas, et terminons la guerre.
Frappons, foulons aux pieds Lannoy, Bourbon, Pesquaire.
Mon rival apprendra que ses fiers généraux
Sur le bord du Tésin ont trouvé nos héros;
Et qu'à jamais rentré dans mes mains souveraines,
Le duché de Milan est un de mes domaines.
UN CAPITAINE.
Gloire à notre Alexandre! et feu sur tout coquin
Osant nommer César le pâle Charles-Quint!
SOLDATS.
Vive, vive le roi! mort à cette canaille!
L'IMPRÉVOYANCE.
Grand roi! l'heure est propice à livrer la bataille.
Ceins mon divin bandeau: marche, et vois rayonner
Les palmes que ta main s'apprête à moissonner.
L'empereur, lent et sombre, est né pour les désastres:
Toi, prompt, fier et hardi, tu vas toucher les astres.
HENRI-D'ALBRET.
O Chabanne, voyez que, malgré vous et moi,
La folle Imprévoyance aveugle votre roi.
LA PALISSE.
Ah! quiconque à la guerre est jaloux de la gloire,
N'a qu'un but devant lui, ce but est la victoire.
La constance n'est point l'opiniâtreté.
«Laissons, disais-je au roi, ce siége en vain tenté:
«Ecartons-nous plutôt de la ville investie
«Que de perdre en un coup le gain de la partie.
«Nos rivaux, épuisés par la route et la faim,
«D'eux-mêmes en marchant se détruiront enfin:
«Sire, alors paraissons; et les villes charmées
«Vous apportant leurs clés, s'ouvrant à vos armées,
«Admireront comment, arbitre des hasards,
«Vous hâtez vos succès par de sages retards.»
Tels étaient nos avis: l'instant de le convaincre
Est passé maintenant. On canonne ... allons vaincre!
HENRI-D'ALBRET.
Au feu, mes compagnons! fondons sur ces gens-ci;
Vous n'avez nul péril à redouter ici:
La victoire est à nous; leur mort est assurée.
LA PALISSE.
Au feu, vaillants soldats! allons à la curée.
Nous sommes les plus forts: ces gens vont devant nous
Fuir comme les moutons à l'approche des loups.
SAINT-POL.
Mes amis, ce sont là les pillards du Mexique:
Tuons-les! empochons tout l'or de l'Amérique.
LA MORT.
Oh! comme du butin ces guerriers trop jaloux
Courent, bride abattue, au-devant de mes coups!
Agitez tous leurs sens d'une rage insensée,
Tambour, fifre, trompette; ôtez-leur la pensée.
Vieux la Trimouille, toi, parmi tes escadrons
Au péril qui t'attend tu vas à pas moins prompts.
LA TRIMOUILLE.
C'est que tu m'apparais; et mon heure arrivée
M'avertit que ta faulx sur ma tête est levée.
LA MORT.
Si tu pressens mes coups, que ne sors-tu des rangs?
LA TRIMOUILLE.
Me fais-tu peur?
LA MORT.
Malgré les dehors que tu prends,
Vieillard, de m'éviter n'aurais-tu pas envie?
LA TRIMOUILLE.
Non, je sais préférer mon honneur à ma vie.
LA MORT.
Tu te roidis, brave homme: hélas! qu'en ce moment
Ton courage affecté me sourit tristement!
LA TRIMOUILLE.
J'ai toujours sans effroi contemplé ton image.
LA MORT.
Oui, telle qu'un fantôme au travers d'un nuage:
Mais lorsque les regards m'envisagent de près,
Mon aspect fait frémir: conviens-en.
LA TRIMOUILLE.
Moi! jamais.
LA MORT.
Je sais qu'à tes pareils ma tête décharnée
De lauriers éclatants se montre couronnée;
La gloire, de son voile, aux regards des héros
Cache les vers hideux qui me rongent les os:
On vante mes cyprès. Cependant ma présence
Hier à la retraite exhortait ta prudence:
Je t'ai glacé, la nuit, d'un présage odieux;
Ton chien hurlant sembla t'adresser des adieux;
Et ton coursier, l'œil morne, et baissant la crinière,
Sent qu'il conduit son maître au bout de sa carrière.
C'en est fait! tes brassards, ta cuirasse d'airain,
Ne pourront de ma faulx parer le coup certain.
Va te faire immoler... Un jour, ta vieille armure
Sera de ton château l'honorable parure!
Mais quand de tes périls je t'accours avertir,
Aux crédules soldats oseras-tu mentir;
Et mener sans pitié sous la mitraille affreuse
Ces jeunes campagnards, milice valeureuse?
LA TRIMOUILLE.
Laisse-moi les guider, ne les consterne pas.
Avancez, mes enfants! et signalez vos bras!
Je vous parle en bon père, et vous le dis sans feindre;
Ici tout à gagner, et nulle perte à craindre.
BONNIVET.
Bien, mon vieux chevalier! c'est parler comme il faut.
LA TRIMOUILLE.
Nous mentons en damnés; ce jour-ci sera chaud.
Je te l'ai dit.
BONNIVET.
Ami, que rien ne t'effarouche:
Nous vaincrons.
L'IMAGE DE CLÉRICE.
Bonnivet, ce soir, viens dans ma couche!
BONNIVET.
Ai-je temps d'y songer dans ce bruyant conflit?
Gare ici que la mort me creuse un autre lit.
L'IMAGE DE CLÉRICE.
Souviens-toi qu'à ces bords j'attachai ta constance:
J'ai dans l'événement plus de part qu'on ne pense.
BONNIVET.
Folle image! va-t'en..... mes braves canonniers,
Là-bas, de l'ennemi les bataillons entiers
Des portes de Pavie ont tenté le passage.....
De nos feux sur leur route allez grossir l'orage;
Et dirigeant contre eux vos tonnerres roulants,
Faites pleuvoir le fer et le plomb sur leurs flancs.
LA MORT.
Quel tumulte!... La foule et se disperse et crie.....
Déchargez la fureur de votre artillerie!
Redoublez, éclatez, mousquetades, obus!
Voilà, voilà les rangs entr'ouverts et rompus....
Les escadrons ployant sous le feu qui les perce;
Chevaux et fantassins, tout tombe, se renverse.....
Têtes, jambes et bras, affreux lambeaux, volez!
Plumets, bonnets sanglants, casques vides, roulez!
Grondez, bouches d'airain, mes organes fidèles,
Vomissez la terreur et mes flèches cruelles.....
Bourbon, soutiens le choc... Ah! ah! je m'aperçois
Que ton front a pâli pour la première fois.....
Pesquaire, de bien près j'ai passé sur ta tête...
Toi, qui viens si fougueux, l'arquebuse t'arrête,
Jeune officier buveur, qui te battais si bien!
Tu dédaignais l'hymen, la paix du citoyen;
Où t'a conduit l'orgueil d'une ardeur martiale?
Dans ton bel âge, atteint d'une homicide balle,
Tu n'es plus! ton œil fier ne verra plus le ciel.
Et vous, qui, sur les monts, nourris de lait, de miel,
Innocents, respiriez dans la libre Helvétie;
Et vous, pauvres enfants de l'âpre Carinthie,
Qui vendîtes vos jours au prix de quelques sous,
Troupeaux que j'achetai, tombez donc sous mes coups.
Quoi donc? vous reculez, trop timides recrues!
Ah! jamais tant d'horreurs ne vous sont apparues;
La mort est inflexible à vos cris qu'elle entend.
«Mon vieux père, dis-tu, dans ses vignes m'attend...»
Tu ne fouleras plus la pourpre des vendanges,
Rougis tes pieds au sang qui fume dans les fanges.
«Moi, ma femme au hameau compte sur mon retour..»
Elle peut dans ton lit soudain changer d'amour:
Son sein fécondera les baisers d'un autre homme.
Toi donc, que je t'égorge, et toi, que je t'assomme!
Je cours à pas plus prompts que le pied des fuyards..
Mais quoi! vous franchissez vos fossés, vos remparts,
Français!... De vos rivaux j'ai fait un long carnage:
Eh bien, dans votre sang il faut donc que je nage;
Et que, trompant le sort, je tourne mes rigueurs
Sur vous et votre roi qui vous croyez vainqueurs.
FRANÇOIS-PREMIER.
Amis! sonnez la chasse, et forçons dans l'arène
Tous ces timides cerfs nous fuyant par la plaine.
LA TRIMOUILLE.
Sire, hors de ce camp pourquoi vous élancer?
Entre eux et vos canons c'est trop mal vous placer.
MAROT.
Suivons de Marignan le héros tutélaire!
SAINT-POL.
Qui connaît les périls n'est pas si téméraire:
Qui n'en courut jamais s'y lance trop avant.
MAROT.
Qui les prévoit le moins en sort le plus souvent.
FRANÇOIS-PREMIER.
Quoi! Marot tient l'épée ainsi que la trompette!
MAROT.
Sire, on n'est pas poltron parce qu'on est poëte:
Tyrthée, Eschyle, Alcée, ont bravé les hasards.
Un vrai fils d'Apollon n'a jamais peur de Mars.
FRANÇOIS-PREMIER.
A moi, mes défenseurs! au butin! à la gloire!
Partons.
LES SOLDATS.
Vive le roi!... Mort! Massacre! Victoire!
LES VENTS.
Ah! d'horreur et de bruit quel effroyable cours!
O rage!... il nous suffoque.... il rend les échos sourds...
Mais les bronzes français sont réduits à se taire....
La force a rallié les troupes de Pesquaire....
Vole, à toi ce salpêtre!...—A toi, bombes, boulets!
—Tremblez, clochers lointains, ponts, remparts, et palais!
—Eh bien? nos promptes sœurs, eh bien, filles ailées,
Avez-vous du canon pu compter les volées,
Heures, qui vous hâtez de rappeler Vesper?
Précipitez ce jour, rendez la paix à l'air.
Nous, aux quartiers voisins où Montmorenci veille,
Portons de ce combat l'avis à son oreille.
Ils volent: un prestige incroyable à nos yeux
Rend soudain les démons présents à d'autres lieux,
Et plus prompt que les vents les transporte en des plaines
Où d'un camp retranché siégeaient les capitaines.