Читать книгу La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle - Népomucène-Louis Lemercier - Страница 17

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Pauvre fourmi! le choc a brouillé ton cerveau.

A quelques pas d'ici cherche un abri nouveau:

Tes yeux y trouveront des peuplades semblables

A celle qui périt sous un monceau de sables;

Bientôt, vers le butin courant par millions,

Elles vont t'enrôler en leurs noirs bataillons.

LA FOURMI.

Quel pouvoir a, du sol agitant la surface,

Subverti nos états et la terrestre masse?

LA MORT.

Le pied d'un animal, et non le bras d'un Dieu,

Renversa votre empire en traversant ce lieu.

LA FOURMI.

Quel colosse puissant!

LA MORT.

Ce colosse superbe

N'est qu'un cheval mortel, qui foule et qui paît l'herbe.

Aveugles l'un pour l'autre, et d'instinct séparés,

Vous existez ensemble et vous vous ignorez:

Il échappe à tes yeux par sa grandeur extrême;

Ta petitesse aux siens te dérobe de même.

Ainsi tant d'animaux, diversement produits,

Sont au gré du hasard l'un par l'autre détruits:

Tour-à-tour l'un de l'autre utile nourriture,

A tous également je les livre en pâture;

Et, les cédant sans choix aux rongeants appétits,

L'aigle est en proie au ver, et les forts aux petits.

Te souvient-il d'un monstre à tes yeux si terrible,

Au long dos écaillé d'émeraude flexible,

Ce lézard, dont la gueule effrayait vos cités?

Un serpent en dîna dans ses trous écartés.

Ce pivert, qui dardait une langue afilée

Sur votre colonie à sa faim immolée,

Fut mangé d'un vautour; et son sanglant vainqueur

Fut pris d'un épervier, qui lui rongea le cœur.

Cet ennemi si prompt, ignoré de ta vue,

Craint d'autres ennemis dont la serre le tue.

Tous vivent de carnage; et, rebelles au sort,

Tous, quand vient leur instant, se plaignent de la mort.

LA FOURMI.

Ces créatures-là n'ont pas des destinées

Si tristes que la nôtre et sitôt terminées?

LA MORT.

Etonne-toi bien moins de tes destins si courts,

Que de naître si faible, et de compter des jours.

Effet prodigieux de la toute-puissance,

Qui, d'organes si fins protégeant l'existence,

Défend à mille chocs de rompre les ressorts

Par qui ton cœur palpite en un si frêle corps!

Que peut contre mes dards ta fragile cuirasse?

Comment affermis-tu ton regard dans l'espace,

Et respires-tu l'air, souvent pernicieux

Au plus robuste oiseau né pour braver les cieux?

Ne murmure donc plus si ton destin s'arrête.

L'herbe qui maintenant te porte sur son faîte,

Doit-elle autant durer que ce chêne au longs bras,

Grand être, encor vivant, que tu ne connais pas?

Ce géant des forêts va sous ma faulx encore

Gémir, atteint des coups d'un être qu'il ignore;

Cet être enfin, c'est l'homme, orgueilleux animal.

Et des lieux qu'il parcourt tyran le plus fatal.

La Mort avait parlé: du creux de l'arbre antique,

Un hibou fit ouïr son cri mélancolique:

Au présage annoncé par sa sinistre voix

Le chêne à part se dit, en langage des bois:

LE CHÊNE.

Malheureux arbre! En moi quel tumulte s'élève!

Je sens que vers mon cœur se retire ma sève:

Mes membres ont tremblé, comme ils tremblent souvent

Du frisson qui les glace à l'approche du vent.

Cependant la fraîcheur et la paix m'environne:

Nul choc ne m'avertit qu'il pleuve ni qu'il tonne:

De tous les points divers de l'espace éthéré

La nuit souffle sur moi l'air le plus épuré.

Quel noir pressentiment m'épouvante, me glace?

M'annonce-t-il ma fin? moi, dont l'antique race

A peuplé l'univers de tant d'arbres fameux!

La nature me dit que je suis grand comme eux:

En mon accroissement nul voisin ne m'arrête:

Je sens loin de mon tronc se balancer ma tête:

Je sens mes bras des cieux mesurer la hauteur,

Et mes pieds des enfers sonder la profondeur.

Ah, qu'importe! La mort va m'entraîner peut-être.....

Sais-je comment, pourquoi, je commençai de naître?

Sais-je comment, pourquoi, sitôt je périrai?

Immobile sur terre, en moi seul retiré,

Je ne vois ni n'entends: aucune voix n'exhale

Le trouble qui saisit mon ame végétale;

Mais sensible aux objets qui me viennent saisir,

Non moins que la douleur j'éprouve le plaisir.

Cent hivers, m'arrachant ma robe de verdure,

M'ont déja fait subir leur piquante froidure,

Et, glaçant mes rameaux comprimés et roidis,

Ont chargé de frimas mes membres engourdis:

Mais lorsque du printemps les ailes caressantes

Revenaient protéger mes feuilles renaissantes,

Quel charme de sentir sa main me délivrer,

Ma sève plus active en mes veines errer,

La force déployer mes tiges vigoureuses,

Le germe entrer au sein de mes fleurs amoureuses,

Et se multipliant par mille extrémités,

Rapporter à mon cœur toutes leurs voluptés!

Quelle douceur je goûte à boire la rosée,

Et les sucs de la terre à mes pieds arrosée,

Lorsque des chauds étés les feux étincelants

Brûlent ma chevelure et desséchent mes flancs!

Dans le recueillement du nocturne silence,

De mon secret sommeil paisible jouissance,

Que semblent respecter le mouvement des airs

Et les hôtes nourris sous mes ombrages verts,

J'attends l'heure où par-tout les chantres de l'aurore

Font tendrement frémir mon écorce sonore.

Si j'ai peine à dompter les vents et leurs fureurs,

Des torrents de la pluie affreux avant-coureurs;

Si la foudre, sur moi gravant des cicatrices,

M'a déja de la mort annoncé les supplices;

N'ai-je donc pas, ô Dieu! sujet de redouter

La perte des plaisirs qu'elle viendra m'ôter?

Encor plein de verdeur, mon feu va-t-il s'éteindre?

Je jouis de la vie; ô Mort, je dois te craindre.

Il dit: on aperçoit quelques soldats épars:

De hauts bonnets velus ombrageaient leurs regards:

Leurs mains portaient un càble, et leur dos une hache:

Leur visage fendu par leur double moustache,

Leur teint où de la vigne a bourgeonné la fleur,

D'un prêtre qui les suit relevaient la pâleur;

C'était leur aumônier; et, cousu d'aiguillettes,

Leur commandant, tout fier de jeunes épaulettes,

En Céphale nouveau, devançait le matin:

Armé d'un court fusil, il poursuit le butin;

Et chassant les oiseaux, familles bocagères,

S'exerce en les tuant à mieux tuer ses frères.

La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle

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