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COPERNIC ET LA TERRE.

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COPERNIC.

Terre, sur le soleil c'est toi qui fais la roue:

Cet astre est ton essieu.

LA TERRE.

Mortel, né de ma boue,

Homme, frêle animal, es-tu si curieux

Que d'oser sur ma sphère interroger les cieux?

Tu dois si peu de temps ramper à ma surface!

En toi-même plutôt cherche ce qui se passe.

COPERNIC.

Eh! peut-on y voir clair? mon bonnet de docteur

Atteste qu'un scalpel, sous mon œil scrutateur,

A trop souvent, au sein d'une victime humaine,

Cherché par où l'artère est unie à la veine,

Et comment le poumon y forme un sang pourpré

Qui se change en sang noir dans sa course altéré.

Lorsqu'épiant les nerfs, j'ai vu les tiges fines

Des troncs dont le cerveau reçoit tant de racines,

Quand j'ai sondé le crâne où fermente si fort

L'ardeur des passions, qu'éteint sitôt la mort;

Et l'écho du rocher frappé du son qui vole,

Et le souple larynx, route de la parole,

Et du cœur enflammé ce trépied véhément

Qui, partageant le corps en un double fragment,

Soulève en son courroux les voûtes ébranlées

Dont la secousse émeut les entrailles troublées;

Quand j'ai percé l'horreur des replis intestins,

Où se perd et se rompt le fil de nos destins;

Ce foie où la tristesse et le fiel semblent fondre,

Et le sombre embarras du fatal hypocondre:

Je n'ai trouvé dans l'homme, au grand jour dépouillé,

Qu'un labyrinthe obscur où je m'étais souillé.

J'ai reculé, j'ai fui ce néant de moi-même;

Et me refugiant vers la raison suprême,

Honteux de demander, après un vain effort,

Le secret de la vie à la muette mort,

Ma pensée aussitôt recouvrit ces viscères

Dont, trop long-temps encor m'étalant les mystères,

L'image, en tout mortel, m'offrait même souvent

L'aspect de l'homme éteint dans l'homme encor vivant.

Respectant les tissus où la sage nature

Cache de nos ressorts la fragile structure,

Etonné que des yeux le liquide crystal

Des rayons éthérés fût le mouvant canal,

Vers les grands corps des cieux je levai ma paupière;

Et fier de réfléchir leurs torrents de lumière,

Mon esprit reconnut, planant de toutes parts,

Que plus loin que mon œil il étend ses regards;

Et j'ai vu ma grandeur, en cette intelligence

Qui de la bête à l'homme établit la distance.

LA TERRE.

Superbe insecte! eh quoi! tu prétends donc savoir

L'ordre de l'univers, ce qui le fait mouvoir?

Toi, de qui la faiblesse aux erreurs asservie,

N'a pu voir quel principe est l'agent de ta vie!

COPERNIC.

Je sais que tu te meus; mais, ignorant pourquoi,

J'en sais sur toi du moins tout autant que sur moi.

LA TERRE.

A quoi bon t'enquérir, pour guider ton ménage,

Si le soleil ou moi nous faisons un voyage?

COPERNIC.

Ce savoir, inutile à l'étroite raison

Des mortels concentrés au soin de leur maison,

Sert aux explorateurs des bords de nos deux mondes

A nombrer tous leurs pas sur le sol et les ondes,

Et soumet, à l'aspect des astres mieux suivis,

Les terrestres labeurs aux célestes avis.

Si je n'avais connu sur quel axe inclinée

Tu tournes doublement par jour et par année,

Du zodiaque ardent comptant mal les retours,

Je n'eusse pu prévoir les saisons ni les jours,

Ni quand d'un astre, au loin précédant ta planète,

L'apparence changée ou recule, ou s'arrête;

Ni quand, sous l'écliptique ombragée en passant,

La lune cachera son disque brunissant,

Ni combien le soleil se baissant vers ta ligne,

Des jours égaux aux nuits hâte en un an le signe;

Et l'homme ignorerait du midi jusqu'au nord,

Quels mois viendront ouvrir son sillon ou son port.

LA TERRE.

Va, subtil raisonneur, dès avant Ptolomée,

Qui me laissa jadis sa relique embaumée,

On mangeait, on buvait, sans regarder si haut.

Chaque animal pour vivre en sait autant qu'il faut.

COPERNIC.

Chacun suit son instinct et remplit sa carrière:

Le nôtre est de sonder le monde et la matière:

Et l'esprit qui te pèse et mesure tes pas,

Est plus noble que toi, qui ne te connais pas.

Je préfère un rayon de science profonde

A l'éclat des dehors couvrant ta sphère immonde:

Tu cesses de briller quand la clarté te fuit;

La pensée est la flamme, et veille dans la nuit.

Cette lampe immortelle éclaira Pythagore

Sur l'immobilité du soleil qui te dore.

Déja les temps passés m'ont dit que Nicétas

Te vit sous le soleil variant tes climats,

De ses feux vers l'aurore aller puiser la source

Qu'on croyait au couchant apportés par sa course.

Sous l'espace des cieux mon compas s'est ouvert.

Ton étroit diamètre eût-il rien découvert?

Celui de ta carrière est l'immense mesure,

Où d'une parallaxe enfin l'atteinte sûre

Touche, au sommet d'un angle, un monde errant dans l'air,

Jusqu'à l'étoile fixe au plus haut de l'éther,

Où les astres lointains d'un ciel inaccessible

Cachent dans l'infini leur orbite insensible.

LA TERRE.

Ainsi tu brises donc l'antique firmament,

Ceintre de crystal pur, voûte de diamant,

Dont les clous d'or.....

COPERNIC.

Erreurs! songes de l'ignorance!

Vains prestiges des sens dupes de l'apparence!

LA TERRE.

Crois-tu les détromper?

COPERNIC.

L'homme apprendra de moi

Que son soleil si lourd, immense au prix de toi,

Ne peut, pour éclairer ta ronde petitesse,

Au cercle de tes jours rouler avec vîtesse;

Tandis que, pour t'offrir à ses traits éclatants,

En pivotant sur toi, tu tournes moins de temps.

LA TERRE.

L'homme ne croira pas qu'un transport si commode

De lui-même, le soir, le rende l'antipode.

Les oiseaux, dira-t-on, du nadir au zénith,

De vue, en fendant l'air, perdraient soudain leur nid.

COPERNIC.

On saura qu'avec toi l'atmosphère qui roule,

Entraîne en cheminant ce qui vit sur ta boule;

Comme sur un navire, où tous ceux qu'il conduit

S'imaginent voir fuir tous les objets qu'il fuit.

LA TERRE.

Au mortel indolent qui se sent immobile,

Affirme que sans cesse il court de mille en mille,

Et qu'il voyage autant, sans s'en apercevoir,

Que Charles-Quint, toujours fier de se faire voir:

L'ellébore sera le prix de ta remarque,

Elève d'Hippocrate, et beau vainqueur d'Hipparque.

COPERNIC.

Je ne m'empresse pas de proclamer à tous

Les lois de ma raison, car les humains sont fous;

Et des contemporains toujours l'ingratitude

Proscrit la vérité conquise par l'étude.

D'Euclide et d'Archimède astronome appuyé,

Je m'avance à pas lents, de doutes effrayé:

Si mon art faisait luire entre les deux solstices

La face des Césars, le poil des Bérénices,

Astrologue menteur, si mes vagues discours

Semblaient mettre d'accord les cieux avec les cours,

Si, dans l'ombre observant mille intrigues secrètes

J'en étais le devin, ainsi que des comètes,

Mon siècle, aimant la fourbe et l'ostentation,

Me nommerait des grands la constellation:

Mais, ne tendant qu'au vrai, je n'ai que Dieu pour maître,

Ce n'est que du tombeau que ma gloire peut naître,

Après les vains fracas qu'on entend éclater

Au nom de tous nos rois, du pape et de Luther.

Retiré loin du bruit, l'ignorance et l'église

Ne sacrifieront point Copernic à Moïse.

Je lègue mon systême à quelque zélateur

Qui sera condamné d'un saint inquisiteur

A renier sa foi sur le cours de la terre:

Tant la vérité plaît aux prêtres de ta sphère!

Adieu. Je crois sentir qu'en fuyant d'ici-bas

L'ame, à son apogée, ignore leurs débats.

LA TERRE.

Crains ce périhélie où son feu la dévore.

COPERNIC.

Je suis dans le soleil, et je te mire encore.

(Il disparaît.)

La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle

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