Читать книгу La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle - Népomucène-Louis Lemercier - Страница 18
UN AUMONIER, UN CAPITAINE, UN OFFICIER, ET QUELQUES SOLDATS.
ОглавлениеLE CAPITAINE.
Voici le lieu marqué pour nos détachements:
Ces bois nous serviront de bons retranchements:
Faites-en sur la route un abattis en forme.
L'OFFICIER.
Camarades, holà! coupez cet arbre énorme.
L'AUMÔNIER.
La parole de Dieu s'accomplit en nos temps,
Messieurs: tout est fauché comme l'herbe des champs:
L'orgueilleux dont le front est voisin de la nue,
Tombe, et meurt à jamais quand son heure est venue.
LE CAPITAINE.
Quoi! votre charité s'étend-elle à ces bois,
L'abbé? vous en parlez comme on parle des rois!
L'AUMÔNIER.
Cet arbre est né comme eux superbe et périssable.
Que lui sert aujourd'hui que l'histoire ou la fable
De son antique honneur ait rempli l'univers?
Car si nous en croyons tous les siècles divers,
La plaine de Membré vit son aïeul auguste
Protéger de ses bras la famille d'un juste.
Les chênes, ses parents, quoique sourds et sans yeux,
Devenus à Dodone organes des faux dieux,
Exhalaient de leur tronc une voix prophétique,
Oracle interrogé des confins de l'Attique.
La dryade, au sortir de leur sein verdoyant,
Aux voyageurs divins montrait un front riant;
Et leur feuille ondoyante en couronnes civiques
Ceignait dans les cités les têtes héroïques.
De la Tamise au Rhône, et du Rhin à l'Oder,
Gaulois, Germains, frappant des boucliers de fer,
Ont de sanglants autels honoré ses ancêtres:
On vit, la serpe en main, leurs homicides prêtres,
Perçant les airs de chants mêlés aux sons du cor,
De son gui consacré couper les bourgeons d'or.
Son corps, depuis ce temps, a recelé des fées:
Ses bras des chevaliers portèrent les trophées;
Et, de fragiles nœuds durables monuments,
Ses flancs en leur écorce ont reçu les serments
Des amours plus légers que les oiseaux sans nombre
Peuple ailé qui voltige et bâtit sous son ombre.
Eh bien! tant d'attributs ne préserveront pas
Ce vieux roi des forêts de pourrir ici-bas.
L'OFFICIER, aux soldats.
Frappez, sciez, taillez, sappez, fouillez la terre.
L'AUMÔNIER.
Rien n'est donc à l'abri des fleaux de la guerre!
Combien tous ces soldats et leur chef rugissant
Signalent de courroux contre un arbre innocent!
Hier, contre un moulin ils écumaient de rage;
Et demain leur fureur va brûler un village.
Sot délire!
UN SOLDAT.
Voyez ce chat-huant qui fuit!.....
LE CAPITAINE, tirant sur l'oiseau.
Pour ton œil faux et louche il n'est plus assez nuit....
A bas! tu n'iras plus, quand l'ombre tend ses voiles,
Chasser dans la campagne aux lueurs des étoiles.
L'AUMÔNIER.
Quel luxe de plumage en son obscurité!
De la création riche diversité!....
LE SOLDAT.
Une taupe en ces trous?.. tiens, meurs en ton coin sombre.
LE CAPITAINE.
La taupe dans son nid, le hibou dans son ombre,
Ont subi le destin de tant d'hommes peureux
Souvent frappés de mort dans leur lit ténébreux.
L'AUMÔNIER.
Les dangers sont par-tout: il n'est d'autre science
Que de mettre en Dieu seul toute sa confiance.
LE CHÊNE.
Quelle force m'ébranle?....
LA MORT.
Ah! tu gémis en vain.
LE CHÊNE.
Je chancelle....
LA MORT.
Il est temps de céder à ma main:
Du sol qui t'a nourri j'arrache ta racine,
Tombe, et remplis le ciel du bruit de ta ruine!
Adieu! j'entends de Mars le bronze au loin tonner,
Et sur des bords sanglants ma fureur va planer.
L'arbre alors se renverse, et tout le voisinage
Perd à jamais sa vue et son antique ombrage.