Читать книгу La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle - Népomucène-Louis Lemercier - Страница 6

CHANT PREMIER.

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Table des matières

Ma muse, qui du monde a vu les tragédies

Aux esprits immortels servir de comédies,

Du ciel et de l'enfer va chanter les acteurs,

Les drames, le théâtre, et tous les spectateurs.

Dieu permit qu'une fois, dans l'empire des diables,

Succédassent les jeux à leurs maux effroyables;

Les carreaux et les fouets restèrent suspendus,

Et de longs cris joyeux y furent entendus.

Je veux, d'un pinceau neuf, essayer les peintures

Des plaisirs de l'enfer, et non de ses tortures.

Dans l'Ether sans limite, il est des profondeurs

Où des traits du soleil se bornent les splendeurs:

L'espace est traversé par des sphères sans nombre,

Et la lumière au loin le partage avec l'ombre.

D'un côté, sous le deuil, et de l'autre, sous l'or,

Là, règne Lampélie, et là, règne Ennuctor.

De l'astre pur des jours Lampélie est la fille;

Et loin de la carrière où sa présence brille,

Le sceptre d'Ennuctor, dieu de l'obscurité,

Des ténèbres régit l'abyme redouté.

Dans son empire affreux, par-delà notre monde,

Une ardente comète, à jamais vagabonde,

Roule au milieu des nuits, et de son épaisseur

Le seul feu des volcans éclaire la noirceur.

C'est là que sont déchus ces démons si terribles,

Ces hauts titans, l'horreur des fables et des bibles:

Leurs tourments trop chantés ne sont plus inouis;

O muse! chante donc les diables réjouis;

Dis les feux de l'abyme illuminant ses routes,

Les torches en festons pendantes à ses voûtes,

Les phosphores roulant en soleils colorés,

Et les métaux fondus en miroirs épurés:

Dis l'éclat des banquets, et les pompes qu'étale

Dans un gouffre enflammé la cohue infernale.

Spectacle comparable au fol aspect des cours,

Où des fêtes sans joie assemblent un concours

D'hommes blêmes d'ennuis, et de femmes flétries,

Qui rampent, enchaînés d'or et de pierreries;

S'efforçant, à l'envi, de dérider leur front,

Qu'attriste la mémoire ou la peur d'un affront.

Tels sont les noirs esprits, en leur palais funeste:

Ils ne jouissent plus de la clarté céleste;

Des lampions fumants sont leurs astres menteurs;

Leurs faux jardins sont pleins de bouquets imposteurs:

Les lambris lumineux de leurs grands édifices,

Brûlent leurs yeux lassés de brillants artifices;

Et tout ce riche éclat, fatigant appareil,

Les jaunit, les rougit, comme un ardent soleil.

Leurs plaisirs les plus vifs sont les jeux du théâtre.

Sous d'énormes piliers est un amphithéâtre,

Qu'inondent les démons à flots tumultueux,

Accourant applaudir des drames monstrueux.

Leur art, qui de la scène élargit la carrière,

Y fait d'un personnage entrer la vie entière;

Peu jaloux qu'un seul lieu, dans son étroit contour,

Resserre une action terminée en un jour.

De leurs yeux immortels la vue est peu bornée:

Devant eux, comme un point passe une destinée;

Et leur regard saisit avec rapidité,

L'enfance d'un héros, et sa caducité.

Pour nous mieux figurer, tout grossiers que nous sommes,

Ils rapprochent d'instincts les bêtes et les hommes;

De l'œuvre du grand-tout curieux amateurs,

La nature animée a pour eux mille acteurs;

Et parmi les bergers, les rois, les chefs suprêmes,

Ils font intervenir les divinités mêmes.

Ce qui ravit sur-tout leur cœur enclin au mal,

Ce sont les vils tyrans, nés d'un germe infernal,

Dont la noirceur, charmant leur goût diabolique,

Leur semble un rare effet de haute politique;

Bien que des assassins les caractères bas

Montrent les mêmes traits que ces grands scélérats.

Leur dialogue en vers est plaisant et tragique,

Descend à la satire, et s'élève à l'épique;

Et chacun des acteurs, en leurs mœurs ou leurs rangs,

A son propre langage et ses tons différents.

Les démons, au-dessus des plus savants artistes,

Dédaignent les ressorts de nos vains machinistes;

Leurs décorations, en tous leurs changements,

Sont un effet divin de prompts enchantements.

On y voit des hameaux, illusions vivantes,

Des bois, des eaux, des cieux, les images mouvantes,

De magiques châteaux, et de trompeuses fleurs,

Et des feux qui de l'aube imitent les pâleurs.

Faut-il offrir l'aspect du châtiment des crimes,

Ils lèvent le rideau qui cache leurs abymes;

Et leur regard encor s'effraie à pénétrer

Des gouffres, des volcans qu'il ne peut mesurer.

Déja s'ouvre le cirque à l'innombrable foule:

Tous fondent sur les bancs comme un torrent qui roule,

Et leur plaisir rugit non moins que la douleur.

Sur un mince clinquant de sanglante couleur,

L'œil, en lettres de feu, lit: «la Charlequinade,

«Ou l'orgueil couronné par un siècle malade;

«Pièce comi-tragique, à divertissements,

«Et tournois, et combats, et grands embrasements.»

Un nébuleux rideau couvrant d'abord la scène,

Offre, en mille portraits, à l'œil qui s'y promène,

Les masques différents dont l'Erreur en tout lieu

Déguisa de tout temps la face du vrai dieu;

Tableau dont les couleurs charment l'Hypocrisie,

Qui de tant de faux dieux bénit la fantaisie.

Là, sont tous les chaos d'où les religions

Tirèrent de la nuit leurs superstitions.

Comme autant de soleils, au centre de leurs mondes,

En ce rideau, sortant des ténèbres profondes,

Mille divinités, partageant l'univers,

Ont leurs trônes, leurs cieux, leurs olympes divers.

Un monstre gigantesque, à cinq têtes énormes,

D'un ventre sans mesure étale ici les formes;

C'est le puissant Brama, que la crédulité

Fait passer dans un fleuve à l'immortalité:

De son sein, de ses flancs, et de ses pieds fertiles,

S'écoulent les tribus des hameaux et des villes.

Là, ce divin monarque, honoré dans Babel,

Nourrit le feu, du monde élément éternel:

La flamme, sur son front, rayonne en diadême

Et l'astre pur des jours, son lumineux emblême,

Aux hommes éblouis cachant leur créateur,

Sous l'éclat de l'ouvrage en éclipse l'auteur.

Plus loin, brille Mithra dans l'azur diaphane,

Près du doux Oromase et du triste Arimane;

Triple divinité, dont le pouvoir égal

Balance dans le monde et le bien et le mal:

D'un côté sont les cieux, le jour et la science;

De l'autre les enfers, la nuit et l'ignorance.

La grande Isis est là, cherchant son Osiris,

Dont Typhon dispersait les membres en débris:

On lui voit retirer de l'ombre sépulcrale

Ses restes qu'elle assemble, et dresser un haut phalle,

Simulacre fécond, qu'elle veut conserver

De ce que son amour n'en a pu retrouver.

La lune la revêt de parures nouvelles,

Et vers son fils Horus pendent ses huit mamelles.

Le bœuf, le crocodile, et le sphinx, et l'Ibis,

Et le bouc de Mendès, et le chien Anubis,

Sont peints dans le troupeau des bêtes consacrées

Par un peuple brutal à sa suite adorées.

Son époux, nouveau dieu de cent peuples vaincus,

Semble ressuscité sous les traits de Bacchus:

Le lotus sur sa tête en un lierre se change;

Il ne sort plus du Nil, il redescend du Gange,

Tenant pour sceptre un thyrse, et jaloux d'assister

Aux banquets de l'Ida, séjour de Jupiter.

Du trône olympien, le grand fils de Saturne,

Versant les biens, les maux, qu'il puisait dans son urne,

Tonnait, se transformait en aigle impérieux,

En taureau mugissant, en cygne gracieux:

Ses frères, son épouse, et ses fils et ses filles,

Peuplaient tout l'univers de divines familles.

Mais en un plus haut ciel Jéhova s'aperçoit,

Disant au premier jour: «Que la lumière soit.»

Il n'était que splendeur, que gloire, et la lumière

Sous un brûlant éclat voilait sa face entière.

Enfin sur un berceau, mystérieux trésor,

Un pigeon enflammé suspendait son essor,

Tandis que dans les bras d'une mère indigente,

Mère qui paraît vierge à sa grâce innocente,

Dormait l'enfant sauveur, né d'un dieu paternel:

Triple unité, que peint un triangle éternel.

Retracerai-je aux yeux ces légions d'idoles,

Ces pagodes au loin présentant leurs symboles;

Depuis le vieux Lama, l'objet d'honneurs si vains,

Payant l'encens des rois en excréments divins,

Jusqu'au dur Theutatès, si fier de sa massue,

Et de la chaîne d'or à ses lèvres pendue?

Chimères, qui cédaient à celles de la croix,

Pour qui, le fer en main, on criait: «Meurs, ou crois!»

Ces peintures montraient notre sphère embrasée

Sous un glaive sanglant en deux parts divisée.

Des califes géants ouvraient leur paradis

Aux élus forcenés combattant les maudits;

Et les temps, la nature, en traits allégoriques,

Aux peuples éblouis offraient cent dieux antiques.

Les pals et les bûchers qui bordaient ce tableau,

Surchargeaient d'ornements ce mystique rideau.

Debout, sur ses ergots, le peuple du parterre

Gronde et siffle à l'égal des vents et du tonnerre.

Les princes de l'abyme, empire d'Ennuctor,

Sont dans leur loge assis, derrière un balcon d'or.

Les plus grands, qu'un vain sceptre et que la pourpre accable,

Roidissant par orgueil leur maintien misérable,

Présentent lourdement leur fausse majesté

En spectacle risible à la malignité.

D'autres, de leur écaille étalant la richesse,

Masquent leur front abject d'une feinte noblesse:

Des manteaux étoilés couvrent leurs dos flétris

Par la honte des coups dont ils furent meurtris.

Ceux-ci, moins insolents, sur leur visage infâme

Portent, en traits confus, l'opprobre de leur ame;

Un noir fiel rend amer leur pénible souris.

Ceux-là, de leur splendeur sont gênés et surpris,

Ils n'osent déployer leurs ailes diaprées,

Et déguisent leur queue et leurs griffes dorées.

Non loin de ces démons cornus et soucieux,

Entre elles se rongeant et s'épluchant des yeux,

Leurs épouses dressaient, diablesses arrogantes,

Des aigrettes de feu, des crêtes élégantes:

Leur cœur de jalousie était envenimé;

Leurs lèvres se séchaient d'un dépit enflammé,

Sitôt qu'une rivale, à leurs yeux rayonnante,

Déroulait plus d'émail sur sa croupe traînante;

Ou que, sous ses cheveux, tressés de serpents verts,

Son diadême au loin envoyait plus d'éclairs:

A son tour, celle-ci pâlissait consternée

Quand d'un éclat voisin elle était dominée.

Cependant un orchestre interrompt les clameurs

De tout le cirque ému par de folles rumeurs.

D'un triple rang d'archets la profonde harmonie,

Que seconde des cors la douceur infinie,

Elève des sons purs, mélodieux, touchants,

Dont tressaillaient les cœurs, tendres échos des chants:

Tantôt ses longs accords soupirent une plainte,

Tantôt en bruits guerriers elle répand la crainte,

Porte les voluptés, la langueur dans les sens,

Et pénètre dans l'ame en aiguillons perçants.

Mais des princes d'enfer la cour est arrivée;

Tous les acteurs sont prêts, et la toile est levée.

Notre globe apparaît dans un ciel étendu;

Là, plane Copernic, astronome assidu,

Portant sa vue au loin de lunettes armée,

Pour mieux vaincre l'erreur des yeux de Ptolomée.

Ce prologue au sujet sert de commencement;

Ainsi qu'un haut portique ouvre un grand monument.

La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle

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