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BOURBON ET LA CONSCIENCE.

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BOURBON.

Où suis-je?... Oracle affreux qui confond mon orgueil!

O spectre tout armé, déserteur du cercueil,

Serais-tu des enfers l'organe et le ministre?

Arrête, ombre sévère!... Ah! quel adieu sinistre!...

Il s'enfonce à travers l'épaisseur des forêts,

Silencieux comme elle, et sombre en tous ses traits...

Il fuit.... il a soufflé le désordre en mon ame....

O mânes redoutés!... Mais toi, maligne femme,

Toi, parle; que veux-tu? l'horreur de cet instant

Doit-elle provoquer ton sourire insultant?

Pourquoi, d'un blanc si pur couverte tout entière,

Me blesser dans la nuit par ta vive lumière?

LA CONSCIENCE.

Traître! la Conscience enfin te veut parler.

BOURBON.

Importune! à mon camp laisse moi revoler.

LA CONSCIENCE.

L'ombre du preux Bayard m'ordonna de te suivre:

N'attends pas que de moi nul effort te délivre.

Je ne te quitte plus.

BOURBON.

Eh bien, suis mon coursier.

LA CONSCIENCE.

J'ai des ailes: sur toi je fonds en épervier.

BOURBON.

Crois-tu m'épouvanter comme un enfant timide?

LA CONSCIENCE.

Ma présence a glacé plus d'un cœur intrépide.

Je te rendrai la paix, si tu me fais juger

Que sans crime tu vends ton bras à l'étranger.

BOURBON.

N'ai-je pas de Valois, par un zélé service,

Conquis et mérité la faveur protectrice?

LA CONSCIENCE.

Du rang de connétable il paya tes exploits,

Et son amitié tendre aggrandit tes emplois.

BOURBON.

Bientôt l'ingrat lui-même, en brisant son ouvrage,

Ne m'a-t-il pas ravi jusqu'à mon héritage?

LA CONSCIENCE.

Ta fière indépendance, ambitieux soldat,

Dans l'état prétendait s'ériger un état.

BOURBON.

Sa mère m'y forçait: Louise, à qui la France

Laisse aujourd'hui porter le poids de la régence,

Calomniait par-tout mes projets soupçonnés;

Depuis que, méprisant ses amours surannés,

Je refusai mes sens et mon jeune veuvage

A l'offre de son lit dont m'écartait son âge.

Une vieille coquette, implacable en ce point,

Poursuit qui la dédaigne, et ne pardonne point.

Elle me dépouilla de mon bien légitime:

Fallait-il au couteau me livrer en victime?

Elle, sa cour, son fils, ne m'opprimaient-ils pas?

Quel vil principe ont eu nos illustres débats!

LA CONSCIENCE.

Toujours d'un beau prétexte on se farde à soi-même

Ses petites noirceurs, son infamie extrême:

Mais, démentant au fond les dehors affectés,

J'éclaire les méchants sur leurs difformités.

Il valait mieux attendre, et détromper ton maître,

Que d'encourir sa haine, et devenir un traître.

BOURBON.

Pour les peuples ingrats et les rois insolents,

Des traîtres tels que moi sont des Coriolans.

LA CONSCIENCE.

S'appuyer de grands noms aux pervers est facile:

Si tu fais le Romain, imite donc Camille:

Proscrit des sénateurs, exilé généreux,

Il ne s'en est vengé qu'en triomphant pour eux:

Et si Coriolan a droit qu'on le révère,

C'est par son repentir, né des pleurs d'une mère.

Cesse donc, en rival d'un malheureux héros,

D'embraser ton pays au prix de ton repos:

Ou si son noble exemple a pour toi quelques charmes,

La patrie est ta mère; eh bien! rends lui les armes.

BOURBON.

Chacun dirait bientôt que faible, irrésolu,

Je ne n'ai rien su jamais de ce que j'ai voulu,

Que, tour-à-tour quittant l'empereur et la France,

J'ai doublement trahi l'une et l'autre puissance;

Et qu'entre ces partis, homme toujours douteux,

Je mérite à-la-fois le mépris de tous deux.

LA CONSCIENCE.

C'est donc la vanité qui seule t'aiguillonne

Dans le chemin du crime où ton cœur s'abandonne?

Insensé! ton orgueil a-t-il moins à souffrir

Parmi ces étrangers à qui tu vins t'offrir?

Les rivaux, dont ta gloire excite le murmure,

Te disputent ta place en te nommant parjure:

L'ombrageux Charles-Quint soupçonne qu'aujourd'hui

Perfide envers ton roi, tu peux l'être envers lui.

Il repaît ton espoir de promesses frivoles:

Tu le sers par des faits, il s'acquitte en paroles;

Et Pesquaire, et Lannoy, tes compagnons guerriers,

D'un sourcil dédaigneux insultent tes lauriers:

Le regard des soldats et leur malin sourire

Te dit ce que leur bouche a besoin de te dire;

Et ton crime t'expose à l'affront que tu fuis,

Chez ceux que tu quittas, et chez ceux que tu suis.

Ah! qu'il eût mieux valu, recherchant la retraite,

Dévorant, loin des cours, une douleur muette,

Te montrer au-dessus de tes fiers ennemis,

Et digne des grandeurs où le sort t'eût remis!

Que produit en ces lieux ton courage inutile?

Tout transfuge est à charge à qui lui donne asyle;

Un mépris défiant accueille ses secours.

Je te plains: le dépit t'agite à mes discours;

Ils pénètrent ton cœur non moins que les morsures

D'un aspic dont le fiel irrite les piqûres.....

Où vas-tu donc? pourquoi tes éperons sanglants

D'un innocent cheval déchirent-ils les flancs?...

Tu reviens malgré toi sous ces rameaux funèbres,

Sous ce chêne, où Bayard est sorti des ténèbres:

Ses traits, ses derniers mots t'ont frappé de terreur.

BOURBON.

Conscience, tais-toi! tu n'es rien qu'une erreur,

Des sens désordonnés un vaporeux prestige.....

A te craindre, à t'ouïr, quelle force m'oblige?

Peux-tu m'ôter mes biens, mon crédit et mon rang?

Peux-tu blesser ma chair, et répandre mon sang?

As-tu, pour m'attaquer, une pique, une épée?.....

Menteuse vision de toute ame trompée,

Tes scrupules craintifs alarment les dévots,

Les femmes, les mourants, et non pas les héros.

LA CONSCIENCE.

Superbe! à ma rigueur ne crois pas te soustraire:

Je punis tes pareils ainsi que le vulgaire.

Inévitable, prompte à condamner le mal,

Tout coupable frémit devant mon tribunal.

On ne me voit en main le glaive ni la lance:

Mais de mon équité l'invisible vengeance

S'arme de traits aigus dont je perce le cœur

De tel qui me bravait par un discours moqueur.

C'est moi qui fais rougir l'altière courtisane

De l'or dont l'enrichit l'amour qu'elle profane;

C'est moi qui, trahissant les voleurs les plus fins,

Par-fois, sur leur visage écrivis leurs larcins.

Souvent pour le forçat échappé de la chaîne

Mon secret jugement est la plus rude gêne:

Au meurtrier obscur comme au noble brigand,

Je montre, à tous les coins, l'échafaud qui l'attend.

J'humilie à ma voix plus d'un Séjan illustre,

Devant l'homme qui n'a que sa vertu pour lustre:

Je pince nuit et jour les vils Amphitryons

Qui laissent Jupiter aggrandir leurs maisons;

Je mords la Danaé qui l'appelle à son aide;

Et ma verge en courroux fouette son Ganymède.

Pour toi, héros de titre et non héros de fait,

Je te ferai sentir qu'on te fuit, qu'on te hait,

Que, te rendant la vie à toi-même importune,

Tourmenté sur la roue où te mit la fortune,

Sans retour arraché des routes du devoir,

Ton audace est en toi l'effet du désespoir.

Pars donc! rejoins ton camp; va singer le grand homme.

BOURBON.

Laisse-moi.

LA CONSCIENCE.

Je te suis.

BOURBON.

Quoi! toujours?

LA CONSCIENCE.

Jusqu'à Rome.

Elle dit: mais Bourbon, lançant un œil hagard

Autour du sombre chêne où reparut Bayard,

Pique de l'éperon; et du pied, en arrière,

Son coursier en partant touche une fourmillière,

Populeuse cité, qu'écrase en un moment

De ses amples greniers l'entier écroulement.

Les démons, dont la vue est perçante et divine,

Pleins d'un vif intérêt contemplent sa ruine:

Des rangs les plus lointains de leur cirque étendu,

Ils attachent leurs yeux sur ce peuple éperdu,

Dont se sauve à grand'peine une fourmi tremblante,

Qui, grimpant au travers de l'arène roulante,

Dans le commun naufrage enfin trouvant un port,

Atteint le haut d'une herbe; et là, parle à la Mort.

La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle

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