Читать книгу La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle - Népomucène-Louis Lemercier - Страница 3

ÉPITRE
A DANTE ALIGHIERI.

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Impérissable Dante,

Ou recevras-tu ma lettre? Quels lieux habites-tu, depuis que tu n'es plus dans ce monde vicieux où, de jour en jour, nous sentons que ton génie vengeur nous manque? Mon envoi ne te parviendra dans aucun des cercles qui forment l'immense spirale de ton enfer; ils ne sont que l'allégorie des horribles réalités de la vie humaine: ni dans les circuits de ton purgatoire; ils ne figurent que le labyrinthe où nous égarent nos erreurs passionnées, avant que nous arrivions au repos: ni dans les limbes de ton paradis; tableau poétique d'une béatitude et d'une gloire que tes rêves nous ont tracées. Je t'adresse donc cet écrit dans les régions inconnues, séjour ouvert par l'immortalité aux ames sublimes d'Homère, de Lucrèce, de Virgile, d'Arioste, de Camoëns, de Tasse, de Milton, de Klopstock, et de Voltaire. Une messagère ailée, l'Imagination, te le portera dans l'espace où tu planes avec eux.

Il faut que je me confesse à toi, profond scrutateur des consciences: car je rougirais du moindre scrupule, devant ta redoutable ironie.

J'ai découvert, sous les décombres d'un vieux sanctuaire de la Vérité, le manuscrit d'un poëte nommé Mimopeste, c'est-à-dire, fatal aux mimes. Je publie son travail comme étant le mien. Son poëme, dont je m'attribue l'honneur, est intitulé Panhypocrisiade; ce qui, conformément au caractère satirique de son auteur, et à l'étymologie grecque, signifie POEME SUR TOUTE HYPOCRISIE.

Il paraît que l'auteur avait ajouté dans son esprit à cette ancienne maxime de l'ecclésiaste, vanité des vanités! tout est vanité! un axiôme non moins général sur notre pauvre terre; hypocrisie des hypocrisies, tout est hypocrisie.

Il a vu les humains tels qu'ils sont: il les a peints tels qu'il les a vus. S'en fâcheront-ils? non: parce qu'il n'a pas, comme tu l'as fait si courageusement, marqué d'un sceau réprobateur le front de ses ennemis personnels; parce qu'il n'a pas, en égalant ton audace, pris la liberté de mettre dans son enfer des princes, des cardinaux et des papes vivants; mais qu'au lieu d'y jeter ses contemporains, il n'y a placé que les morts du seizième âge; et qu'il n'y a point représenté les hommes qui existent encore. Ceux-ci respirent la franchise; ils sont la sincérité même, grâce à notre perfectibilité prouvée, et à nos lumières progressives qui leur ont démontré combien il est superflu de mentir et de porter des masques!

J'avais dérobé avec tant de plaisir, au poëte que je vole encore, l'idée d'une théogonie nouvelle, dont je fis agir les divinités qui figurèrent les phénomènes de la nature dévoilée par nos sciences dans mon Atlantiade, que je n'ai pu résister à l'envie de commettre ce nouveau larcin. Tu trouveras ici quelques-uns des mêmes dieux qu'il a créés, d'après son systême newtonien. Il les introduit dans cet autre ouvrage hardi qu'il a qualifié du titre de comédie épique.

Si j'eusse voulu l'accompagner de commentaires et de scholies, il m'eût fallu composer un gros in-folio de bénédictin, sur tout ce qu'il renferme de relatif à la fable et à l'histoire politique, ecclésiastique et militaire, sur toutes les curiosités qu'il a extraites des mémoires. Mais il vaut mieux que j'imite adroitement certain auteur d'une défense des Jésuites, qui en publia la première édition sans notes, afin, dit-il plaisamment, que les rats de la critique qui le voudront éplucher et ronger, viennent se prendre dans la souricière de leur ignorance.

Ta mâle philosophie saura saisir le plan moral qu'a suivi le poëte. Ton siècle t'inspira l'image des tourments de l'Enfer: le sien lui a inspiré la peinture de ses joyeux divertissements.

Il aurait eu matière à peindre aussi largement le nôtre, qui lui eût fourni des scènes non moins terribles que ridicules, et dont voici le principal sujet, résumé dans quelques vers épigrammatiques.

Notre beau siècle, en France, ayant planté

Chêne civique, arbre de liberté,

Prophétisa que son ombre immortelle

Étoufferait tiges de royauté:

Puis, en védette, il y mit sentinelle.

Mais vint au poste un rusé bûcheron,

Tourneur expert; or, trompant l'horoscope.

Sa main coupa les branches et le tronc,

Sceptres en fit, à revendre en Europe;

Et le beau siècle enrichit le larron:

Mais la racine est restée, et tient bon.

Tu me demanderas comment on a souffert qu'on y portât sitôt la coignée; le dixain suivant va te répondre.

Nos fiers tribuns, déclamant pour leurs droits,

Foulaient aux pieds couronnes, armoiries;

Nos fiers seigneurs, vantant leurs rêveries,

Juraient amour au pur sang de leurs rois:

Que firent donc tant de grands fanatiques,

Dès qu'un enfant des troubles politiques

S'érigea maître?... Ah! saluant son char,

De royauté les serviteurs antiques

Se sont unis, en lestes domestiques,

A nos Brutus, bons valets de César.

Un Aristophane n'eût-il pas vu là tout le fonds d'une ample et forte comédie? mais était-il possible qu'on la jouât sous la censure oppressive que maintenait à cette époque la tyrannie dont le ciel nous a délivrés?

Un pâle trio d'Aristarques,

De ses froids ciseaux coupant tout,

Eut sur le génie et le goût

Le ministère des trois Parques.

Ces temps ont déja fui: la noble liberté des lettres et de la pensée revivra sous le règne des lois.

Montre ce nouveau poëme, quand tu l'auras lu tout entier, à Michel-Ange, à Shakespeare, et même au bon Rabelais; et, si l'originalité de cette sorte d'épopée théâtrale leur paraît en accord avec vos inventions gigantesques, et avec l'indépendance de vos génies, consulte-les sur sa durée. Peut-être, se riant dans leur barbe des jugements de nos modernes docteurs, augureront-ils qu'avant un siècle encore, c'est-à-dire un de vos jours, en style d'immortels, on l'imprimera plus de vingt fois, quoique étant hors du code des classiques.

La haute et mordante raillerie qui l'anime n'est point celle de la méchanceté, mais d'une vive indignation de la vertu contre le vice.

Adieu, Dante! je me distrais avec les Muses du spectacle des tristes discordes. Ainsi que toi, je soupire après les lois stables, fondamentalement constitutionnelles, qui seules assureraient le bonheur et l'illustration de ma patrie. Tu fus tour-à-tour poursuivi des Guelfes et des Gibelins pour t'être précipité trop aveuglément dans leurs factions: ils proscrivirent ta tête, rasèrent ta maison, t'accablèrent de calomnies, et tâchèrent d'ensevelir ton nom en décriant tes poésies, en te réduisant à défendre seul la gloire de tes propres œuvres; et moi, qu'instruisit ton exemple à m'écarter des partis pour ne soutenir qu'une juste cause, comment n'ai-je pu me préserver des attaques perfides, et d'une part des mêmes misères que tu as endurées? Les hommes punissent donc le refus constant de servir leurs fureurs, comme l'ardente énergie qui s'efforce à les dompter, le fer à la main! Ah! la perspective de toute paix est détruite pour les citoyens, lorsque s'ouvrent une fois les gouffres des révolutions; et c'est sur-tout à leur entrée que me semblent applicables ces menaces de tes portes infernales:

Per me si va nella città dolente,

Per me si va nell' eterno dolore,

Per me si va tra la perduta gente.

Lasciate ogni speranza, voi che'ntrate!

Adieu donc! puisse ma mémoire être protégée de la tienne, et ne pas périr! La vie de l'esprit est ici-bas aussi incertaine que la vie du corps. Toi, qui nous quittas au quatorzième siècle, tu es plus sûr de durer que moi qui transcrivais ceci, pour l'avenir, pendant les premières années du dix-neuvième.

La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle

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